Plus de huit ans après les agressions contre Mondher Sfar et Ahmed Manaï, la Deuxième Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Paris, a confirmé en date du 25 mai 2004, l’ordonnance de non-lieu prononcée en date du 25 septembre 2001, par le juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris.

L’arrêt de la Cour, très motivé, relève comme à la fois réelle la gravité des faits dont ont été victimes les plaignants et légitime leur besoin de justice et estime que les investigations menées ont été complètes et qu’en l’état, un supplément d’informations hypothétique ne pourrait pas ou plus permettre d’identifier avec certitude l’auteur ou le commanditaire des agressions.

Bref rappel des faits :

Le vendredi 29 février 1996, vers 17heures 15, alors que Ahmed Manaï rentrait chez lui dans la banlieue sud de Paris et qu’il était à quelques mètres de l’entrée de son immeuble, deux individus l’agressèrent de dos. Le premier lui asséna un coup sur la tête à l’aide d’un objet tranchant. Et au moment où la victime perdait connaissance et tombait par terre, le second lui asséna un coup de poing sur le visage.

L’attroupement de voisins et de passants qui s’en est suivi a empêché les agresseurs de continuer leur besogne et les a obligé de prendre la fuite en direction d’une voiture stationnée en bas de la rue et où les attendait leur troisième complice.

Transporté d’urgence à l’hôpital, la victime s’en tira avec un traumatisme crânien et un œil au beurre ayant nécessité dix jours d’interruption totale du travail (ITT).

Le lundi 3 mars, une plainte contre X a été déposée avec une description détaillée des agresseurs, présentés comme étant des Tunisiens.

Le 22 avril 1996, à 15 heures 20, Mondher Sfar sortait de chez lui au 1 rue Cassini à Paris 14è et arrivait au niveau de la rue d’Assas, quand deux individus l’agressèrent : le premier l’immobilisait par le dos alors que le second lui portait un coup de couteau à la joue, lui occasionnant une plaie suturée par 13 points et une incapacité totale temporaire de 30 jours.

En fait, selon les témoignages des riverains, trois individus de type maghrébin, participèrent à l’agression, le troisième se tenait à l’écart pour couvrir la fuite du groupe. Ils avaient attendu longtemps leur victime avant que celle-ci ne sorte de chez elle et ne s’engage dans la rue d’Assas.

Une plainte contre X a été déposée auprès de la police le lendemain de l’agression.

Le 14 mars 1997, à 17 heures 15, alors que Ahmed Manaï rentrait chez lui dans la banlieue sud de Paris et qu’il ne lui restait qu’une dizaine de mètres de la porte d’entrée de son immeuble, deux individus l’agressèrent, toujours de dos : le premier lui asséna un premier coup sur le front à l’aide d’une batte de basball, puis, une fois la victime par terre, de nombreux autres coups sur les pieds et les cuisses.

Le second l’aspergea d’une bombe lacrymogène et s’acharna sur lui, en lui donnant de nombreux coups de pieds sur les côtes.

La victime a dû être hospitalisée pendant 5 jours et s’en sortît avec 15 points de suture et 25 jours d’interruption temporaire de travail (ITT).

Une plainte contre X a été déposée.

Au bout de quelques jours, le parquet chargea la brigade criminelle du DRPJ de Versailles de l’enquête dans les trois agressions.

Une deuxième plainte contre le Président Ben Ali, en tant que commanditaire des trois agressions a été déposée par Mondher Sfar, Ali Saïdi et Ahmed Manaï.

Cette dernière a été rapidement rejetée.

Les trois agressions ont été précédées d’une campagne de dénigrement, d’intimidation et de menaces de mort contre les victimes, menée par des publications éditées par des sbires du pouvoir, tout au long des années 1995, 1996 et 1997.

Dans les faits, les agressions ont été perpétrées au lendemain de la parution d’articles de presse et ce dans les conditions suivantes.

La première agression contre Ahmed Manaï, a été perpétrée deux jours après la parution sur le journal Al- Hayat de Londres, d’une information relative à l’incendie criminel des magasins de la société Letaïef dans la banlieue de Tunis ; incendie attribué à un commando des services spéciaux tunisiens agissant sur ordre personnel de Ben Ali. Le journaliste d’Al- Hayat avait cité nommément sa source.

L’agression contre Mondher Sfar faisait suite à la lettre ouverte qu’il venait d’envoyer dix jours plus tôt au Pape, à la veille de sa visite officielle en Tunisie et dans laquelle il donnait au Souverain pontife un bref aperçu sur la situation des droits de l’homme en Tunisie.

La deuxième agression contre Ahmed Manaï est venue une semaine après la publication d’un article sur les colonnes du journal l’Audace, dans lequel il rappelait aux Tunisiens certaines vérités sur le régime de leur pays.

L’article a été jugé suffisamment violent, semble-t-il, pour que Ben Ali, passant outre ses services officiels, donne lui-même le feu vert à ses sbires en France pour « régler l’affaire » en courant le risque de menacer sérieusement le bon déroulement de sa visite officielle dans ce pays, prévue initialement au courant du printemps 1997.

Une publication parisienne révéla quelques mois plus tard, que les services français avaient enregistré le 14 mars 1997 à 9 heures du matin, un appel téléphonique, provenant de Carthage et où il était question « de régler l’affaire »….

Rien d’étonnant dans ces conditions que le haut fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur Français, dépêché à Tunis une semaine après cette agression pour rappeler ses collègues tunisiens à plus de retenue, s’est vu répondre qu’ils n’étaient pour rien dans cette agression et que celle-ci était le fait du Mossad Israélien.

Le correspondant Parisien de l’appel téléphonique en question, n’était autre que le responsable du Rassemblement des Tunisiens en France. Curieusement, ce dernier a toujours refusé d’être entendu par les enquêteurs de la brigade criminelle et de répondre aux convocations du juge d’instruction. Il ne jouissait pourtant d’aucune immunité diplomatique.

Mais voilà que les choses se gâtent entre Ben Ali et son homme de main à Paris. Nommé après les élections de 1999, chargé d’affaires à l’ambassade de Tunisie au Cameroun, ce dernier ne resta que quelques semaines à son poste et retourna s’installer en France… Dans la nuit du 30 janvier 2000, sa Renault 25, immatriculée 481 MSV 75 dérape et percute une autre voiture à l’entrée de Vervins, une petite ville du Nord. Il est mort sur le coup.

Malgré la brouille, Ben Ali ne laissa pas tomber la femme et les enfants de son homme de main, d’autant qu’il ne payait pas de sa poche. Ainsi il leur attribua un Henchir du domaine public à Mornag.

Au mois de mars 2000, un de ses anciens amis vient trouver Ahmed Manaï et lui confie que, un mois avant sa mort, le défunt lui avait exprimé ses profonds regrets d’avoir organisé l’agression et qu’il ne l’aurait jamais fait si « Ben Ali lui-même ne lui en avait donné l’ordre, ce matin du 14 mars 1997 à 9 heures ».

Avec l’Ordonnance de la Cour d’Appel de Paris, l’affaire de ces agressions est close.

Et, pour tourner définitivement la page, je prie ALLAH d’avoir pitié de l’âme de l’homme de main, auquel j’avais déjà tout pardonné le soir où j’avais appris sa mort et bien longtemps avant que ne me parviennent les échos de ses regrets tardifs, étant bien convaincu « qu’il y a des cieux dans l’âme qui gouvernent les cieux de ce monde » comme l’enseignent les Soufis.

Mais que de regrets d’avoir fui ma patrie, au moment où le devoir m’imposait d’y rester, et demandé asile et protection au pays qui, selon l’expression de Gilles Perrault « protège le bourreau de mes compatriotes ».

Que de reconnaissance et gratitude aussi, profondes et sincères, envers tous ceux qui nous ont soutenus, Mondher Sfar et moi-même, au premier rang desquels Maître Jean-Daniel DECHEZELLES, notre Conseil et Défenseur dévoué tout au long de ces huit dernières années, en passant par l’Alliance Zapatiste de Libération Sociale( AZLS) qui avait organisé à l’époque les deux premières manifestations contre le régime Ben Ali à Paris…et bien d’autres encore.

Une pensée enfin à la mémoire de feu Ali Saïdi qui, des trois plaignants, a été le premier à payer de sa vie, un crime de lèse-majesté.

* Comité Tunisien d’Appel à la Démission de Ben Ali.
Association fondée le 12 janvier 1993.