La présence de plus en plus importante des femmes dans les sphères contestataires pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. Le premier serait sans doute la situation socio-économique des femmes surtout dans les régions de l’intérieur. Alors qu’elles constituent la majorité des diplômés avec 85 % en 2015, les femmes sont les plus touchées par le chômage et le travail précaire. Selon l’Institut National des Statistiques (INS), le taux de chômage des femmes en 2015 est de 23,5% contre 12,4% pour les hommes. En plus, les salaires dont bénéficient les femmes restent inférieurs à ceux des hommes de l’ordre de 18% en moyenne, en atteste le « rapport national genre Tunisie 2015 ». De ce fait, les femmes sont les plus concernées par les revendications des mouvements sociaux.

Si ces données supposent une plus forte présence des femmes dans les mouvements sociaux, le terrain ne l’approuve pas. Car, chaque contestation est fortement influencée par son contexte social ainsi que les convictions et les expériences de ses acteurs. Dans un article intitulé « Ethnographier les mobilisations pour l’emploi à l’aune du genre : rapports à l’objet et relations d’enquête », Abir Krefa et Sarah Barrières, chercheuses en sociologie, affirment que le sit-in de Kasserine, début 2016, a connu une forte mixité et une hétérogénéité des protestataires (présence de diplômés et de non diplômés). Ce qui ne fut pas le cas pour d’autres sit-in pour l’emploi organisés par des diplômés du supérieur dans la même région. « La forte implication des femmes à Kasserine peut s’expliquer par un effet de carrière militante dans une ville qui fut l’un des foyers de la révolution », expliquent les deux chercheuses.

Cette nouvelle mixité en progression, n’est pas isolée d’une lutte, parfois douloureuse. Aida Lahouel, titulaire d’un diplôme supérieur en langue française, est au chômage depuis 10 ans. Elle a pris l’initiative d’organiser à Meknassi une marche des femmes en marge des contestations qui ont secoué cette région en janvier 2017. « Quand nous avons eu l’idée de cette marche, certains hommes étaient réticents et d’autres nous ont encouragé. Après la marche, la majorité des hommes étaient mécontents car les femmes ont lancé des slogans contre la domination masculine », nous confie Aida. « Sur les réseaux sociaux, des hommes de notre propre ville nous ont traité de tous les noms. Et je continue jusqu’à maintenant à recevoir des remarques intimidantes de la part de certains », ajoute la jeune militante.

À Menzel Bouzaiene, les réactions étaient mitigées quand les femmes en sit-in mixte ont décidé de prendre leur indépendance suite aux intimidations perpétuées contre elles. « Un sit-in de femmes est une résistance contre l’ordre masculin établi. Cependant, ça reste aussi une forme d’aliénation au patriarcat. Car les habitants voient d’un très mauvais œil la mixité dans l’espace public. Le fait d’être seules dans le sit-in leur permet une certaine légitimité et diminue la pression sociale » explique Fatiha Bousselmi, enseignante et sympathisante du sit-in « Manich Sekta ». Actuellement interdites d’accès au local de la délégation, les femmes de Menzel Bouzaiene essayent depuis deux mois d’installer une tente dans la rue. « En plus des difficultés logistiques et des menaces du délégué régional, les militants de la société civile ici ignorent nos appels au secours », explique Yasmine Hidouri, porte-parole du sit-in.

En sit-in depuis janvier 2016, les jeunes diplômées de Sbeitla, sont plus nombreuses que les hommes, et pourtant, discriminées. « Le leadership est réservé aux hommes. Le groupe prend ses décisions collectivement et il n’y a pas de grands conflits mais les hommes sont plus écoutés que les femmes. Durant les négociations avec le gouverneur ou le délégué ou en cas de visite à Tunis pour rencontrer un ministre, la mission n’est confiée qu’aux hommes », témoigne Khouloud Ajlani, militante des droits humains qui soutient le sit-in. Pour leur part, le travail de recherche d’Abir Krefa et Sarah Barrières apportent le même constat. « Quand on étudie l’engagement des femmes, les hommes s’avèrent aussi être très souvent une contrainte. Les acteurs les plus visibles de la protestation et les plus rompus à la prise de parole publique étant surtout des hommes […] », écrivent-elles.

Depuis sa création, le 21 mai 2016, la coordination nationale des mouvements sociaux, soutenu et encadré par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), ne compte par ses membres aucune femme. D’ailleurs, dans le paysage associatif, les inégalités du genre sont plus régionalisées. Au sud tunisien, les associations ont moins de 60% de membres femmes alors que les associations des gouvernorats du nord comptent plus de 70% de femmes. Pareil sur le plan syndical où les femmes sont peu syndiquées et peu représentées. En témoigne la composition du bureau exécutif de l’UGTT. Nolens volens, même les partenaires potentiels des mouvements sociaux n’échappent pas à la domination masculine.


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