Interview publiée par la chaîne “Canal du Dialogue tunisien”
dans son éd. 50 du 22 avril 2007
2e partie de l’interview publiée par la chaîne “Canal du Dialogue tunisien”
dans son éd. 51 du 29 avril 2007(*)
Voici l’interview (en deux parties) de Maître Anouar Kousri accordée à la chaîne Canal du Dialogue Tunisien, publiée au sein de ses éditions du 22 et 29 avril 2007. L’avocat et militant des droits de l’Homme évoque sans ambages les “délires” d’un texte sorti tout droit des âges obscurs.
En effet, et parallèlement aux propos de Maître Kousri, là où j’aimerai pour ma part insister, c’est sur le sens incroyablement rétrograde de cette loi eu égard aux garanties judiciaires qui devraient être celles de tout Etat sorti de l’ère des règnes barbares.
Il n’y a aucune exagération dans le fait de relever qu’avec cette loi, la “République de demain” tant promise par les gouvernants actuels, s’avère ni plus ni moins n’être qu’un retour vers un passé que l’on pensait révolu. Je ne parle pas d’un retour en arrière de quelques années ou de quelques décennies. Mais il s’agit littéralement d’un retour vers des siècles, voire des millénaires en arrière. Ces propos pourraient paraître excessifs. Pourtant, il n’en est rien. Car, ce ne sont pas mes propos qui sont excessifs, mais le contenu de la loi. En effet, un simple regard vers notre passé permet de réaliser que ni sous le régime colonial français, ni sous le régime beylical, ni sous le régime hafside, il n’y avait de texte qui donnait ainsi les pleins pouvoirs pour disposer de la vie, de la liberté et des biens des justiciables.
Je ne suis pas en train d’affirmer que ces époques mentionnées n’ont pas souffert de leurs excès. J’attire simplement l’attention sur le fait que, en période normale, jamais l’arbitraire, le pouvoir absolu de l’administration et l’exclusion des garanties judiciaires n’ont été codifiés de la sorte sur le territoire tunisien, et ce, depuis -au moins- des siècles.
Contrairement aux époques coloniale, beylicale et hafside, la Tunisie d’aujourd’hui, aussi incroyable que cela puisse paraître, s’est dotée, de par le droit même, des moyens qui fondent in jure l’arbitraire avec tous les excès que l’on connaît ( il s’agit de centaines d’articles, probablement plus d’un millier, répartis sur plusieurs lois).
Par périodes, lorsque les pressions se sont faites de plus en plus fortes en faveur de l’ouverture et de la démocratisation, des pans entiers de cet arsenal de l’arbitraire sont venus se rajouter. Et le plus surprenant, c’est que chaque rajout de ces pans qui “juridicise” l’arbitraire a été vendu comme un pas de plus vers un Etat moderne. Parmi ces fameux pans consacrant l’arbitraire, citons les cas d’école du Code de la presse ou celui de la loi sur les associations. Pour le premier, destiné (et vendu par le régime comme tel d’ailleurs) à organiser le secteur de la presse, il ne sera en réalité qu’un catalogue de sanctions pénales tout en “juridicisant” les pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Idem pour la loi sur les associations.
Aussi bien pour le Code de la presse que pour la loi sur les associations, près de la moitié des articles qui les composent relève du droit pénal. Du reste, à leurs promulgations, les deux ont été qualifiés de nouveaux codes pénaux venant se rajouter à celui existant.
À vrai dire, qualifier ces documents de codes pénaux est un doux euphémisme. Car, contrairement aux apparences, ce qui fonde la rédaction des codes pénaux modernes, ce n’est pas le fait -tout court- d’établir la liste des infractions et les sanctions qui vont avec ; mais plutôt -et surtout- pour mettre en œuvre, entre autres, ce fameux principe de légalité destiné à protéger les individus contre les sanctions arbitraires. En d’autres termes, pour que nul ne puisse être poursuivi pour une “infraction” non prévue précisément par la loi. Et pour que toute “infraction” ne puisse être pénalement constituée sans la présence d’éléments matériels et intentionnels établis conformément à des règles de procédure très strictes.
Or, en Tunisie dès que l’on s’approche du champ politique, la définition légale de l’infraction fond comme neige au soleil. A cet égard, certaines des infractions prévues par le code de la presse ou la loi sur les associations sont d’une telle généralité que tout et n’importe quoi est susceptible de faire l’objet de poursuites pénales. De même, l’élément intentionnel devient subitement une notion inconnue par le juge pénal tunisien. La seule intention qui compte alors dans ce type de contentieux, c’est celle du pouvoir politique. Quant aux procédures pénales censées protéger les justiciables, elles deviennent subitement inexistantes.
On pensait avoir tout vu avec ce type de lois qui n’avaient pour objet que le renforcement des prérogatives d’un pouvoir discrétionnaire, mais voila que la loi du 10 décembre 2003 dépasse toutes les limites de l’entendement. Et tel que le décrit précisément Maître Kousri, le libellé de l’article 4 fait de chaque Tunisien un terroriste, dès lors, non pas qu’il manifeste une intention en ce sens, mais que le pouvoir politique en décide ainsi.
En effet : “Est qualifiée de terroriste, toute infraction quels qu’en soient les mobiles, en relation avec une entreprise individuelle ou collective susceptible de terroriser une personne ou un groupe de personnes, de semer la terreur parmi la population, dans le dessein d’influencer la politique de l’État et de le contraindre à faire ce qu’il n’est pas tenu de faire ou à s’abstenir de faire ce qu’il est tenu de faire, de troubler l’ordre public, la paix ou la sécurité internationale, de porter atteinte aux personnes ou aux biens, de causer un dommage aux édifices abritant des missions diplomatiques, consulaires ou des organisations internationales, de causer un préjudice grave à l’environnement, de nature à mettre en danger la vie des habitants ou leur santé, ou de porter préjudice aux ressources vitales, aux infrastructures, aux moyens de transport et de communication, aux systèmes informatiques ou aux services publics.”
Et plus on avance dans la lecture du texte, et plus l’on réalise à quel point la sécurité juridique des citoyens devient totalement inexistante. La section II du 1er chapitre de la loi fait voler en éclat tous les principes du droit. Maître Kousri évoque largement les articles 12 et le fameux article 22 qui bafoue le secret professionnel. Mais à vrai dire, la lecture de tous les autres articles est édifiante. Encore une fois, jamais probablement dans l’histoire de ces derniers siècles de la Tunisie on ne trouve de texte juridique qui consacre autant l’arbitraire des gouvernants. Si les excès et le despotisme des gouvernants ont en effet existé par le passé, on ne trouve pourtant pas de texte qui légalise de la sorte la tyrannie de l’arbitraire.
Alors même que l’intitulé de la loi du 10 décembre 2003 fait référence à “la lutte contre le terrorisme“, elle ne fait en réalité que fonder juridiquement un terrorisme d’Etat à l’égard des justiciables. Sinon, les articles du Code pénal étaient plus que suffisants pour lutter contre le terrorisme tant en la forme de l’article 52 bis (ajouté par la loi n°93-112 du 22 novembre 1993) qu’en celle des articles 60 à 81 et 131 à 135, notamment.
Que dire d’autre sinon que tout citoyen qui écoute Maître Anouar Kousri évoquer les poursuites et les tortures perpétrées en vertu de la loi du 10 décembre 2003, ne peut qu’éprouver un sentiment de …., tant le seuil du tolérable est largement dépassé et depuis longtemps !
(*) – Les dates indiquée sont celles de la première diffusion satellitaire. La diffusion en ligne des émissions précède généralement ces dates de plusieurs jours.
Astrubal, le 20 avril 2007
(M.A.J. le 27 avril après la parution en ligne de l’édition 51 de canal du Dialogue)
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