Tunisian Prisons Map

Pour accéder à la Carte des prisons tunisiennes, cliquez ICI ou sur l’image.

Pire qu’un tabou, le système carcéral en Tunisie est une affaire d’Etat, une question de sécurité nationale. Tous ceux qui ont osé aborder le thème, révélant ses secrets ou pointant du doigt ses dysfonctionnements ont payé cher leur « imprudence ». En témoigne le cas du journaliste Hédi Yahmed. Convoqué par le procureur de la République, puis contraint à démissionné de l’hebdomadaire « Réalités » puis de quitter la Tunisie suite à un article sur les prisons tunisiennes qu’il a publié le 12 décembre 2002 dans le cadre de la célébration de la Journée Internationale des Droits de l’Homme.

Face à cette omerta de la classe dirigeante et sa détermination à museler la presse et les organisations de défense des droits de l’Homme dès qu’ils s’approchent de cette “Zone interdite”, il a été impossible de se faire une idée sur le nombre exact des prisons et des établissements pénitentiaires, de connaître le taux de la criminalité dans le pays, ou le nombre de sa population carcérale. Comme le rappelle à juste titre Fathi Touzri, un consultant tunisien à l’Unicef, « depuis 1992, il y a comme un blocus sur les chiffres des délits, même des délits violents. (…) Il n’y a pas davantage d’enquêtes sur la population carcérale. » [1] Même le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a décroché une autorisation de visiter les prisons tunisiennes après des années de tractations avec le régime, n’a pu visiter qu’un nombre limité de prisons ne rencontrant que la moitié du nombre de détenus programmé pour une visite.

Souvent présentée comme bon élève des Institutions internationales, la Tunisie n’a rendu publiques ses statistiques relatives à ce dossier sensible qu’à l’occasion de la Septième Enquête de l’Organisation des Nations Unies sur les tendances de la criminalité et le fonctionnement des systèmes de justice pénale 1998-2000. Elle la fait tout en se gardant, bien sûr, de divulguer les secrets de son système carcéral. La Tunisie était parmi les rares pays, des 92 participants à ladite enquête, à ne fournir aucune information sur ses prisons. Information pourtant sollicitée par les organismes de l’ONU. Ainsi, on ne trouve dans le rapport final aucune trace des données concernant :

  • le nombre des Prisons/établissements pénitentiaires pour adultes ni pour mineurs ni même par sexe ;
  • les ressources financières du système carcéral ;
  • le nombre des personnes incarcérées, par catégorie d’incarcération ;
  • le temps passé en prison par des adultes avant jugement ;
  • la durée de la peine effectivement purgée en prison par des adultes après leur condamnation ;
  • les personnes en liberté surveillée, par groupe d’âge ;
  • les personnes en liberté conditionnelle, par groupe d’âge ;
  • les détenus condamnés, par sexe et groupe d’âge.

Comment peut-on expliquer l’obsession sécuritaire du régime tunisien quand on veut s’approcher de cette zone interdite qu’est la prison ? Normalement, seules les informations susceptibles de porter effectivement atteinte à la sécurité nationale devraient être dissimulées. Comme par exemple les renseignements sur le système militaire et la défense. Or, et comme l’a démontré Astrubal, « comment se fait-il qu’ en parcourant le Web on trouve une TUNISIE littéralement mise à nue par la description jusqu’au moindre détail de ses forces armées ?  » [2] alors qu’on ne trouve aucune information relative à son système carcéral ?

Si, dans d’autres pays, la liberté d’information comprend le droit du public d’accéder à l’information détenue par les autorités publiques, elle se heurte en Tunisie à une obsession sécuritaire et à un pseudo-impératif d’intérêt national qui privent les citoyens de leur droit élémentaire d’être informés. Ce qui justifie la chape de plomb imposée par les autorités locales lesquelles, sous des prétextes souvent biaisés, ne sont plus tenues de publier des catégories essentielles d’information qui concerne le pays. De la sorte, on a toujours empêché la divulgation de renseignements sur le taux de la criminalité ou sur le nombre des prisons et de sa population carcérale … comme si ces informations relevaient du patrimoine privé des gouvernants ! Or, sur quelles bases scientifiques se décide la politique nationale de prévention de la criminalité tout comme d’ailleurs les investissements en matière d’affaires pénitentiaires ? Sur quelle base les députés tunisiens votent-ils la ventilation des crédits en matière de lutte contre la criminalité ? Sur quels éléments objectifs s’appuient-ils lorsqu’il s’agit de consentir des efforts s’agissant des plans de réinsertion des anciens détenus ? Enfin, sur quels indicateurs s’appuient les évaluations de la politique juridico-pénitentiaire pour prévenir la récidive, faire reculer la criminalité tout en respectant les standards internationaux en la matière ?

Toujours est-il et à en croire le rapport de la LTDH sur les prisons tunisiennes intitulé « les murs du silence » rendu public le 7 octobre 2004, on dénombre 29 établissements pénitentiaires et 7 centres de détention juvéniles. Selon des statistiques émanant de diverses sources, comme les Nations Unies et le Conseil de l’Europe, la Tunisie, avec ses 253 prisonniers pour chaque 100 000 habitants, avait occupé, en 2002, la 4ème place parmi les pays les plus répressifs de la planète devançant même la Chine, Israël et le Brésil. [3].

Le nombre impressionnant des prisons qui dépasse le nombre des gouvernorats (il y a 24 gouvernorats en Tunisie, alors qu’on compte à Bizerte trois prisons dont le sinistre Borj Erroumi) pourrait être interprété de 2 manières :

  • le taux élevé de la criminalité et donc de la population carcérale d’où le besoin de construire davantage de prisons. Or cette explication se heurte à l’impossibilité d’appréhender les statistiques non divulguées pour des raisons aléatoires, comme celles invoquées par un responsable local pour justifier ce black-out : « 1. La Tunisie étant un pays touristique, de telles informations risqueraient de nuire à son image. 2. Le pays manque de statisticiens capables de manipuler ce genre de chiffres avec doigté. 3. Si elles étaient divulguées, de telles données pourraient être utilisées de manière malveillante par l’opposition  ». [4]
  • le souci du pouvoir de créer des prisons de proximité. Or, ce prétexte aussi ne tient pas devant la politique gouvernementale de l’éloignement des prisonniers de leur lieu de résidence, leur infligeant ainsi, à eux et à leurs familles, une sorte de “double peine”. Cette politique, rapportée et contestée par les ONG de défense des droits de l’Homme, est l’un des procédés les plus insidieux utilisés par le régime pour empoisonner la vie des prisonniers et de leurs familles.

Il est peut-être important de rappeler qu’il y a 3 échelles dans le système carcéral en Tunisie :

  1. il y a les prisons et les centres de détention ;
  2. l’isolement cellulaire prolongé des prisonniers politiques, qualifié par certains comme étant une prison dans la prison ;
  3. la résidence surveillée, le harcèlement judiciaire et le contrôle administratif. Un arsenal redoutable pour priver les anciens prisonniers politiques de leur droit à la circulation et au travail et qui est détourné à des fins de bannissement pur et simple, comme l’illustre le cas du journaliste Abdallah Zouari, assigné à résidence à Zarzis, dans le sud du pays, alors que son domicile habituel et sa famille se trouvent à Tunis, au Nord (voir la carte).

La carte.

La carte consiste à un travail de mushup (une technique de mixage d’applications composites et de services exposés sur le web pour en former un nouveau service). Cette carte dresse :

  • Une liste approximative des prisons tunisiennes installées sur une carte Google Maps API + GMapEZ. Afin d’élaborer la liste, je me suis basé sur les rapports des ONG des droits de l’Homme ainsi que sur une Liste provisoire des prisons tunisiennes réalisée par Tsar Boris sur TUNeZINE. Comme lui, j’envisage de compléter et d’améliorer un jour ce travail. A noter que seuls les marqueurs indiquant la prison de 9 avril, celle de Borj Erroumi, du Nadhor, et de Bizerte city sont exacts. Les autres indiquent un emplacement approximatif, généralement le chef-lieu de la localité dont est tiré le nom de la prison.
  • Des fichiers vidéo et/ou audio hébergés sur YouTube relatifs aux prisonniers politiques en Tunisie.
  • Des animations flashs que j’ai réalisées et mis en ligne sur mon Blog [fikra] ou sur nawaat.
  • Quelques photos de certains cas individuels.
  • La version Y !Q Beta du moteur de recherche contextuel de Yahoo.

Le lien vers la Carte des prisons tunisiennes.

P.S : Vous pouvez contribuer à l’amélioration de cette carte en l’enrichissant par des informations ou en m’aidant à trouver l’emplacement exact des prisons sur la carte. Si vous êtes sûr de l’emplacement d’une prison, prière d’utiliser cette carte :

Choisir Hybrid comme type de carte. Au menu déroulant se trouvant à droite de la carte, sélectionner la Tunisie. Agrandir la carte. Localiser la prison. Mettre l’emplacement de la prison au centre. Double-click. Copier les Latitude/Longitude de la prison qui s’afficheront automatiquement en bas de la carte sous l’onglet Map Information. Me les envoyer. Merci !

[1] “Violence au quotidien”, par Ridha Kéfi – Jeune afrique n° 2372, 25 juin 2006.

[2] Réponse élémentaire dirait Watson : Question de sécurité nationale, Astrubal, 13 septembre 2004->http://www.nawaat.org/forums/index.php ?showtopic=3183&st=0&p=9677&#entry9677

[3] Le système carcéral en chiffres, Les pays les plus répressifs, Le monde diplomatique, juin 2003.

[4] Violence au quotidien, Op. Cit.