Le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali à Tunis, le 12 novembre 2009.AP/HASSENE DRIDI

La Tunisie n’a pas grand-chose à se reprocher en matière de droits de l’homme. Il y a bien eu “quelques problèmes”, mais le gouvernement y remédie, puisque “des dizaines” d’officiers de police ont été jugés pour “corruption ou autres délits”. Malheureusement, “certaines ambassades”, à Tunis, et “des organisations de défense des droits de l’homme” ont pris prétexte de la lutte antiterroriste menée par le gouvernement pour multiplier les critiques. Ça n’est pas une “attitude amicale”… Le télégramme américain qui résume la rencontre, au printemps 2008 à Tunis, entre le président Zine El-Abidine Ben Ali et le sous-secrétaire d’Etat américain chargé des affaires du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, David Welch, ne dit rien de la réponse du diplomate.

Mais d’autres mémos, obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde, permettent de se faire une idée précise du régime tunisien vu par les diplomates américains. Dans un câble daté de juin 2008, sous le titre “Ce qui est à vous est à moi”, l’ambassade décrit la corruption organisée par l’entourage familial du chef de l’Etat -“la Famille”- qualifié de “quasi-mafia”.

Plus d’une dizaine d’exemples sont cités. Ici, c’est l’épouse du président qui se voit accorder gratuitement par l’Etat un terrain, qui sera viabilisé tout aussi gratuitement, pour construire un établissement scolaire privé, revendu depuis. Là c’est un gendre qui récupère “un immense manoir tape-à-l’œil” construit sur un terrain exproprié par l’Etat, officiellement pour les besoins de l’Agence de l’eau.

Plus loin, c’est un autre gendre qui acquiert 17 % de la Banque du Sud à la veille de sa privatisation, et qui revendra ses actions “avec un confortable bénéfice” à un consortium bancaire hispano-marocain, lui assurant ainsi le contrôle majoritaire qu’elle souhaitait…

“LE PRÉSIDENT PREND DE L’ÂGE”

A l’été 2009, un autre mémo élargit le champ de vision et, non sans avoir salué la robuste croissance économique (5 % en moyenne depuis dix ans) et le statut avancé de la femme, recense les “gros problèmes” du pays. “Le président Ben Ali prend de l’âge, son régime est sclérosé, et il n’y a pas de successeur avéré, peut-on lire. Beaucoup de Tunisiens sont frustrés par le manque de liberté politique et en colère contre la corruption de la famille de la première dame, le taux de chômage élevé et les disparités régionales. L’extrémisme reste une menace. Confronté à ces problèmes, le gouvernement n’accepte ni critique ni conseil, qu’il vienne de l’intérieur ou de l’extérieur. A l’inverse, il ne cherche qu’à imposer un contrôle plus strict, souvent en s’appuyant sur la police. Résultat : la Tunisie est à la peine et notre relation [avec elle] également.”

Pour les diplomates, travailler en Tunisie est devenu très difficile. Les contrôles, “mis en place par le ministre des affaires étrangères”, les contraignent à avoir une permission écrite avant tout contact avec un officiel. Une demande de réunion doit être accompagnée d’une note diplomatique. “Beaucoup restent sans réponse”, précise un mémo.

PRIVILÉGIER LA DISCRÉTION

Maintenir des contacts avec les militants de la société civile est une gageure. Et les Tunisiens invités à des réceptions par l’ambassade font l’objet d’intimidations par des policiers en civil postés à proximité.

Quelle devrait être la politique de l’administration Obama en Tunisie ? Poursuivre les contacts avec l’opposition et la société civile. Continuer à critiquer “l’absence de démocratie et le peu de respect pour les droits de l’homme”, le faire “de façon très claire, le plus souvent possible, et à très haut niveau”, mais, à rebours de l’administration Bush, en privilégiant la discrétion.

Les Etats-Unis, ajoute le télégramme, devraient aussi demander aux pays européens d’intensifier leurs efforts pour “persuader le gouvernement tunisien d’accélérer les réformes politiques”.

L’Allemagne et la Grande-Bretagne sont acquis à cette idée, mais “des pays-clés comme la France et l’Italie hésitent à faire pression” sur la Tunisie.

Jean-Pierre Tuquoi
LeMonde.fr