« Où finit la culture et où commence le commerce ? – Je dois plaider l’incompétence en la matière. » [2]
« L’entrée dans l’ère post-coloniale inverse dans l’ensemble du système des Nations unies le rapport de forces entre les pays du Sud et ceux du Nord. L’Unesco devient l’épicentre des débats sur l’échange inégal et l’ ” impérialisme culturel”. » [3]
Les mythes ne sont pas l’apanage des seules sociétés archaïques, là où la raison cartésienne avait échoué à se frayer un chemin dans l’imaginaire collectif, et là où le positivisme a perdu sa bataille contre les fiefs de la superstition, des croyances religieuses ou même des divagations des fous et du fétichisme des marabouts et des grigri men. Les sociétés même les plus « avancées » constituent, elles aussi, une proie facile à un autre genre de mythes, plus sophistiqués et plus difficiles à vaincre que les mythes anciens, faits de racontars, de contes, de croyances non fondées et d’amulettes. Les sociétés post-modernes ont fabriqué leurs grigri men, ces professionnels de la communication, l’art de façonnage et de manipulation de l’esprit humain.
Le développement, les valeurs universelles, la culture universelle, la mode, le chauvinisme scientifique, la modernité, la liberté, l’égalité, la fraternité et presque tous les « …ités » sont les mythes qui accablent l’homme dit moderne, surtout celui qui a été dénommé « non-développé » ou « en-voie-de-développement », puisque avec ces deux derniers le mythe s’est transformé en un fantasme obsédant, puis en une hantise maladive presque incurable. Dans sa présentation d’un livre qui trace la formation de l’un de ces mythes modernes les plus nuisibles, celui qui a saccagé tout le continent africain et le monde arabe, qu’est le développement [4], Silvia Perez-Vitoria nous apprend que : « De la déclaration des institutions internationales de développement à l’émergence des ONG, les doctrines se sont succédées comme autant de métamorphoses d’un même mythe. Les fidèles n’ont cessé de s’accrocher à une espérance collective, celle du bien-être matériel généralisé, refusant de voir une réalité faite de destructions, de croissance des inégalités et d’extension de la misère. (…) Le développement est devenu une réalité virtuelle à laquelle on feint de croire pour donner un sens aux pratiques sociales. »[5]
La mission première des mythes modernes comme ceux anciens est de perpétuer le statu quo, de prévenir la rébellion contre l’ordre dominant, de maintenir une croyance collective en des principes, des enseignements, des recettes trompeuses et des valeurs irréelles et inexistantes dans le temps et l’espace réellement vécus. Comme les drogues, ils sont : « des paradis artificiels » -si on emprunte le beau terme de Baudelaire-, faites d’illusions, et d’une consommation destructrice du quotidien. « nous ne sommes pas devenus modernes ; nous sommes devenus des consommateurs de produits modernes » avait un jour averti l’intellectuel iranien Ali Chariati dans sa brillante étude « Civilisation et modernisation ».
Y a-t-il de différence entre un cheikh rétrograde dans les montagnes afghanes et un scientifique ou économiste ou professionnel de marketing ou de la communication dans les plus hautes universités ou entreprises américaines, si l’un comme l’autre ne font que consolider leur système respectif, leur vérité spécifique, leurs enseignements « véridiques et vérifiés » et leur propre « Voie de la Raison » ? L’un domine au nom de la charia, l’autre au nom de la raison et l’autre au nom du capital. Tous visent à faire perdurer leur système de pensée, leur façon de vivre, leur puritanisme crispé ou leur american way of life, déréglé par le truchement d’une armada de mythes forgeant le sentiment d’appartenance et de supériorité. « Le mythe n’a alors aucune pertinence objective ; il continue à exister seulement à travers l’effort de la communauté des croyants et de leurs guides, qu’ils soient prêtres ou prix Nobel. » [6] Une seule chose différencie le cheikh afghan de l’universitaire américain et fait qu’ils s’affrontent : la logique de la domination ; l’un est dominant, l’autre dominé. L’un menace le système mondial, ce McMonde, par sa résistance religieuse « barbare » à l’invasion de la « modernité », par la volonté mortifière de survie de son identité qu’on nomme communément Jihad. L’autre, menace par son ingérence morale et idéologique, par sa machine militaire écrasante, par ces capitaux fluides et sa recherche « barbare » de gains et de profits. « Le McMonde reste certainement le plus formidable rival du Jihad (…) et Même si le McMonde parvient finalement à intégrer le monde commercialement, rien ne garanti qu’il le rendra plus démocratique ou respectueux des droits. » [7] L’unité de mesure du temps pour le musulman est l’instant, avait dit un jour l’un des piliers oubliés de la culture universelle : l’Imam Ali. « Chaque époque a des circonstances si propres à elle-même, elle est un état si individuel qu’elle doit nécessairement décider en elle-même et à partir d’elle-même et que c’est seulement ainsi qu’on peut décider » disait de sa part Hegel dans sa philosophie de l’histoire [8]. L’époque dans laquelle nous nous trouvons, actuellement, cet instant, est ce qui compte vraiment. Et c’est elle qui devrait être le critère de notre vision du monde contemporain et non pas les valeurs dites universelles issues de la révolution française ou de l’ère des lumières dont la conséquence directe, qu’on oubli toujours, était le colonialisme ou la destruction de l’être non européen. Nous sommes les fils et les filles de l’instant et cet instant, cet « état si individuel » qui caractérise notre monde d’aujourd’hui est régi par le principe de la domination et non par celui du droit, de la liberté et de la démocratie. Les relations internationales sont une arène proprement dite où le plus fort mange le plus faible et où le plus riche use du mensonge comme arme de dissuasion intellectuelle contre tout ce qui a un penchant à la résistance. L’empire des médias, ce temple qui entretien le mythe de la liberté de l’information, nous voile les ravages que provoque l’empire du capital dans le monde. Les brèves de l’information, dans cette ère où les moyens de communications sont pourtant le secteur qui profite le mieux des avancées de la science, ne nous rapportent des quatre coins du monde que des faits explosifs, alors que le principe même de la science qu’est la causalité nous est délibérément soustrait.
Revenons maintenant à l’un des mythes qui m’a poussé à écrire cet article et qui est « la culture universelle ». Que voulons-nous dire par culture universelle ? Est-ce le fait d’aller dîner dans un restaurant chinois, d’entendre une fois par an un rythme africain, de manger un couscous maghrébin ou un sandwich felefil égyptien peuvent-être considérés comme des exercices de la culture universelle ? Quel est notre part, nous autres arabo-musulmans, dans cette culture universelle à part des êtres mythiques consacrant la même image de cet Orient du fantastique, à l’instar de Shéhérazade et ses créatures : Aladin, Ali Baba et Sindbad, le Simorgh… ? Quelle place occupe notre culture, à côtés de la culture africaine, asiatique, latino-américain, amérindienne, russe ou même Est-européenne dans la culture universelle, celle du simple consommateur, comme nous le sommes dans le domaine de la science, de la technique, de l’économie et de l’art, ou au contraire, des pourvoyeurs d’une portion universelle de la culture, renouvelée, entreprenante et réellement présente dans l’esprit du citoyen du monde, cet être qui aspire occuper le rôle du dépositaire de la culture universelle ? La culture universelle n’est-elle pas en fait la culture occidentale globalisée avec une retouche d’occidentalisation des quelques apports non-occidentaux des autres cultures ? Hollywood n’a-t-elle pas parvenu à réinventer Aladin et Sindabad, et le conte Hay Ibn Yaqdhan ( Le Vivant Fils du Vigilant) du philosophe Ibn Toufayl (Aboubacer) devenu Robinson Crusoé et son ami Vendredi ? Ibn Sina (Avicenne), Ibn Rochd (Averroès), Ibn Toufayl (Aboubacer), Ibn Badjdja (Avempace), Ibn al-Haythem (Alhazen) et d’autres philosophes, médecins, astrologues, et mathématiciens musulmans, n’ont-ils pas perdu l’originalité arabe de leur nom au point que rares sont les personnes qui réalisent leur vrai apport dans la construction de la civilisation humaine et surtout dans le domaine du rationalisme réformateur de la raison religieuse qu’on veut rendre une trouvaille de la raison gréco-latine ? Pourquoi a-t-on modifié leurs noms arabes, occulter et rejeter leur contribution dans la formation de la culture universelle ? « Les deux moments mythiques de la première construction européenne, disons de sa fondation culturelle – la Renaissance et les Lumières-, ont un point commun : la haine de l’Orient et l’arabophobie. »[9]
Sans la reconnaissance de l’égale dignité et de l’égale valeur des différentes cultures humaines, aucune culture universelle ne peut éclore dans l’esprit de l’Homme moderne. Tant que l’un impose aux autres la règle du jeu culturel, la circulation de l’information, et défini pour tout un chacun et de la façon la plus totalitaire la bonne et la mauvaise culture, on ne peut pas parler de culture universelle ni de valeurs universelles mais de domination culturelle, d’acculturation, d’aliénation. « Nous sommes tous assis chacun dans son passé / Le comptant sur les doigts par crainte de l’oubli/ Et lorsque l’un dit Je l’autre Que veux-tu dire ? »[10] Il n’y a pas de culture universelle proprement dite si un inter échange équilibré n’est pas assuré entre les diverses cultures humaines. S’ouvrir uniquement sur la culture occidentale sous prétexte que c’est le meilleur exemple de l’ouverture culturelle n’est que la continuation de cette même aliénation, fille adoptive de la colonisation qu’est l’acculturation.
Revenons à nous, pour ne pas être accusé de repli anti-occidental ou de crispation identitaire. Nous Tunisiens, tant que nous ne réintégrons pas notre identité arabo-musulmano-afro-méditérranéenne nous serions la victime de nous-même, de notre propre ostracisme. Tant que nous continuons à inscrire notre histoire selon le calendrier chrétien, tant qu’on chôme selon les fêtes judéo-chrétiennes, qu’on célèbre Noël et le nouvel an chrétien – mais jamais l’an chinois ou musulman ou le Nourouz kurde et persan -, et qu’on fête le saint Valentin et la sainte Sophie, qu’on se réfugie dans une langue étrangère, bref qu’on se noie dans la culture occidentale, cela équivaut-il à prétendre appartenir à une culture universelle ? Pourquoi écrivons-nous en français et persistons à vouloir toucher le peuple, à l’appeler à assumer sa citoyenneté, alors que nous savons que la majorité de notre peuple préfère lire en arabe ? « Se résigner à écrire dans une autre langue que celle de la majorité de la nation, c’est perpétuer le fossé entre [l’écrivain] et la rue, entre le menu peuple et les privilégiés de l’argent ou de la culture. Les conséquences ne sont pas seulement d’ordre moral : la mise à l’écart culturelle de la majorité d’un peuple a, très probablement, des résultats socialement et économiquement néfastes. »[11]
Qui est bête en fait, l’élite ou le peuple ? Sommes-nous des citoyens ou un perpétuel indigénat fidèles prisonniers de l’état de la « négritude » ? Qui est le vrai acculturé, l’ensorcelé par les « lumières de Paris », par le mythe de la métropole, l’élite ou le peuple ? « Paris [ pour ne citer que cet exemple] continu à exercer sa despotique fascination sur quiconque parle français, et même sur ceux qui ne le parlent pas. »[12] Peut-on aujourd’hui en Tunisie revendiquer le week-end islamique du jeudi/vendredi ou le calendrier musulman sans être taxer d’intégristes ou d’obscurantistes ? N’est-il pas en notre droit et devoir de récupérer les éléments symboliques de notre identité, ceux-même qui forment les fondements de notre appartenance à une spécificité culturelle en extinction, même si cela paraît outrancier aux yeux de notre trop progressiste élite toujours en décalage par rapport à la réalité ? « Nous voici devant ce troublant problème de l’identité collective (trop important pour l’évoquer longuement) et qui obsède tant de jeunes nations : pour réussir l’unification d’un peuple, sa constitution en nation moderne, ne faut-il pas postuler quelque profonde identité commune. »[13] Peut-on aujourd’hui appeler à la relecture d’Ibn Arabi, d’Ibn Rochd, d’Ibn Tofayl, de Djalaleddine Roumi, de Mansour Hallaj, de Omar Khayyam, voire du Coran et de la tradition prophétique ou mystique sans risquer les foudres de nos compatriotes, épris de la culture universelle version occidentale ? Peut-on vraiment revendiquer une renaissance lorsque notre gigantesque héritage culturel, philosophique, moral, mystique et juridique nous est totalement dérobé ? Allons-nous débuter par le zéro présent et interrompre notre contact avec ce passé millénaire ou continuer le long chemin de la formation de la raison musulmane ou arabe, qui est certes en crise mais qui n’a jamais cessé d’habiter l’esprit de nos peuples ? « Aujourd’hui encore, les musulmans ne savent pas comment parler de cet âge d’or [l’âge classique de la pensée islamique du VIIe au XIIIe siècle] car il existe un retard considérable de la recherche historique islamique. Incapables de comprendre notre héritage, nous ne sommes pas d’avantage en mesure de dialoguer sur un pied d’égalité avec les Européens en vue de la fondation de nouvelles valeurs. L’Islam contemporain a aussi oublié les brides de la modernité que les intellectuels islamique, et plus particulièrement arabes, ont tenté d’intégrer au cours de la période qui, au XIXe siècle, a été appelé « la Renaissance ». Cet oubli s’explique largement par le fait que la modernité a eu un impact négatif sur les colonies, puisqu’elle a associé à ses apports bénéfiques une domination et une dénégation des cultures. » [14] avait noté l’éminent Mohammed Arkoun dans une intervention à l’Unesco, le 8 décembre 2001, à propos des Dialogues du XXIe siècle. Sans un puissant retour réformateur aux sources, sans une lecture actualisée du passé ne risque-t-on pas de déposséder notre nation, encore fragile, des ressources de sa tradition dont elle a le plus grand besoin ?
Nous priver de notre passé, comme le veulent certaines réformes louches de l’éducation – à l’instar de celle introduite par M. Charfi -, de cette culture qui nous est devenue à l’aune des jours étrangère, constitue le moyen le plus subtile de stériliser toute évolution de notre présent et reproduire inlassablement le même cycle de domination qui depuis des siècles nous aliène. Le système économique, politique et, surtout, culturel actuel conduit inéluctablement à la destruction de tout ce que nous possédions comme bien moraux et matériaux sur l’autel de l’hypercosummérisme occidental. La mondialisation de la misère et l’occidentalisation du confort, du progrès et de la liberté sont la seule réalité vécue ; c’est le miroir du monde. Alors que les valeurs dites universelles ne sont que des cadavres inanimés, des momies d’un temps qui n’a jamais existé en dehors des murs de la citadelle occidentale. « Aujourd’hui c’est le reste du monde, que l’on n’appelle même plus tiers-monde, qui est réduit à l’état de résidu. » poursuivi le même Arkoun à la même occasion.
Questionnons le mythe du libre-échange : est-ce que le protectionnisme américain ou la subvention de l’agriculture européenne sont compatibles avec les normes imposées par les institutions économiques dites « mondiales » aux pays du Sud ? Questionnons le mythe du droit à la santé : est-ce que les multinationales pharmaceutiques respectent la déontologie du métier lorsque tout le continent africain est l’otage de sa situation de patient privé de médicaments ? Questionnons le mythe de la culture universelle, l’art et la culture : est-ce que les productions cinématographiques, littéraires et artistiques du tiers-monde sont capables de concurrencer ceux du Nord et surtout ceux de l’épicentre américain ? Questionnons le mythe de la liberté : est-ce que les peuples du Sud ont droit à la liberté de mouvement, de passages des frontières, de parole…etc. ? Questionnons le mythe du droit international : est-ce que les relations internationales sont soumises aux mythes des valeurs universelles de démocratie, de liberté et des droits humains ou à la loi de la jungle ?
Le système mondial actuel dans lequel nous occupons en tant que population arabo-musulmanes, à côté d’autres peuples de la planète, la place de dominés n’est ni réformable, ni remédiable ; il est à détruire, à défaire et à refaire. Notre part de paresse intellectuelle, d’acculturation ou d’abêtissement (Istihmâr), selon le terme de l’intellectuel iranien Ali Chari’ati, sont aussi à détruire. Et, c’est par la destruction de ces mythes ultramodernes qui sont parvenu à aveugler notre raison que commence le chemin de la libération de cet ordre de l’inhumain. Nous menons une guerre à double front, sur le premier nous affrontons les fiefs de l’ignorance, notre ignorance de nous-même, de la mainmise de cette interprétation périmée de la religion sur nos têtes, de la culture de la soumission « fataliste et fatalisante » aux diverses structures de domination ; sur l’autre front nous affrontons les mythes modernes qui veulent hypothéquer à l’infini notre avenir et notre esquisse de l’avenir.
Les crispations identitaires, les retours aux sources et les souffles nationalistes ne sont que la traduction de la perte de prestige et le désenchantement à l’égard des valeurs occidentales de liberté, de droit de l’homme et de démocratie que l’occident ne les respecte pas lorsqu’il agit avec les autres nations et cultures. S’accrocher, comme nous sommes en train de faire, à la seule bouée de la culture dite universelle dont les chemins ne mènent qu’à Rome, c’est à dire à cet appétit de l’Empire qui obsède tant les architectes du McMonde, ne peut pas être considéré comme attachement à la culture universelle mais comme une soumission fataliste à l’universalisation de la culture occidentale et à cette uniformisation des être humains qui tend à faire de nous les sujet d’une civilisation morte, d’une langue morte et d’une culture morte. « L’Amérique enjambe le monde comme un colosse (…) Depuis que Rome détruisit Carthage, aucune autre grande puissance n’a atteint les sommets où nous sommes parvenu. » [15]
Même si on feint d’oublier qu’entre l’empire de Rome et celui rêvé par les américains un autre empire avait bel et bien existé, que la conscience occidentale veuille toujours omettre, celui de l’Islam, nous en tant que fils de cet islam, même sans un présent considérable, nous résisterons pour que ce nouvel empire n’effacera pas notre projet de renaissance. Et même si Ronald Reagan, l’un des architectes, à côté de Thatcher, du néolibéralisme, ce puissant mythe qui, depuis les années quatre-vingt, nous promet confort et démocratie, avait prétendu que « Nous [américains] voulions changer une nation et nous avons changé le monde »[16], nous le dirons à la manière d’un proverbe dont j’ignore l’origine : « Nous faisons ces choses non pour changer le monde mais pour empêcher qu’il ne nous change. »
Cette apparente crispation identitaire et cette revendication du retour à nous-même ne nous prive pas pour autant de promouvoir notre culture musulmane, universelle et humaniste, ouverte à toutes les communautés vers la construction du rêve suprême islamique qu’est l’Homme Universel « al-Insan al-kamel » qu’avait traité Al-Jilli dans son livre portant le même nom et reprise après lui par Ibn Arabi et le reste des mystiques et philosophes de la sagesse orientale ou la « théosophie ». C’est à l’intérieur de l’Homme Universel que tous les états possibles de l’être, ensommeillés dans la plupart des hommes, se réalisent. Il est l’archétype de la création qui avec son union avec l’Un atteint ce que Sohravardi, le grand mystique et poète iranien, maître de la philosophie illuminative (Falsafat al-ichrâq), appelle le non-lieu (Na Kôja Abad) qui contient en même temps tous les autres lieux imaginables et inimaginables, – conception de l’être qu’Henry Corbin a amener en Occident.
Nous laissons à un autre article le traitement de cet aspect musulman de la culture universelle et son produit singulier qu’est l’Homme Universel ou le citoyen du monde version musulmane`, pour terminer par ce beau vers d’Ibn Arabi, l’un des représentants les plus magnifiques de l’Homme Universel – qui détint encore le record de la production intellectuelle jamais effectuée par un être humain : plus que huit cent cinquante ouvrages- : « Mon cœur est capable de toutes les formes. C’est une pâture pour les gazelles, un couvent pour les moines chrétiens, un temple pour les idoles, la Kaaba du pèlerin, les Tables de la Loi mosaïque et le livre du Coran. Je me lie par la religion de l’amour. Quelle que soit la route que prennent ses courtiers ! L’amour est ma religion, l’amour est ma foi. »[17]
Notes :
[1] Le terme est tiré d’un article de Benjamin Barber « Djihad vs. McWorld :mondialisation, tribalisme et démocratie. », Futuribles, nº170 novembre 1992 : « Des forces économiques et écologiques qui exigent l’intégration et l’uniformité et qui hypnotisent le monde à coup de hard rock, d’ordinateurs surpuissants, de fast food, de MTV, Macintosh et MacDonald, en serrant les pays dans un réseau mondial commercialement [donc culturellement] homogène : un McMonde relié par la technologie, l’écologie, les communications et le commerce. »
[2] Propos du négociateur en chef de la Zone de libre-échange des Amériques à la veille du sommet de Québec (avril 2001).
[3] Art et argent, histoire d’une soumission, par Armand Mattelart, Le Monde diplomatique, septembre 2001.
[4] Lire : Développement. Histoire d’une croyance occidentale, de Gilbert Rist, Press de Sciences-Po, Paris, 1977.
[5] Voire la rubrique : Livres de Manière de Voir nº58, p.76.
[6] Contre la méthode, Paul Feyerabend, Editions du Seuil, 1979, p. 46.
[7] Benjamin Barber, « Face à la retribalisation du monde », Esprit, juin 1995.
[8] Hegel, Philosophie de l’histoire, in Werk, Berlin, Éditions Edward Gans, 1837, vol. 9, p. 9.
[9] Fractures en méditerranée, Alain de Libera, manière de voir nº64, p. 12.
[10] Aragon, Le fou d’Elsa, Editions Gallimard, 1963, p. 276.
[11] Fractures en méditerranée. Op. cit.
[12] La patrie littéraire du colonisé, par Albert Memmi, Le Monde diplomatique septembre 1996.
[13] Ibid.
[14] Mohammed Arkoun, Islam et Europe : mortelle amnésie, le Monde du 14 décembre 2001.
[15] Rêves d’empire, par Philip S. Golub, Manière de voir nº60, p. 14.
[16] La défaite du Sud, par Serge Halimi, Manière de voir nº58, p. 83.
[17] Ibn Arabi, Tarjumân al-ashwâq (L’Interprète des désirs), Beyrouth, 1961, p. 43.
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