Economie politique de la répression en Tunisie

Au-delà de la répression, comment l’économie assujettit un peuple maintenu en état de « servitude volontaire »

Auteur : Béatrice Hibou

Éditeur : La Découverte, Paris. (24 Aoû 2006) 362 pages

ISBN : 2707149241

Résumé

A la croisée de l’économie politique wébérienne et de l’analyse foucaldienne des pratiques du pouvoir, l’auteure analyse, à partir du cas de la Tunisie, les modes de gouvernement et les dispositifs de l’exercice du pouvoir. Montre comment ces dispositifs rendent volontaire voire désirable la servitude. Tente de faire comprendre comment se perpétuent les régimes autoritaires.

Quatrième de couverture

Les violations des droits de l’homme et l’absence d’opposition politique dans les dictatures font régulièrement l’objet de critiques. Ce que l’on connaît moins, c’est le fonctionnement intime de ces régimes, les mécanismes par lesquels des populations entières se trouvent durablement assujetties.

C’est ce travail de dévoilement qu’a entrepris Béatrice Hibou. À la croisée de deux traditions intellectuelles, l’économie politique wébérienne et l’analyse foucaldienne, elle analyse, à partir du cas de la Tunisie, les modes de gouvernement et les dispositifs de l’exercice concret du pouvoir. Elle montre comment ces dispositifs façonnent les modalités de l’obéissance, voire de l’adhésion.

L’auteur fait émerger les rationalités des mécanismes d’assujettissement à partir de l’analyse de l’économie tunisienne. Elle explique ainsi comment l’économie d’endettement, la fiscalité, la gestion des privatisations, l’organisation de la solidarité et de l’aide sociales créent des processus de dépendance mutuelle entre dirigeants et dirigés. La répression et le contrôle policier apparaissent alors moins centraux que les arrangements, les accommodements, les petites ruses calculées, les compromissions au jour le jour, les instrumentalisations réciproques garantissant la légitimation quotidienne du régime.

Bien au-delà du seul cas tunisien, cet essai dérangeant fait comprendre comment se perpétuent les régimes autoritaires. Il permet aussi d’éclairer les mécanismes de domination à l’oeuvre dans les États que l’on considère comme démocratiques.

Biographie de l’auteur

Chercheur au CNRS, affectée au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po, Béatrice Hibou est notamment l’auteur de ” L’Afrique est-elle protectionniste ? Les Chemins buissonniers de la libéralisation extérieure ” (Karthala, 1996), ” La Criminalisation de l’État en Afrique ” (Complexe, 1997, en collaboration) et ” La Privatisation des États ” (Karthala, 1999, sous sa direction).

Table des matières

Introduction – Une répression indéniable – Mort sociale et exil intérieur – Au-delà de la répression, une économie politique de l’assujettissement – Au-delà de l’autoritarisme, une analyse « laïque » d une situation politique – La fiction au cœur de l exercice autoritaire du pouvoir – Retour à Max Weber – Interpréter le terrain – I / Le pouvoir à crédit – 1. Créances douteuses – Le traitement comptable des créances douteuses – Une multiplicité de sources – Des apurements continus, réels mais formels – Les ambivalences de la modernisation du secteur bancaire – Une amélioration et une libéralisation réelles – Un archaïsme indépassable ? – La préférence pour les créances douteuses sans cesse réactualisée – Une économie d’endettement multiforme – Le financement de l’action publique – Le financement de l’économie et de la consommation privées – Les créances douteuses, un mécanisme « moderne » – 2. Les dépendances mutuelles de l’endettement – La participation collective à un monde fictif – Les facettes de l activisme étatique – Le cercle vertueux des financements extérieurs – Un réseau d intérêts convergents – Des failles dans le complexe politico-financier – Les fondements sociaux de l’économie d’endettement – La valeur symbolique de l’intrusion politique – La fonction régulatrice des immixtions politiques – Les modalités de l’ordre social implicite – II / L’adhésion encadrée – 3. Un quadrillage méticuleux – L’omniprésence policière, ou les filets de la peur – La police, une autorité morale – La banalisation policière – Le parti, ou les rets de la médiation sociale – Les cellules, intermédiaires du pouvoir central – Les cellules, dispositif de redistribution – Les cellules, vecteur d’intégration et d’adhésion encadrée – L’encadrement par le bas, ou le quadrillage par l’individualisation du contrôle – L’encadrement assumé : les organisations nationales et les comités de quartier – L’encadrement diffus : les milliers d’associations – L’enfermement de la « société civile indépendante » – Le jeu impossible des partenaires étrangers : l’exemple des financements européens – Des « indics » aux assistantes sociales : la surveillance individuelle au quotidien – 4. Le travail normalisateur de la l’appareil bureaucratique – La centralité bureaucratique – Hiérarchie et allégeance – Centralité et attentisme : les paradoxes de l’administration tunisienne – « Il faut défendre la société » : la justice au service de la normalisation – Une justice fonctionnelle – Une justice sous pression – Bureaucratisation et disciplinarisation des organisations économiques intermédiaires – L’UGTT, un dressage par l’économique – L’TICA, appendice et intermédiaire agréé de l’appareil de pouvoir partisan – III / La puissance des « douceurs insidieuses » : négociations et consensus – 5. « Les capitalistes ne prendront jamais le maquis » – Les méandres de la relation fiscale – La légitimité du contrôle comme de l’évasion – L’importance politique de la relation fiscale – Le déploiement national et international des entreprises tunisiennes – Rester petit pour rester libre ? – Internationalisation et grève des investissements, une surinterprétation politique – Soumission réelle, soumission imaginée – De quel interventionnisme s’agit-il ? – Des interventions incessantes et routinières – Un interventionnisme largement sollicité – Le consensus dans le monde économique : ambiguïtés politiques – 6. L’accomodement négocié – Offshore et flux tendus – Les atouts du dualisme – Flux tendus et gouvernement disciplinaire – Contrôle social et mise au travail des Tunisiens – La « mise au travail capitaliste » des Tunisiens – Un paternalisme affirmé et diffus – Un contrôle social assumé – La permanence des rapports de force – Tensions et étouffement des conflits de travail – Multiplicité des logiques internes – Les multiples voies de l accommodement négocié – Assentiment et habitude – Entre adhésion et distanciation – 7. les contours du Pacte de sécurité tunisien – Le Pacte de sécurité, ou comment assurer ordre et quiétude – Une sécurité économique et sociale pour parer au plus grand des dangers – Dépendance et sécurité : les contours du Pacte – Sécurité et laisser-faire : deux facettes complémentaires du Pacte – L’insertion économique par tous les moyens – Le crédit garanti : La Banque tunisienne de solidarité – Les jeunes, entre contrôle et laisser-faire – Le Fonds de solidarité nationale, ou l’ombre intolérable – Le mécanisme du don obligatoire – Le « 26.26 », technique d’assujettissement – Une vision non libérale du pacte de sécurité – « C est le prix à payer » : négociations et création du « consensus » – La négociation permanente, ciment de l’ordre social – La construction volontariste du consensus – Violence du consensus et idéologie du silence – IV / Surveiller et réformer – 8. Le réformisme : un bon redressement – Éléments de construction du mythe réformiste – Les contours actuels du réformisme officiel – Techniques de mythification du réformisme – Le réformisme, cité imaginaire – L’occultation des discontinuités et des différences – Le réformisme, problématisation obligée du politique – Les fondements sociaux du réformisme – Le réformisme comme processus d’assujettissement – Le réformisme, un imaginaire commun – La pluralité de sens du réformisme – Réformisme et « tunisianité », un éthos diffus – Une manière d’être tunisienne dans le monde – L’ambivalence de la « tunisianité » – Préférence nationale et ouverture limitée : le « nationalitarisme » économique en pratique – Un nationalisme économique explicite – L’exemple de la libéralisation du commerce extérieur – Les multiples instrumentalisations du « nationalitarisme » – Le national-libéralisme, une gestion complexe de l’insertion internationale – La pluralité des logiques d’action – L’exemple de l’informel – 9. Des réformes à perpétuité, succès du réformisme – Des privatisations tout en prudence, ou comment défendre « la tunisianité » – Tentative d’évaluation : la faiblesse des investisseurs étrangers – Les multiples formes du redéploiement étatique et bureaucratique – Rejet du regard extérieur mais adoption du lexique global – L’idéal panoptique de la mise à niveau – La rationalité économique de la mise à niveau – La mise à niveau, « affaire d État » – La mise à niveau, une discipline intégrée – Le réformisme, une domination ambiguë et intérieure – Conclusion – Pouvoir personnel et extrême centralisation : réalité d’un « contrôle absolu » – « Corruption », népotisme et illégalismes : une modalité de gouvernement parmi d’autres – L’hypothèse de l’État tunisien comme « État de police » – Un État de droit aléatoire – L’individu et l’intime au cœur des relations de pouvoir.

Extraits de presse :

« Cet ouvrage, fruit d’un long travail de terrain effectué dans des conditions difficiles – fillatures, tentatives d’intimidation- s’inspire à la fois de l’économie politique de Max Weber et de la sociologie de Michel Foucault, pour nous révéler une réalité complexe, loin des idées reçues. » ALTERNATIVES INTERNATIONALES