Extrait de l’émission “Bikol oudhouh”, Tunis 7, 1ère diffusion le 22 Fevrier 2007.


L’émission « bikoll oudhouh » (en toute clarté), sur la télévision publique tunisienne, Tunis7, est l’une de ces nouvelles émissions qui s’essayent à la fameuse ouverture médiatique, que tout le monde semble constater et saluer depuis quelques temps. Le thème de l’émission était « la douane et l’entreprise en Tunisie ». L’invité de l’émission était le colonel Lotfi El Ayedi, directeur à la direction centrale des douanes. L’extrait que j’ai choisi aborde la question épineuse de la corruption au sein de la douane tunisienne.

Le ton est certes nouveau et les sujets traités audacieux mais si le présentateur semble vouloir poser les bonnes questions, il ne pousse pas l’audace jusqu’à réclamer les bonnes réponses, surtout si l’invité fait partie d’un pilier du système. Malgré cela, le haut responsable était presque sympathique et les efforts qu’il a employé pour redorer l’image de la douane, presque louables. Le journaliste a également tenté de faire son travail au mieux, posant des questions délicates et relançant son inviter quand ce dernier essayait de se dérober. Cela ne marchait pas à tous les coups mais l’intention, me semble-t-il, y était. On peut même percevoir un moment de flottement (02 :00) quand le journaliste sort ses propres chiffres sur le nombre élevé des réunions du conseil de discipline qui excluraient, selon lui, 1 douanier par mois.

Mais malgré ces tentatives le présentateur n’a pas pu amener le douanier à dire autre chose que ce qu’il était venu dire. A savoir que la corruption existe partout et que la douane met tout en œuvre pour traquer et éliminer les « âmes faibles » qui succombent à la tentation et les « saboteurs » et les « criminels » qui les pervertissent. Pour littéralement clouer le bec du journaliste en déclarant quasi-religieusement que « la Tunisie était un état de droit » et que par conséquence « personne ne pourrait se voir demander de contre partie pour obtenir un droit ». Nous voilà rassurer ? Pas tout à fait !

Ceci aurait pu être le cas dans un vrai état de droit ou bien évidement la corruption existerait mais d’une manière résiduelle et entre deux parties intéressées et où les recours possibles sont effectifs et efficaces. De même que l’analyse du colonel El Ayedi, quand il aborde la question de la responsabilité du citoyen dans la question de la corruption est, d’une certaine manière, pas totalement fausse, puisque celle-ci est aussi à rappeler et à condamner. Mais ce que ce responsable feint d’oublier, c’est que dans certains domaines et plus spécialement le sien, le Droit n’à plus droit de citer en Tunisie.

Car le problème principal de la douane tunisienne et dont tous les autres travers découlent, est avant tout, l’impunité dont certains jouissent face à la douane en particulier mais plus généralement face à l’autorité de l’état. Au-delà des petits trafics qui permettent, dans la majorité des cas, à ceux qui les pratiquent de survivre, le plus gros de l’économie souterraine est alimenté par des filières quasi-institutionnelles qui profitent de passe-droits couverts par les autorités elles-mêmes. Pour les trafics qui génèrent le plus de manque à gagner aux caisses de l’état, les commanditaires et les principaux bénéficiaires jouissent de complicités aux plus hauts niveaux du pouvoir. Des personnes qui ne peuvent pas être inquiétées par les conseils de disciplines, même si ces derniers siégeaient quotidiennement. Toutes les mesures que le colonel EL Ayedi avance, ne servent, en fait, qu’à réprimer les conséquences de faits plus graves qui, eux, restent impunis.

Un simple douanier qui surveille un entrepôt sous douane n’a pratiquement aucune chance de faire quoi que ce soit de cette responsabilité. Le poids de la hiérarchie ne lui donne aucun pouvoir réel, ni directement sur la marchandise qu’il surveille, ni sur ses supérieurs qui en quelque sorte ne lui doivent rien. Ce douanier n’a donc pratiquement aucune chance d’étendre son réseau d’influence au sein de la douane et par conséquence d’attirer des corrupteurs potentiels. Même s’il arrive à le faire le préjudice ne sera pas important et certaines mesures de contrôles peuvent facilement le démasquer et le sanctionner.

Prenant maintenant l’exemple inverse : Un colonel de la douane, ou un quelconque haut gradé qui se lie d’affaire avec un membre proche du pouvoir ou une personne influente d’une manière ou d’une autre. Cette alliance peut être entre deux personnes intéressées mais aussi le résultat de pressions d’ordre hiérarchique qui ne donneraient pas trop le choix à cet officier. Cependant le résultat reste le même. Pour mettre en application les termes de l’accord convenu avec « le commanditaire », le colonel a besoin de complicités au sein de l’administration mais aussi sur le terrain. Il choisit parmi ses subordonnés une personne de confiance et lui confie la tache. Cette personne trouvera à son tour quelqu’un d’autre pour se rapprocher encore plus du terrain. Et c’est ainsi, par un effet domino, toute une ligne verticale de responsables plus ou moins importants est ainsi corrompue par l’effet d’une seule personne. D’ailleurs les tarifs pratiqués pour telle ou telle prestation intègrent la rémunération de toute la chaîne.

Bien évidemment l’existence de ces pratiques ne reste pas inaperçue par les « autres » douaniers qui ne « profitent » pas de cette manne financière. Pour les plus malhonnêtes ou les plus « faibles », d’entre eux cela encourage et justifie en quelque sorte leurs petites combines personnelles qui s’ajoutent ainsi aux trafics les plus organisés. C’est un cercle infernal ou chacun justifie son action par celle de son collègue ou de son supérieur. Des supérieurs qui ne peuvent plus avoir de réel pouvoir de contrôle et de sanction étant eux-mêmes impliqués.

Concernant l’envolée lyrique de l’invité de cette émission, sur le thème de « l’état de droit », elle est certes touchante mais n’apporte aucune réponse au problème. Car encore une fois ceux qui pratiquent des trafics organisés, corrompent pour augmenter leur profits et couvrir leurs actions illégales, ceux la n’on aucun problème à payer ce qu’ils ont à payer et l’intègrent dans leurs « prix de revient », si j’ose dire. Ils ne sont en aucun cas les victimes de ce système mais les principaux bénéficières. Ils n’ont théoriquement aucune raison de dénoncer ces pratiques et n’ont donc rien à faire avec le droit. Les recours énumérés par le colonel ne leur serviraient absolument à rien.

Pour les autres, véritables victimes de ce système, la question est beaucoup plus délicate. Car en générale la pression exercé par le douaniers et plus sournoise sur le commun des mortels puisqu’elle ne consiste pas à lui denier un droit mais à lui faire comprendre que s’il veut l’obtenir plus vite et sans complication il aurait intérêt à « récompenser » le douanier. Le douanier se présente ainsi comme une aide précieuse pour l’usager confronté aux lenteurs de la machine administrative. Ce qu’on paye c’est donc l’obtention, dans des délais raisonnables, d’un droit. Pour le petit chef d’entreprise ou le petit commerçant qui a des clients à satisfaire, le facteur temps est primordial. Cet usagé peut parfaitement refuser de payer et aller se peindre aux autorités compétentes, mais il perdra encore plus de temps et donc d’argent. Il se retrouve ainsi obligé de recourir à ces pratiques pour ne pas être pénalisés. Bien évidement Cela n’excuse en rien ces comportements, mais il faut être d’une mauvaise foi sans mesure pour leur faire porter aux simples usagés la responsabilité du fléau de la corruption en Tunisie.

Voila comment en couvrant des pratiques douteuses aux plus hauts sommets du pouvoir on contamine toute une société et on discrédite toute une institution. Beaucoup de douaniers tunisiens vivent ces passe-droits comme une insulte à leur travail et aux valeurs de l’institution qu’ils servent. Des jeunes officiers déçus du décalage entre les cours de droit à l’école des officiers et la réalité de leur travail mais également des anciens qui ne reconnaissent plus l’institution qu’ils ont contribué à mettre en place. Ces douaniers intègres tentent malgré ces dérives de servir au mieux les intérêts de leur institution. Peut être que l’invité de cette émission fait partie de ceux qui pensent encore aux intérêts du pays, je n’ai pas à en douter, mais toutes les actions et toutes les mesures qu’il a énuméré pendant cette émission ne serviront à rien tant que les plus grands « saboteurs » et corrupteurs continuent d’agir impunément sous la bienveillance intéressées des plus hauts responsables de l’état.

Source : Stranger