Le projet de Constitution devait être prêt pour le samedi 27 avril. Il a finalement été retardé à la demande des experts. Après deux semaines de débats houleux, les constituants s’apprêtent à statuer sur un nouveau projet dont un exemplaire en arabe a déjà été diffusé. Mais les dernières semaines de l’assemblée ont aussi été ponctuées de polémiques. De la motion de censure avortée contre Sihem Badi à la question de l’augmentation du salaire des députés, retour sur trois semaines de débats.
Le vote sur l’Instance judiciaire
La semaine du 8 au 14 avril a été marquée par l’adoption du projet de l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire en présence du Ministre de la Justice. Ce projet a donné lieu à plusieurs désaccords.
Kalthoum Badreddine, présidente de la commission et députée nahdhaouie, a souligné que le désaccord persistait sur la composition de l’Instance (mixte ou exclusivement de magistrats). L’autre point épineux concernait l’exemption, les prérogatives de l’Instance qui manquaient dans la version du texte. La nomination des membres a également suscité le débat.
Le vote de l’article 2 sur la jouissance de la personnalité morale a généré de nombreuses tensions. Deux partis se sont opposés, les tenants d’un amendement de l’article et donc d’une suppression de celui-ci, contre ceux qui ont voulu le conserver. L’article a finalement été voté.
L’article 7 (devenu l’article 5) concernant la présidence de la commission qui supervisera les élections de l’Instance a été adopté avec un amendement selon lequel il faut « mettre à disposition de l’Instance toutes les ressources humaines et financières.» L’article 9 concernant l’exclusion des magistrats qui avaient participé au putsch de 2005 a été approuvé tout comme les articles 10, 12, 14, 17, et 18, le vendredi 12 avril.
Les discussions autour de l’Instance ont repris le mardi 23 avril avec l’adoption des articles 12 à 18, sans le vote de l’article 19, lié à l’article 6 qui n’avait pas été voté. La totalité du projet a été finalement votée le mercredi 24 avril avec 151 voix pour, 4 abstentions et 0 voix contre. Notons que 62 élus étaient absents lors du vote.
La visite de l’ANC par le FMI
Une autre polémique a marqué la semaine. Celle de la visite du FMI à l’Assemblée le mercredi 10 avril au soir. Ce passage en catimini a déplu à certains députés qui n’avaient pas été informés de la visite comme Noura Ben Hassen, élu cpériste. Les journalistes n’ont pas plus n’avaient pas été autorisés à assister à la réunion. Pour rappel, une délégation du Fond Monétaire International s’était rendu le 8 avril à Tunis pour des pourparlers autour d’un crédit pour la Tunisie.
Ferjani Doghmani, président de la commission des finances et député nahdhaoui a pris la parole pour dire que la réunion était « ordinaire » et que plusieurs membres de l’ANC avaient été contactés. La polémique est finalement retombée pour laisser place à la séance plénière.
La motion de censure à l’encontre de Sihem Badi
Un des temps forts de la semaine du 15 avril a été le vote de la motion de censure à l’encontre de la ministre des Affaires la Femme et de la Famille.
Une séance plénière spéciale s’est tenue le mardi 16 avril. Malgré la lecture de la procédure à suivre selon le règlement intérieur sur la motion de censure, certains députés ont exigé de s’exprimer. Après une lecture du rapport du bureau de l’ANC sur l’origine de la décision quant à la motion de censure, la députée Najla Bouriel, initiatrice de la motion a pris la parole. Selon elle, la ministre n’a pas assumé ses responsabilités en tant que ministre de la famille en n’assurant pas la protection de l’enfance dans les jardins d’enfants. Pour rappel, le cas d’un enfant de 3 ans, violé dans une crèche par un gardien avait suscité la colère de l’opinion publique.
La ministre avait commis plusieurs gaffes en s’exprimant sur le cas dans les médias, notamment lorsqu’elle avait laissé entendre que le viol avait été commis par un membre de la famille de l’enfant. La ministre s’est défendue devant l’ANC en déclarant qu’elle avait eu des informations erronées et a demandé d’éviter de politiser l’affaire. Les députés comme Amel Azzouz (Nahdha), Samira Merai (parti Républicain), Iyed Dahmani ( Parti Républicain) et Mohamed Hamdi ont pris la parole face à la ministre. Amel Azzouz et Béchir Nefzi (CPR) ont accusé une « politisation » de l’affaire tandis que les autres députés ont dénoncé le « mauvais rendement de la ministre » au sein de son ministère.
Le vote pour la motion de censure n’a finalement pas récolté assez de voix pour passer. 70 voix pour contre 90 contre avec 14 abstentions. Notons que deux membres du CPR, parti de Sihem Badi ont voté pour la motion de censure. Il s’agit de Samia Abbou et de Lazhar Chamli. La majorité des votes pour ont été du côté des Démocrates dont 33 élus ont voté oui. 69 députés nahdhaouis ont quant à eux voté pour le non avec 0 oui et seulement deux abstentions.
L’augmentation des primes des élus
La semaine du 19 avril a été marquée par une controverse concernant l’augmentation du salaire des élus. C’est Mongi Raoui, député de Watad (Mouvement des patriotes démocrates) qui a relancé la polémique autour du salaire des députés. Il a déclaré dans un quotidien Al Charouk, que l’ANC prévoyait une loi rétroactive pour augmenter le salaire des députés. Pour rappel, le salaire des députés tout comme leur augmentation a déjà donné lieu à des polémiques au sein de l’opinion publique.
Le député nahdhaoui Sahbi Attig a condamné cette accusation disant que le projet avait été proposé par l’administration. La polémique a continué la semaine du 22 avril lorsque le président Mustapha Ben Jafaâr a déclaré sur les ondes de la radio Kalima que certains députés en raison de l’annulation de leur prime au logement étaient réduit à vivre dans des logements collectifs. Au regard de ces déclarations qui ravivent les tensions entre citoyens et élus du peuple, certains députés ont décidé de publier leur fiche de paie. A l’heure actuelle, si l’on regarde la fiche de paie de la députée nahdhaouie Yamina Zoghlami, un député tunisien gagne 2272 dinars.
Pour la députée Kalthoum Badreddine présidente de la commission de la législation générale, les députés sont en droit de réclamer une prime selon l’article 78 de la loi des finances 2013 qui impose un rappel pour des primes au logement et au transport dont les élus n’auraient pas bénéficié. Il serait de 1200 dinars multiplié par 7 soit 8000 dinars sur la base d’économies réalisées par l’ANC après la fin des frais d’hôtellerie selon le témoignage de la députée d’Ettakatol, Selma Mabrouk.
Certains élus comme Mahmoud Baroudi (bloc démocratique) avaient déclaré renoncer à cette prime. Il a été finalement annoncé le 20 avril qu’une conférence de presse serait organiser pour « éclairer l’opinion publique et les médias » sur le sujet.
La Constitution retardée
Prévu pour le samedi 27 avril, la finalisation du projet de Constitution a finalement été reportée selon le rapporteur Habib Kheder, député nahdhaoui. C’est à la demande des experts qui ont demandé de prolonger leur travail jusqu’au mercredi 1er mai que le projet de Constitution a été reporté.
Un exemplaire en arabe a été diffusé. Pour les députés, le projet devrait être adopté d’ici le 8 juillet mais les travaux ont été lents en raison d’un manque de consensus concernant la nature du régime.
Le bloc parlementaire Enndaha continue de rester ferme sur son choix d’un régime parlementaire pur, tandis que les autres partis préfèrent un régime parlementaire mixte dans lequel le Président de la République aurait plus de prérogatives. Un dialogue entre partis politiques et le Président Marzouki a eu lieu vendredi, sans parvenir à un compromis. L’adoption de la Constitution requiert deux tiers des voix dans le vote.
Par Lilia Blaise
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