La Tunisie modernes souffre depuis le début, depuis sa naissance par césarienne, de deux très graves maladies mortelles : la calamité de la division et l’horreur de l’intolérance. C’est notre déshonneur national, les tunisiens ne s’aiment pas en tant que vérité, en tant que peuple.

Ils s’intègre facilement chez les autres, ils participent aux luttes de libération qui font l’honneur du genre humain, on les trouve partout et dans toutes les mouvances politiques, idéologiques, sociales des nations les plus avancées, ils se font remarquer par leur esprit de synthèse et de sacrifice , par leur volonté et leur abnégation à s’opposer aux menaces liberticides, et même au désordre des sentiments qui traversent et troublent en profondeur les sociétés modernes, cela est aisément vérifiable dans toutes les grandes démocraties de ce monde si complexe, les tunisiens tiennent la route en tout et partout, sauf chez eux. Ils ont même de l’affection pour leurs racines et entre eux, ils apprécient beaucoup leur histoire et leur pays ; mais politiquement dans leur environnement ils ne se supportent pas, ils sont puérils et désarmants d’attentisme et de laisser aller, comme si la Tunisie pour eux est devenue plus qu’une affaire secondaire, pour ne pas dire une affaire dépassée et qui ne les concerne plus, comme si à leurs yeux par l’abjuration d’une violence barbare qui les terrorise, elle n’existe plus et n’est plus qu’une idée réformée hors de tout champ pragmatique ou passionnel, hors de toute vision historique, hors de toute projection réactionnelle, hors de toute histoire, hors de tout élan civilisateur.
Cela peut paraître paradoxal, mais c’est ainsi. Ce vieux peuple cosmopolite, ce mémento d’un melting-pot avant l’heure qui ne s’est jamais défini ou renié dans le temps et l’espace, ce peuple qui se fait une si haute et belle idée de lui-même, se déchire à belles dents et sans aucune retenue, comme la dernière tribu de sauvage venue. Ce peuple généreux et solidaire lorsqu’il s’agit de simples relations privées, à plus fortes raison amicales et familiales, se montre terre à terre, sensible, doux rêveur, menteur, sentimental et poétique, se montre archaïque, pervers, cruel, suffisant, rancunier, intolérant, expéditif, étroit et totalement sectaire, dés qu’il s’agit de pratiques citoyennes et politiques, d’engagement transparent et catalyseur, dés qu’il s’agit de s’inscrire dans un projet national ou régional qui doit être crédible pour se libérer de la tyrannie qui l’avilisse.

Les tunisiens sont nationalistes et patriotes souvent jusqu’à l’aberration et l’aveuglement, mais ils n’ont aucun esprit de résistance, ils n’ont jamais résisté, aux démons des mesquines rivalités et des déchirements fratricides. Là dessus, ils ne connaissent ni limites ni bornes ni retenue. Face à la dictature et dans n’importe quelle démarche politique de rassemblement ou d’union, qu’en apparaisse seulement l’ombre ou le reflet d’une idée, d’une suggestion ou les prémisses d’un engagement valable. Et c’en est tout aussitôt fini de la tempérance, de la logique, du réalisme, de l’intelligence et de la simple convivialité qui nous désigne au reste du monde. La Tunisie est comme un héritage familial indivise, tous disent l’aimer et chacun égoïstement la veut pour soi sans aucun respect pour ses réalités, pour les autres, tous ses acteurs politiques de l’opposition font peu ou prou le jeu de la dictature et n’en finissent pas de s’entre excommunier. La fureur et la démagogie des appareils politiques de l’opposition ont une coloration inexorablement tribale et même clanique. Si l’on tient compte que le pouvoir en Tunisie a toujours été dictatorial, on peut dire, sans avoir peur de se tromper, que l’avenir politique du pays ne sera pas de tout repos et que l’après ben Ali ne sera pas répondre aux attentes d’un peuple tunisien déchiré, on pourra craindre que la démocratie et l’alternance longtemps désirées et souhaitées feront figure de graal enfin possédé pour les uns, de viol pour les autres et de psychodrame pour nous tous.