Lundi soir, Ness Nessma a traité de « l’évolution de la situation sécuritaire entre la Tunisie et la Libye ». Mené par un animateur totalement dépassé, qui s’est contenté de renvoyer, mollement, la responsabilité des dérives déontologiques à ses interlocuteurs, le débat a vite dérapé vers l’apologie du terrorisme.

Une dérive prévisible, quand on sait que Mohamed Omar Baâyou, présenté comme un analyste politique, et Nadhem Tayari, directeur de la chaîne de “télévision libyenne officielle”, fanatiquement anti-Haftar, sont partisans des milices armées de Misrata. En plus de leur appel à la guerre et à la violence, les deux invités libyens ont profité de l’occasion pour « rectifier la définition du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme », considérant que la guerre menée par les milices rebelles n‘était qu’une manière de « corriger le processus révolutionnaire de la Libye post-Ghadafi ». La logique « guerrière » des deux invités libyens étaient, dangereusement, soutenue par les « journalistes » tunisiens Ramzi Bettibi et Sahbi Smara qui tentaient de minimiser la menace des islamistes extrémistes libyens et son impact sur la Tunisie. Le général Ahmed Chabir, ancien directeur général de la sécurité militaire et du renseignement, désormais à la retraite, s’est très vite démarqué, quant à lui, face aux approximations de l’animateur sur les capacités de l’institution militaire tunisienne, d’un côté, et de l’autre, vis-à-vis des interventions intempestives des deux libyens.

Des patrons et des politiques contre la régulation

Certains observateurs avertis ont décelé dans cette ligne éditoriale la griffe de Borhen Bessaies, le nouveau « chargé de la communication » de Nessma tv. Cette ligne explosive n’est pas passée inaperçue, provoquant, illico presto, des réactions en cascade. D’abord, de la part des téléspectateurs qui ont interpelé l’instance de régulation sur son site et sur les réseaux sociaux. Ensuite, c’est le Syndicat national des journalistes tunisiens qui réagissait, dans un communiqué, dénonçant la « promotion et le blanchiment du terrorisme » par la chaîne télévisée Nessma Tv. En outre, le SNJT a convoqué Hachem Bouaziz, l’animateur de l’émission et l’équipe de production de ce débat télévisé devant le comité d’éthique du syndicat. Inédite, l’initiative est à encourager, même si, on doute fort que l’équipe de Nessma acquiesce à cette convocation, sachant qu’elle n’a pas daigné se présenter à l’audition de la Haica. De son côté, le ministère libyen de l’intérieur annonçait, dans un communiqué, son intention de poursuivre en justice le dénommé Nadhem Tayari pour diffamation et désinformation, l’accusant de semer la discorde.

Le secrétaire général du parti Al Massar, Samir Taïeb, a dénoncé, lui, au micro de Radio Express FM, la tendance suspecte de certains médias tunisiens à servir de tribunes pour blanchir le terrorisme et justifier les crimes, appelant la Haica à prendre les mesures qui s’imposent. Mieux vaut tard que jamais ! Les politiques qui n’ont soutenu ni la constitutionnalisation de la Haica, ni  les Cahiers des Charges de l’audiovisuel, se rendent, enfin, à l’évidence d’une nécessaire régulation. Même si, l’inquiétant silence des autres partis, notamment Nidaa Tounes et Ennahdha, sur cet incident, à la fois déontologique et politique, ne présage rien de bon pour l’équilibre du paysage audiovisuel, en cette période électorale. Les patrons des médias privés sont demeurés eux aussi bien silencieux.

Nessma Tv se déclare coupable !

Complaisamment repris par des médias dominants, Nabil Karoui, le patron de Nessma Tv, se délectait, pas plus loin que ce printemps, à déclarer : « Haica is a joke »1. Aujourd’hui, la situation semble avoir changé, puisque la décision de la Haica, intervenue mercredi après-midi, a contraint la direction de Nessma à une autocritique , certes maladroite, mais inédite dans le paysage audiovisuel.

Sanctionné pour « infraction grave » sur la base de l’article 30 et de l’article 5 du décret-loi 116 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle, Nessma Tv a donc écopé d’un mois de suspension de l’émission Ness Nessma, en attendant que le conseil de l’instance se penche de près sur le dossier. On notera que l’instance de régulation aurait pu tout aussi bien inclure dans les motifs de l’infraction, l’absence d’un principe, également stipulé dans l’article 5, à savoir « la protection de l’enfant ». Ce dernier se justifiant par la signalétique trompeuse affichée, juste avant le début de l’émission Ness Nessma, et suggérant que l’émission est familiale. Dans la foulée, Hannibal Tv a été, elle aussi, sanctionnée pour quasiment les mêmes motifs en écopant d’une semaine de suspension de l’émission “Yahdoth fi tounes”. Enfin, on croit savoir qu’Al Moutawassit Tv a elle aussi été épinglée par la Haica en recevant un avertissement à cause de l’incapacité de l’un de ses animateurs à mettre fin aux appels à la violence proférés par le même Mohamed Omar Bâayou.


1- « La Haica est une plaisanterie ».