Le colloque qui s’est tenu à Asilah du 12 au 14 août sous le thème de “l’islam vu par nous et par les autres” a été l’occasion de mettre quelques points sur quelques “i”. Possibilité d’une relecture de l’islam, l’existence de plusieurs islams, la déconstruction du texte énonciateur, la fin du nombrilisme islamique et le procès de soi pour éviter les complaisances. Autant de sujets et d’interventions pour réfléchir la question de l’islam sous le prisme d’une volonté sincère de toucher du doigt ce qui ne va pas.

L’islam pose problème. Les musulmans se posent des questions. Le monde entier se trouve confronté à une pléthore d’analyses et de lectures aussi disparates les unes que les autres sur la question de l’islam et de la violence. Parce que le fond de la problématique a été posé à cause ou grâce à l’émergence de ce que l’on appelle terrorisme. Comme l’a souligné l’un des intervenants, Ali Asghar Engineer, venu d’Inde, “tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais tous les terroristes sont des musulmans”. La question est donc légitimée, ne serait-ce que pour démêler le bon grain de l’ivraie. Les interventions lors de ce colloque, non dénuées de débats passionnés et de volonté certaine d’apporter de nouvelles visions sur cet islam qui pose problème, ont mis l’accent sur l’importance de la modération, d’une vision “du centre” dans l’islam. C’était le sujet du discours de Taieb Tizini, professeur de philosophie en Syrie, qui a présenté une approche juste pour contrer les extrémismes. L’approche modérée mérite que l’on s’y arrête le temps d’en saisir le contenu. Face au refus de l’autre, il faut bien qu’il y ait une volonté d’acceptation. Une approche plus mesurée de la différence qui ne verserait ni dans l’incrimination ni dans la discrimination. En somme, le propos de Tizini touchait au vif du sujet. L’islam tel qu’il est décrit, pressenti, présenté par nous et par l’autre est teinté de ce refus de la différence qui n’émanant pas du texte lui-même (le Coran), trouve racine dans la pratique.

Autant d’islams que de musulmans

Les débats sur l’islam le présentent comme une même et unique pratique commune à tous les pays dont il est la confession. C’est faux. Il y a autant d’islams que de pays musulmans, mieux encore, il y’en a autant que de pratiquants dans le monde. Chacun puise dans le texte ce qui lui convient. Un intervenant lors de ce colloque avait avancé l’image d’un supermarché de concepts où chacun fait ses provisions. Est-ce cela l’islam en cours que nous voulons pour religion ? Certes, il y a des nuances d’une culture à l’autre. Et là nous rejoignons les propos de Ghassan Salamé qui a balayé d’un revers de la main l’idée du clash des civilisations insistant sur l’existence d’une seule civilisation qui n’est pas forcément l’apanage d’un Etat seul, mais le fruit d’une époque. Et là, il est préférable de parler de confrontation de culture et même au sein des Etats islamiques qui présentent de nombreuses différences entre eux. Nous ne vivons pas l’islam au Maroc comme en Malaisie pas plus que le Yéménite ne vit la religion comme le Tunisien… Quand on aura compris qu’il y a autant d’approches possibles, issues de la pratique et de la culture de tel ou tel autre pays, on pourrait alors commencer une lecture plus au moins juste de la religion en tant que mode de vie, de pensée et de vivier pour l’idéologie. Car, il faut le dire, l’islam est aussi une idéologie politique, sociale et économique qu’il faut prendre en tant que telle.

La déconstruction du texte coranique

Sommes-nous assez mûrs pour un tel exercice à la fois sémantique et anthropologique. Un exercice qui exige une analyse du contexte, de l’évolution, de l’actualité et des changements opérés au sein même des sociétés musulmanes ? La question est posée, sa réponse reste à définir. Il est évident que les volontés réformistes sont rares et les forces réactionnaires sont légion. D’où une incapacité de faire passer le message de l’urgence d’une nouvelle lecture du texte coranique. Le simple énoncé d’une telle possibilité horripile certaines et fait se dresser les cheveux sur d’autres têtes. Cette frilosité émane principalement d’un confort de pensée que peu sont prêts à abandonner pour de nouvelles techniques d’analyses. Ici, Rachid Benzine propose une méthode “déconstructionniste” pour mieux toucher les variations sur le thème des islams. Il ne s’agit pas là d’un procédé hasardeux de lecture pour soumettre le texte coranique à des technicités toutes faites. Non, il est plutôt question d’une coupure avec ce qui a prévalu depuis l’avènement du Coran et toutes les exégèses possibles. Si nous sommes aujourd’hui ballottés entre plusieurs bords de pensées, c’est que la nécessité d’une autre lecture semble évidente et inévitable. Sans omettre que le texte coranique lui-même a toujours été un texte ouvert, qui appelle à l’ouverture dans le sens de son exégèse. D’où vient alors cette ambiguïté entre partisans de la sacralité absolue du texte et ceux qui n’osent avancer que, dans cette sacralité, il y a lieu d’approfondir les connaissances sur la religion dans le cadre de “l’Ijtihad”. Il s’agit donc d’une nouvelle école de pensée sur l’islam et ses variations, une école scientifique qui n’est ni du mysticisme, ni du soufisme, ni du fiqh, mais une approche qui prend à la fois le texte comme un tout unifié et un ensemble de fragments à construire en les déconstruisant.

Le miroir de soi

Dans cette logique, il est primordial de se regarder dans un miroir qui ne soit ni grossissant ni réducteur, mais un réfracteur d’images à la mesure de la réalité des islams et des musulmans. Sommes-nous les victimes d’une grande conspiration mondiale ? Ahmed Maher, ex-ministre égyptien des affaires étrangères répond par un oui et un non. Rien de dialectique dans cette double réponse, mais l’image d’une réalité complexe. Nous sommes doublement victimes et doublement responsables de ce que nous sommes. Il y a certes une contingence mondiale qui fait que l’islam et les musulmans sont stigmatisés, mais ceux-ci sont aussi les créateurs de leurs propres réalités. L’image donnée par le docteur Erubee de cet accidenté ensanglanté qui refuse de se voir dans un miroir colle au musulman. On pointe du doigt, l’autre, l’Occident… etc et on ne se dit jamais que nous sommes à la source de nos malheurs. Et si nous nous attaquions à régler nos problèmes sans attendre que les autres nous dictent nos comportements ? Peut-être est-ce là le début de cette voix modérée et “centriste”, de cette relecture du texte et des lois régissant les sociétés des musulmans, peut-être est-ce là aussi l’amorce d’un dialogue des cultures en réponse à une hypothétique guerre des civilisations.

Source : lagazettedumaroc.com