Par Jean-François Julliard et Hajar Smouni

www.leblogmedias.com, 02 décembre 2006.

En Tunisie, il n’y a plus de journalistes emprisonnés. C’est une bonne nouvelle. Les arrestations sont rares et les condamnations tout autant. Mais le harcèlement à l’égard de la presse est toujours une réalité. Plus subtil, plus discret, il est d’une redoutable efficacité et permet aux autorités de maintenir un contrôle étroit sur la presse d’opposition et les médias internationaux.

Les journalistes étrangers sont pris en charge dès leur arrivée à l’aéroport de Tunis-Carthage par des agents de la très officielle Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE). Cet établissement public, créé en 1990, relève directement du Premier ministre. Il fournit guides et interprètes à la presse étrangère et garde un œil en permanence sur la circulation des reporters à l’intérieur du pays.

La plupart des journalistes étrangers qui ont séjourné en Tunisie font état des mêmes pratiques : présence policière importante devant l’hôtel et filatures systématiques lors des déplacements à pied ou en voiture. Cette surveillance est volontairement visible. Le but n’est pas de faire peur aux reporters mais de les empêcher de travailler en inquiétant leurs sources. “Si nous parlons à la presse étrangère, nous savons que nous aurons des problèmes”, expliquent de nombreux Tunisiens.

Pour les journalistes locaux, la situation n’est pas si différente. La surveillance est de mise. Abdallah Zouari, ancien journaliste de l’hebdomadaire Al Fajr, emprisonné pendant onze ans et aujourd’hui placé sous contrôle administratif, n’est pas libre de ses mouvements. Des policiers surveillent en permanence son domicile, et l’accès aux publinets (points d’accès publics à Internet) de sa ville lui est refusé.

De la même manière, après avoir passé quinze ans dans les geôles tunisiennes, le directeur d’Al Fajr, Hamadi Jebali, est victime de nouvelles brimades de la part des autorités. Depuis sa sortie de prison, le 26 février 2006, les toits et les terrasses des maisons voisines ont été réquisitionnés par des agents de police pour pouvoir contrôler ses allées et venues et l’espionner dans son intimité. M. Jebali leur a demandé à plusieurs reprises de mettre un terme à cette surveillance, mais il s’est vu rétorquer qu’il pouvait appeler la police !

Et le 5 novembre dernier, la police politique a obligé le propriétaire de la salle des fêtes, où devait se dérouler le mariage de sa fille, à mettre un terme aux célébrations. Des agents ont contrôlé l’identité de tous les invités et relevé les plaques d’immatriculation de leurs voitures. Par la suite, les rues attenantes au domicile du journaliste, où la fête devait se poursuivre, ont été fermées, empêchant l’arrivée de l’orchestre et du traiteur.

Jean-François Julliard et Hajar Smouni