Sous couvert d’état d’urgence, la police tunisienne s’attaque à la jeunesse. En seulement deux semaines, cinq jeunes artistes ont été jugés d’un an de prison et d’une amende de mille dinars pour consommation de cannabis. Une mobilisation commence à prendre forme suite à ce que, certains, qualifient d’ « une nouvelle vague de répression ». D’autres rappellent l’urgence de réformer le code pénal en contradiction flagrante avec la nouvelle constitution.
Le 1er décembre, le tribunal de première instance de Tunis condamne les deux membres du comité d’organisation des JCC, Adnen Meddeb et Amine Mabrouk, à un an de prison et d’une amende de mille dinars avec comme seule pièce à conviction, du papier à rouler du tabac dans leur voiture. Le 8 décembre, le tribunal de première instance à Nabeul condamne Ala Eddine Slim, Fakhri El Ghezal et Atef Maatallah à un an de prison et une amende de mille dinars. Au départ, les trois artistes ont été soupçonnés d’activités terroristes avant que la police n’oriente l’affaire vers la détention de stupéfiants.
Jeudi 10 décembre, un rassemblement a eu lieu à l’espace Artisto afin de discuter des solutions et actions possibles pour annuler la loi 52 et d’autres lois liberticides. Avocats, militants, familles et amis de prisonniers et ex-prisonniers de la loi 52 étaient là pour exprimer leur solidarité et agir ensemble.
Assise isolée dans le hall d’attente d’Artisto, Meriem Soltani, 27 ans, tenait dans sa main un album photo et un dossier. « C’est mon frère, Belhassan Soltani, avec sa femme allemande et sa petite fille » commence la jeune fille à raconter en montrant les photos. « Le 24 juillet, la police l’arrête en sortant d’un hôtel à Hammamet avec ses amis. Il faisait la fête puisqu’il ne rentre en Tunisie qu’une fois tous les ans. Il n’avait rien sur lui, la police décide malgré tout de lui faire passer le test d’urine. Ses amis fortunés l’ont échappé belle, grâce à des pistons au tribunal, mais mon frère a tout perdu. Son travail, sa femme qui envisage le divorce et sa fille de 4 ans qui risque de ne plus le voir », poursuit Meriem avant de recevoir un appel de son père la priant de rentrer. « Assez de scandale comme ça ! », lui dit-il.
Dans la salle, Mohamed Aziz Tahar, agriculteur et organisateur d’événements culturels, lance l’idée de « réunir les familles des prisonniers de la loi 52 et de les aider à sortir de la honte. L’idée est de faire un rassemblement hebdomadaire devant l’Assemblée des Représentants du Peuple afin de mettre la pression pour changer la loi et libérer les prisonniers » explique-t-il avant d’ajouter :
Ce genre de mouvement ne s’éteint pas rapidement. Comme c’est le cas des rassemblements hebdomadaires pour Chokri Belaid et Mohamed Brahmi ou le mouvement des familles des martyrs et des blessés qui ne lâchent pas les droits de leurs enfants depuis maintenant quatre ans.
Une page Facebook, « Les familles des prisonniers 52 » a été lancée. « Nous avons eu deux milles likes en moins d’une journée » se réjouit Mohamed Aziz qui promet, lui et d’autres militants de continuer à soutenir les familles des détenus.
État faible par ses institutions et violent par sa police
Les visages inquiets et révoltés, plusieurs sont encore sous le choc de cette énième arrestation visant des artistes connus. Cependant, explique l’avocat Ramzi Jebabli, il ne s’agit pas d’une récente injustice liée aux bouleversements post 14 janvier.
Cette loi et bien d’autres sont systématiquement utilisées pour réprimer les populations en protestation. Ben Ali utilisait le 52 pour détraquer ses opposants politiques. La police a généralisé l’utilisation de cette arme pour garder son pouvoir sur les jeunes et les quartiers populaires, les artistes et les militants. Maître Ramzi Jebabli
Réunissant des mouvements de contre-pouvoir, comme Manich Msamah et le prisonnier 52, la mobilisation s’étend rapidement sur les réseaux sociaux. Des centaines d’internautes commencent à poster des photos d’eux avec des joints ou des pancartes contre la loi 52.
Dans le théâtre de poche d’Artisto, les interventions étaient nombreuses. Chacun rappelait un point à soulever, un axe à creuser ou un argument à utiliser pour changer les mentalités et forcer le pouvoir à enlever la loi. La tension est montée d’un cran quand ont été évoqués, les mensonges et la manipulation des politiciens en ce qui concerne la réforme de la loi 52. « Nous devons montrer de doigt chaque politicien qui se trouve dans le pouvoir et qui a promis de changer une loi et puis ne l’a pas fait », lance Azyz Amami avant d’ajouter « sur une pancarte, mettez sa photo, rappelez sa promesse et écrivez MENTEUR ! ». Azyz, lui-même arrêté, en mai 2014, pour consommation de stupéfiant et relaxé avec le photographe Sabri Ben Mlouka. Sa proposition de dénonciation concerne, principalement, le président de la République, Béji Caid Essebsi qui a promis, lors de sa campagne présidentielle, d’amender la loi 52.
Le mouvement qui a pris le nom « #52 » compte maintenir la pression en Tunisie mais aussi établir des ponts avec la société civile internationale pour dénoncer « l’autoritarisme de cet Etat faible par ses institutions et violent par sa police » rappelle Khalil Teber, militant. Un prochain rassemblement aura lieu le 17 décembre à Tunis. « Cet hiver nous ne seront pas obéissants à l’état d’urgence » prévient Marwen Meddeb, poète, cinéaste et frère de Adnen Meddeb, une des récentes victimes de la loi 52.
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