Par Zakaria Bouguira, vendredi 20 janvier 2012, 20:35

Le 13 novembre 2011, soit dix mois après la chute de Ben Ali, un étudiant de médecine se fait sauvagement tabasser par la police.
Le vendredi, 20 janvier 2012, (c-à-d hier) le même étudiant revoit l’un des policiers qui l’avaient frappé dans un café près du ministère de l’intérieur.
Il écrit un témoignage très intéressant : On y remarque, une fois de plus, le degré de l’impunité dont jouit la police en Tunisie, une impunité qui affecte tout un système où, malheureusement, la justice reste encore impuissante pour y mettre fin.

Aujourd’hui je revois mon bourreau ! Aujourd’hui je revois ce sanguinaire ! Aujourd’hui je suis face à mon tortionnaire ! Mais laissez-moi vous rappeler de qui je parle. Je parle ici d’un certain Issem Dardouri, l’un des flics qui m’ont torturé à l’aéroport avec les supporters marocains du widad et voilà ce que j’avais écrit sur lui : « D’ailleurs une scène restera a jamais gravée dans ma mémoire. Alors que j’étais aux toilettes me laver le visage un marocain était entrain de vomir. Un policier (le baraqué qui est passé à la télé disant qu’il s’est fait agressé) entre et demande a son collègue « c’est un des marocains ? » Ayant appris son identité il court vers lui et saute avec ses deux pieds sur le marocains écrasant sa tête sur la cuvette Il lui écrasa encore la face a plusieurs reprises avec un pied contre la cuvette jusqu’à le laisser dans son sang corps inanimé et tête dans les toilette. Il sort ensuite des toilette et couru vers la chambre des marocains ou son entré ne causa que cris de douleurs et hurlements de paniques. »

Aujourd’hui alors je suis face à cet « homme » si l’on peut le nommer ainsi. J’étais dans un café non loin du ministère de la terreur (de l’intérieur) à siroter un café avec un ami. On parlait de tout et de rien. Les gens paraissaient heureux et paisibles. Bref rien ne présageait pour moi que ce cauchemar que j’ai tant refoulé allait refaire surface. Mais a la vue de ce monstre tout bouscula dans ma tête. Mon corps a été soudainement emparé d’une frénésie de tremblement. Ces tremblements commencèrent à mes pieds puis s’étendirent à mes jambes. J’essaye de me contrôler mais en vain. Voilà maintenant que mes mains sont prises elles aussi par ces tressaillements pour gagner finalement tout mon corps. Mon ami se retourne vers moi ahuri et me demande ce qui se passe. Je ne peux même pas lui répondre, mon esprit est ailleurs !! Je revois défiler avec son passage ces deux mois de souffrances. Je me rappelle de ces nuits où je me réveille en sursaut tout en sueur. Je me rappelle de ces cauchemars où les scènes de cet épisode ne font que défiler en boucle. Je me rappelle de cette peur innominée sans raison et sans objet qui anime toutes mes journées. Je me rappelle de cette loque, de cette coquille vide qu’ils ont créée… Je me rappelle de ce sentiment d’impuissance lorsque ce cauchemar s’est déroulé. Je me rappelle de l’horreur des cris et de toute cette bestialité ! Non je ne pouvais lui répondre, mon esprit était ailleurs. C’est ainsi qu’un instinct bestial s’est réveillé en moi. Une partie animale a surgi et s’est accaparé mon être. Une partie que je connaissais à peine avant. Mon corps continue sa frénésie vibratoire comme s’il voulait me dire quelque chose. Je l’entends presque me chuchoter qu’il réclame vengeance. Il réclame justice. Il réclame le tribut du sang. Des images de meurtre me traversent même l’esprit. Je me vois entrain de lui serrer la gorge jusqu’à sentir son larynx craquer sous mes doigts et le voir gisant par terre entrain d’étouffer. Pourquoi ne l’ai je pas fais ? Parce que je suis mieux que lui et que je ne descendrai pas à son niveau ? Sottises ! Parce que j’avais peur des conséquences de cet acte et que je finirai surement en prison ? Baliverne ! Rien de tout cela ne me traversa l’esprit à ce moment là.

C’était peut être à cause de toutes ces personnes qui croyaient en moi. Ces personnes qui sont venues manifester sans même me connaître pour me libérer un certain 13 novembre 2011. Ces personnes qui, grâces à leurs messages et à leur soutien m’ont permis un peu de me relever. Ces avocats et ces militants qui m’ont assisté et épaulé jusqu’à même faire parvenir cette affaire au parlement européen. C’était peut-être aussi parce que je pense que cette cause n’était plus seulement celle du petit étudiant en médecine que je suis. Que c’était maintenant la cause de deux peuples marocain et tunisien afin que plus jamais la dignité de l’Homme ne soit bafouée. Afin que plus jamais notre police ne se croit au dessus des gens. Pour qu’enfin il y ait un précédent contre ces sauvages. Que plus jamais ils ne se croient impunis ! Je ne pouvais tout de même rester assis à ne rien faire.

Il fallait que je me prouve que j’existais encore. Il fallait que je prouve que dans cette loque humaine que je suis devenu je vivais encore. Il fallait que je sache enfin si toute cette histoire était bien réelle ou juste le fruit cauchemardesque de mon imagination. Je vais donc vers lui d’un air serein et assuré. Mais je n’étais rien de cela à l’intérieur. Oui j’avais peur ! Peur qu’une fois de plus il ne me tabasse ! Peur qu’il ne me traine et ne m’emmène au ministère de l’intérieur. Peur qu’encore une fois les policiers, cette infamie de la terre, ces vermines de l’univers, ne laissent leurs marques nauséabondes sur mon corps. Mais cette ordalie était nécessaire à ma renaissance. Je l’interpelle alors par son nom « Dardouri ! Dardouri ! » Il ne me reconnaît pas au début c’était sûrement a cause de la casquette. Je lui demande alors « tu te rappelles de moi ? Tu te rappelle de moi ? » Là son regard a changé, ses pupilles se sont dilatées et j’ai su qu’il m’avait reconnu. Pourtant, d’un air dédaigneux, il me regarde et feint de ne pas savoir.

Je lui rappelle alors, la mort dans l’âme, les mots qu’ils disaient de moi « je suis le traitre, je suis l’israélien, je suis celui qui veut détruire le pays »

Je lui dis encore que je suis celui sur qui lui et cinquante de ses amis se sont acharné sur moi une certaine nuit de novembre. Il a compris que je ne lâcherai pas facilement! Il se trouble, il barbote, un vieux tic le prend, il se mord la langue et me dit « Bon okay, je t’ai reconnu que veux-tu ?»

Il hésite encore à lâcher la bête qui est en lui. Il regarde à droite, à gauche, il cherche la camera, il cherche le piège. Il ne comprend toujours pas comment j’ai osé lui parler. Il sent un traquenard pourtant je n’avais rien fait de cela (malheureusement). Puis il se reprend il referme son manteau se dresse le dos et me dit -un sourire au coin des lèvres
Tu veux quoi ? Tu veux me faire un procès ? Vas-y ! Moi j’ai bien fait mon travail et on verra à la fin, d’ailleurs tes amis marocains ont fait la même chose et vous n’arriverez à rien. »

A l’entendre parler ainsi aussi froidement et aussi détaché qu’il était, je senti une rage immense me submerger. J’avais le souffle coupé, j’avais qu’une envie : c’était de lui casser quelque choses sur la tête ! Je ne sais pourquoi, mais je voulais exister à ses yeux. Il était devenu mon créateur de par l’infamie de son acte. Je voulais avoir une reconnaissance de sa part que je n’étais pas qu’un objet, qu’un jouet avec le quel il a fait joujou lui et ses amis.
-« C’est ça ton travail ? C’est ça ton travail ? Frapper et torturer des gens sans défense ? Des gens appréhendés et immobilisés ? Et tu es fier en faisant ça ? Tu te sens être un homme après ça ?»
Il reste calme même devant mon hystérie. Il reste d’un froid glacial sans remord ni regret.

« Les marocains étaient des terroristes. Ils ont saccagé l’aéroport Ils méritaient ça. Et personnellement, je referais ça avec plaisir. Nous leur seront toujours à l’affut » me répète t-il machinalement.

La colère m’envahit encore plus à la vue que pour ces policiers rien n’a changé, qu’ils sont toujours au-dessus de la loi. Je continue donc dans mon hystérie « Non ! Non ! Je m’en fous de ce qu’ils ont fait ! Une fois arrêtés et hors d’état de nuire tu n’as plus le droit de les toucher »
– « Et tu vas m’apprendre à travailler ? Toi ? » me dit il toujours aussi froidement. Par contre là, ma réponse, cette réponse dont je suis fier (c’est la seule chose d’ailleurs) ! Car vraiment celle là elle l’a énervé
«

Oui je vais t’apprendre à travailler ! Car tu es mon serviteur ! Tu travailles pour moi !! C’est moi le citoyen, ton maître, qui paye tes salaires

»

Un accès de fureur le prend suite à ça. Il me pousse et me dit de continuer mon chemin comme a leur habitude quand ils ne savent plus quoi faire. Là la donne avait changée, c’était maintenant lui qui était le plus déstabilisé. Je lui dis « Quoi tu vas encore me frapper ? Frappe je suis prêt, je ne ressens plus rien de toute façon. »
Il voulait me frapper, je le sais, je le voyais dans ses yeux. Mais le doute qu’il avait quant à la présence d’une camera le bloquait. Si c’était dans une rue déserte il m’aurait sûrement trucidé au regard qu’il avait. Mais là c’était trop risqué.
Il se ressaisit donc et me répète « vas en procès et on verra bien ! De toute façon vous ne pourrez rien faire ni toi ni tes amis marocains ! Vous ne réussirez jamais à nous avoir »

Je lui marmonne « Sa7a lik ! Sa7a lik » et je pars. Malheureusement je suis impuissant (encore)! C’est un combat déséquilibré ! Moi je ne suis qu’un simple citoyen sans arme et sans courage peut- être aussi. Mais lui c’est un policier il a tout le poids de l’état et de sa confrérie luciférienne derrière. Que pouvais-je lui faire ? Que puis-je lui faire maintenant ? Rien peut-être. Mais à quoi bon être né Homme si c’est pour renoncer devant la force brute ! Voilà ce que je me dis. Je continuerai alors mon chemin vers cette utopie de monde sans police et j’essayerai d’y arriver un jour. Mais d’ici là…