FIDH
NOTE sur l’état des libertés en Tunisie
à l’attention du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies
en vue de l’adoption à sa 91e session d’une liste de question sur la Tunisie
[Document mis en ligne sur le site de la FIDH le 5 novembre 2007 au format PDF.
Remis au format html par Nawaat.org]
I . – Atteintes à la liberté d’association
II. – Atteintes à la liberté de réunion
III. – Atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de la presse
IV. – Cas individuels de répression des défenseurs des droits de l’Homme
V. – Atteintes au principe de l’indépendance du judiciaire
VI. – Lutte contre le terrorisme
Introduction :
A l’approche du vingtième anniversaire de la prise de pouvoir par le Président Ben Ali, le bilan de la Tunisie en matière de respect des libertés est sombre. Depuis 20 ans, l’élan de réforme reste bloqué et aucune amélioration notable ne peut être mis en avant par les autorités. En particulier, la situation de la société civile demeure très préoccupante. Et la mainmise des autorités sur l’appareil judiciaire nous prive de tout espoir. Nous regrettons que la demande du Rapporteur Spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats réitérée depuis plusieurs années afin de pouvoir enquêter sur les allégations d’arbitraire dans le système judiciaire tunisien reste sans réponse. En l’absence d’une telle visite il n’existe pas de rapport circonstancié permettant de documenter de manière exhaustive la situation du judiciaire tunisien au regard des droits de l’Homme.
De plus, les atteintes aux libertés individuelles, y compris la liberté d’association, la liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté de la presse sont quotidiennes et il serait impossible d’en dresser une liste exhaustive. La FIDH regrette que les recommandations du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression et d’opinion formulées à la suite d’une visite réalisée en 1999(1) n’aient toujours pas été mises en oeuvre par les autorités tunisiennes. En particulier, le Rapporteur Spécial recommandait au Gouvernement tunisien de rendre la loi sur les associations plus flexible en vue de faciliter la création d’ONGs indépendantes ; d’octroyer un statut légal aux ONGs opérant clandestinement ; de garantir l’indépendance et le bon fonctionnement des associations et des corps professionnels existants, en particulier les associations de droits de l’Homme et les associations de médias, comme l’Association des Journalistes Tunisiens. Enfin le Rapporteur Spécial demandait au Gouvernement de mettre un terme aux actes intimidation et de harcèlement des personnes qui cherchent à exercer leur droit à la liberté d’expression et d’opinion, en particulier les défenseurs des droits de l’Homme, les syndicalistes, les avocats et les journalistes qui seraient commis par les autorités. En effet, en 2006 et 2007, plusieurs incidents ont pu être relevés par la FIDH. Nous regrettons que la Représentante Spéciale du Secrétaire Général sur les défenseurs des droits de l’Homme (demandée en 2002, réitérée en 2004) demeure également sans réponse.
En outre, toute une palette de mesures – pour certaines légales au regard du droit national et illégales au regard du droit international et pour d’autres tout simplement illégales au regard du droit national et du droit international – visant à lutter contre le terrorisme sont utilisées pour faire taire toutes les formes de voies dissidentes. Tous les acteurs de la société civile sont visés : défenseurs des droits de l’Homme, journalistes, militants étudiants, cadres des partis politiques d’opposition, avocats, etc. Et la menace de poursuites conduit trop souvent à l’autocensure de nombres d’acteurs de la société civile tunisienne. Il résulte qu’un grand nombre de prisonniers d’opinion se trouvent dans les geôles tunisiennes. Nous regrettons que le Rapporteur Spécial sur la Torture (demandée en 1998 et réitérée en 2007), et du Rapporteur Spécial sur le respect des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme, restent aujourd’hui encore sans réponse.
I . – Atteintes à la liberté d’association (2)
Si la vie associative et le développement de la société civile sont des thèmes récurrents du discours des autorités, qui se félicitent de l’existence de 8 000 associations, un grand nombre d’associations indépendantes de défense des droits de l’Homme ne sont toujours pas reconnues, telles que le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT)(3), organisation membre de la FIDH, l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISSP), l’Association de lutte contre la torture (ALTT), le Centre tunisien pour l’indépendance de la justice et des avocats (CIJA), le Rassemblement pour une alternative internationale de développement (RAID-Attac Tunisie), le Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) ou encore l’Observatoire pour la défense des libertés de la presse, de l’édition et de la création (OLPEC). Malheureusement l’absence de reconnaissance est souvent utilisée comme motif de restriction des activités des associations de la société civile.
Plus particulièrement, les actions des autorités en vue d’empêcher à tout prix la tenue du congrès de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), depuis août 2005, est venu témoigner de la volonté des autorités d’asphyxier l’organisation. En effet, le 5 septembre 2005, un jugement en référé prononcé par le Tribunal de première instance de Tunis a enjoint la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) à “suspendre la tenue de son congrès prévu les 9, 10 et 11 septembre 2005” […] “jusqu’à ce qu’un jugement définitif ne soit rendu dans l’affaire au fond […] avec exécution immédiate”. Ce jugement résultait d’une requête conjointe de 22 personnes alléguant de leur appartenance à la LTDH, mais connues pour être affiliées au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti au pouvoir), qui avaient parallèlement initié une procédure sur le fond devant la chambre civile du Tribunal de première instance de Tunis aux fins de l’annulation de la convocation du 6e congrès de la LTDH lancée par le comité directeur. Par la suite, 20 personnes sur les 22 requérants avaient abandonné leurs poursuites.
Le 14 avril 2006, la LTDH, qui avait décidé de passer outre cette décision en référé et de tenir son Congrès les 27 et 28 mai 2006, a été oralement sommée par le responsable de la police du secteur d’El Omrane, à Tunis, de ne pas tenir la réunion préparatoire prévue le lendemain en vue de cet événement. Le même jour, les 20 personnes qui s’étaient désistées des poursuites initiées en septembre 2005 contre la LTDH ont informé l’organisation qu’elles intentaient une seconde procédure sur le fond, identique à la première. Après un procès reporté plusieurs fois qui a enfin eu lieu le 17 février 2007, les autorités tunisiennes ont confirmé l’interdiction faite déjà en 2005 de tenir le congrès de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH). Même si elle a 30 ans d’existence, cette organisation se voit empêcher de mener ses activités.
S’agissant des restrictions subies par les sections de la LTDH, aucun appel interjeté par la LTDH suite aux jugements en référé et sur le fond prononcés à l’encontre de plusieurs de ses sections en 2005 n’a été enrôlé. En effet, à la suite de plaintes déposées par des adhérents de la LTDH, membres du RCD, en 2004 et février 2005, la tenue des congrès de plusieurs sections de la LTDH – lors desquels des fusions de ces sections devaient être annoncées – avait été empêchée, à la suite de jugements en référé. Il s’agissait de la fusion des sections de Korba et Kébili ; de Hammam-Lif Ez- zahra et de Radhès ; de Sijoumi, de Monfleury et de El Ourdia ; de La Goulette – Le Kram et de La Marsa ; de Tozeur et de Nefta ; du Bardo, d’El Omrane et d’El Menzah, de Tunis médina et de Tunis bab bhar. Ces jugements avaient été confirmés lors de procédures au fond, respectivement les 5 et 26 janvier 2005, les 15, 22 et 29 juin 2005 et le 9 juillet 2005.
Deux congrès de la section de Sfax visant la création d’une deuxième section de la LTDH dans cette localité avaient été interdits en janvier 2003, à la suite d’une plainte déposée par quatre membres du RCD. Le verdict avait été confirmé par le Tribunal de première instance de Tunis en 2003, et par la Cour d’appel de Tunis en juin 2004. L’affaire reste pendante devant la Cour de cassation.
En décembre 2002, à la suite de la tenue du congrès de la section de Gabès, une plainte avait été déposée par un congressiste pour en annuler les actes. Cette annulation avait été confirmée par une décision du Tribunal de première instance de Gabès en mai 2003. Cette décision n’ayant toujours pas été légalement notifiée à la LTDH, celle-ci ne peut toujours pas interjeter appel.
Enfin, fin 2006, la seconde tranche des fonds alloués à la LTDH par l’Union européenne (UE) en août 2003, dans le cadre de l’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’Homme (IEDDH), visant sa modernisation et sa restructuration ainsi que la réforme du système judiciaire, reste bloquée. Les autorités tunisiennes bloquent ces fonds sur la base de la Loi 154 (1959) et du décret du 8 mai 1922 sur les associations de bienfaisance “reconnues d’intérêt national”, alors que la LTDH ne répond pas à ce statut.
Par ailleurs, début novembre 2006, une subvention de 15 000 dollars (12 719 euros), devant être allouée à la LTDH par le Fonds global pour les droits de l’Homme (Fund for Global Human Rights) pour le développement de son site Internet, bloquée par le gouvernement tunisien depuis décembre 2004, a été renvoyée aux États-Unis par les autorités tunisiennes. En l’absence du versement de ces financements, la LTDH est en proie à de graves difficultés financières, qui limitent ses activités et rendent difficile le paiement des loyers de son siège et de ses sections. Certains locaux ont par conséquent dû être fermés.
Il apparaît donc clairement que les autorités n’entendent pas relâcher la pression sur la société civile, malgré plusieurs signes extérieurs de “bonne conduite”, comme le projet de création d’une “Journée nationale des associations” ou le financement d’organisations dites indépendantes – mais toujours très liées au pouvoir.
II . – Atteintes à la liberté de réunion (4)
La société civile tunisienne continue de subir des atteintes diverses à sa liberté de réunion : pressions continues sur les établissements privés afin de les inciter à ne pas louer leurs salles à des organisations indépendantes, blocage de l’accès des locaux des associations et des lieux de réunion ad hoc par les forces de police, procédures devant les tribunaux pour vice de bail, etc.
Le 15 avril 2006, les membres des sections du Grand Tunis et du Nord de la LTDH qui ont tenté de se réunir pour préparer le 6e congrès de la LTDH en ont été violemment empêchés par les forces de l’ordre. De même, le 27 mai 2006, les principales villes de Tunisie abritant des sections locales de l’organisation ont été assiégées par d’impressionnants déploiements des forces de police, empêchant les membres de ces sections de rejoindre Tunis où devait se tenir le congrès, tandis que de nombreux barrages policiers ont bloqué les rues de la capitale menant au siège de la LTDH.
De plus, des dizaines de membres de la LTDH qui tentaient de rejoindre le siège de la Ligue ont été victimes de violences verbales ou physiques répétées, à l’instar de Mmes Khedija Cherif et Héla Abdeljaoued. D’autres défenseurs des droits de l’Homme ou représentants d’institutions internationales, invités par la LTDH à assister au Congrès, ont également été brutalisés et empêchés d’accéder aux locaux de la Ligue. Parmi ces personnes se trouvaient notamment Mme Hélène Flautre, présidente de la Sous-commission des droits de l’Homme du Parlement européen, M. Abdelhamid Amine, président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), et Mme Samia Abbou. Mme Souhayr Belhassen, vice-présidente de la LTDH, a été giflée et insultée par des policiers en civil qui ont arrêté son véhicule alors qu’elle raccompagnait plusieurs observateurs internationaux à leur hôtel.
Par ailleurs, depuis le 24 avril 2006, les forces de police empêchent toute personne d’entrer dans les locaux de la LTDH à Tunis – exception faite de ses membres directeurs – par le barrage des rues environnantes, et le placement d’hommes en faction devant les portes de la Ligue. Ainsi, le 3 décembre 2006, un important dispositif policier a encerclé et bloqué les accès au siège de l’organisation où devaient se réunir d’anciens dirigeants de la LTDH ayant constitué un comité de soutien à la Ligue. Plus récemment la police a empêché, les 26 et 27 mai 2007, la tenue d’une conférence sur le Forum social au siège de la LTDH. De nouveau, la police a assiégé le local de la ligue les samedis 2 et 9 juin 2007.
S’agissant de la section de Monastir de la LTDH, la procédure en appel initiée par celle-ci contre la propriétaire du local de la section, qui avait obtenu la résiliation du contrat de location qu’elle venait de signer, indiquant qu’elle n’était pas en possession de tous ses moyens lors de la signature, reste pendante. De plus, la LTDH n’a toujours pas récupéré les loyers qu’elle avait alors payés, et aucune nouvelle de la propriétaire n’a pu être obtenue.
Le 21 juillet 2006, les membres du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), qui devaient participer à une réunion interne, à Tunis, ont été empêchés d’accéder à l’immeuble qui abrite leur local par un important dispositif de policiers en civil encerclant le quartier. Les policiers ont à cette occasion agressé verbalement et physiquement les membres du CNLT qui s’approchaient de l’immeuble. Ainsi, Mme Neziha Rejiba (alias Om Zied), membre fondatrice et responsable de la communication au comité de liaison du CNLT, et rédactrice en chef du journal en ligne Kalima, a été frappée et insultée. Elle a ensuite été placée de force dans un taxi par des policiers, qui ont ordonné au chauffeur de la conduire n’importe où, ajoutant qu’elle était une prostituée et qu’il pouvait “s’en servir à sa guise”. Lorsque Mme Rejiba a pu rejoindre son domicile, celui-ci était encerclé par des agents en civil, qui l’ont surveillée toute la matinée.
Par ailleurs, la surveillance policière du local du CNLT à Tunis, constante tout au long de l’année, s’est particulièrement resserrée lors du dernier trimestre 2006. Ainsi, les 31 octobre, 1er et 2 novembre 2006, l’entrée de l’immeuble a été rendue inaccessible par une soixantaine de policiers déployés dans le quartier, et plusieurs victimes et membres de familles de prisonniers ont été empêchés par la police d’accéder aux locaux, tandis que d’autres ont été harcelés lorsqu’ils sortaient des bureaux. M. Sami Nasr, chercheur permanent au CNLT, a ainsi été empêché à plusieurs reprises d’accéder à son propre bureau. D’autre part, le courrier postal adressé au CNLT et à ses membres continue d’être régulièrement intercepté. Ainsi, le 10 septembre 2006, un courrier adressé à M. Lotfi Hidouri, membre dirigeant du CNLT, a été intercepté par une personne se faisant passer pour lui, qui a demandé au porteur de ne plus lui livrer de courrier. De même, le 2 novembre 2006, une personne se présentant comme Mme Sihem Bensedrine, porte-parole du CNLT et rédactrice en chef du journal en ligne Kalima, est venue recevoir le courrier à sa place et a retourné l’enveloppe au porteur lui intimant l’ordre de ne plus lui apporter de courrier en provenance des ambassades. En outre, les connexions Internet du CNLT restent coupées depuis octobre 2005, alors que l’organisation continue de régler son abonnement au fournisseur d’accès.
Le 6 juin 2007, un nombre impressionnant de policiers en civil a empêché une délégation de représentants de la société civile d’accéder à l’immeuble hébergeant le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et le journal en ligne Kalima. Cette délégation, qui était venue exprimer sa solidarité à l’égard du CNLT, était notamment comprise de Me Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), M. Ali Ben Salem, vice-président de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT) et président de la section de Bizerte de la LTDH, MM. Abdeljabbar Maddahi et Mohamed Ben Said, membres de la LTDH, Me Mondher Cherni, membre de l’ALTT, MM. Khelil Ezzaouia et Zakia Dhifaoui, dirigeants du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), M. Lotfi Hajji, président du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) et vice-président de la section de Bizerte de la LTDH, MM. Mahmoud Dhaouadi, Slim Boukhdhir et Sahbi Smara, journalistes, ainsi que des membres dirigeants du CNLT.
De surcroît, depuis le 8 juin 2007, date à laquelle la police tunisienne a saccagé les bureaux du CNLT, détruisant d’importants documents ainsi qu’une grande partie de son matériel informatique, les intimidations de la police politique envers les membres du CNLT et d’autres organisations de défense des droits de l’Homme ne cessent de s’intensifier.
Ces évènements font suite aux blocages systématiques de bureaux et autres lieux de travail des défenseurs des droits de l’Homme par les forces de police. Ainsi, les membres de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP) se voient interdits d’accès à leur local depuis le 1er juin, et le local de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) est constamment surveillé par la police. Nous rappelons en outre que l’immeuble hébergeant les locaux du CNLT et de Kalima est encerclé jour et nuit par un important dispositif d’agents de la police politique depuis le 18 mai 2007, empêchant de facto les membres du CNLT de mener à bien leurs activités
Enfin, le 10 juin 2007, un important dispositif policier a été déployé sur l’ensemble du territoire afin d’empêcher des militants des droits de l’Homme et des syndicalistes d’atteindre la ville de Kairouan, où devait se tenir une journée de solidarité en faveur de la LTDH, organisée à l’initiative de l’Union régionale du travail de Kairouan. Dès la matinée, les forces de l’ordre ont ainsi harcelé le président et des membres du comité directeur de la ligue et des comités des sections ainsi que de simples militants et les ont empêchés de quitter leurs villes de résidence. D’autres ont été interceptés à l’entrée de la ville de Kairouan. De plus, les membres de la section locale ont été contraints de rester chez eux et le local de l’Union régionale a été assiégé par la police.
Plus récemment, le 17 septembre 2007, le Parti démocrate progressiste Tunisien (PDP) a été l’objet d’un mandat d’expulsion des locaux où il siège depuis des nombreuses années sous prétexte de non respect des conditions du bail. Le 13 avril 2007 le bureau central du PDP à Tunis avait déjà été frappé par une tentative d’expulsion, tentative bloquée grâce à la mobilisation de l’opinion publique nationale et internationale. Depuis plus de 13 ans, le journal Al-Mawqif loue ce local et l’utilise également comme siège du PDP qui y a organisé des centaines de réunions privées et publiques. Pour s’élever contre cette décision, la secrétaire générale du PDP, Mme Maya Jribi, ainsi que le fondateur du PDP et directeur du journal Al-Mawqif, Maître Néjib Chebbi, ont entamé le 20 septembre 2007 une grève de la faim illimitée. La décision d’expulsion a été confirmée le lundi 24 septembre par le tribunal cantonal de Tunis. Cette décision marquait la disparition du dernier espace libre de réunion en Tunisie. La FIDH se réjouit de la conclusion « heureuse » de l’action de protestation grâce à la forte mobilisation des différents acteurs politiques et associatifs tant au niveau national, régionale qu’international. En effet, le 20 octobre, après 31 jours, Mme Maya Jribi et Maître Néjib Chebbi ont mis fin à la grève de la faim après avoir recu l’assurance que le contrat de location serait renouveler pour accueillir les activités du PDP et du journal Al-Mawqif.
Les autorités ont également fermé l’accès de locaux d’unions régionales de l’Union générale ainsi que l’accès de locaux d’unions régionales de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) – lesquels était utilisés pour des réunions d’associations indépendantes. Selon les informations reçues, il est très difficile pour les mouvement d’opposition de louer des salles privées pour des réunion ou des conférences organisées par ces derniers.
III . – Atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de la presse (5)(6)
La presse et les journalistes indépendants sont également la cible de mesures répressives, et le droit à la liberté d’expression est quasi systématiquement bafoué sur le territoire tunisien (7).
En juin 2006, M. Lotfi Hajji, président du comité fondateur du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) et correspondant d’Al-Jazeera, a été arrêté à Tunis et conduit à Bizerte, où il a été interrogé. Il a été libéré après quelques heures. Enfin, le 4 juillet 2006 et les jours qui ont suivis, seuls les membres de sa famille les plus proches ont eu accès au domicile de M. Lotfi Hajji.
Enfin, en septembre 2007, des policiers en civil ont empêché Lotfi Hajji de rendre visite à la secrétaire générale du PDP, Mme Maya Jribi, ainsi que le fondateur du PDP et directeur de Al- Mawqif, Maître Néjib Chebbi, en grève de la faim depuis le 20 septembre. Le 28 septembre 2007, M. Hajji s’est même vu refuser l’accès au local des grévistes de la faim lors d’une visite de l’Ambassadeur des Etats Unis.
Ainsi, les forces de police ont plusieurs fois empêché avec violence des journalistes de participer à des conférences de presse. Par exemple, le 8 mars 2007 des policiers ont entouré le siège du CNLT afin d’y bloquer les accès et ils ont agressé et brutalisé le journaliste du journal Al Mawkif, M. Mohammed Hamrouni ainsi que M. Sahabi Smara, journaliste pour l’hebdomadaire Muwatinun. Par la même occasion, deux membres d’un ONG américaine ont été arrêtés par la police et interrogés sur la nature de leur mission en Tunisie ; il leur a été conseillé « d’éviter tout contact » avec le CNLT.
La comparution le 2 août 2007 de M. Omar Mestiri, directeur de rédaction du journal en ligne « Kalima », représente un autre cas de violation de la liberté d’expression. M. Mestiri a été jugé pour « diffamation » suite à la publication d’un article critique relatif à la réhabilitation par l’ordre des avocats de Maître Mohammad Baccar, soupçonné de « faux et escroquerie ». Maître Baccar a été acquitté grâce à ses liens avec les autorités (8). Le procès en diffamation de Omar Mestiri, s’est finalement achevé par l’arrêt des poursuites après le retrait de la plainte par le plaignant, prononcé le 31 août. Les harcèlements contre Omar Mestiri ne se sont pas arrêtés pour autant. En effet, l’administration des impôts vient de le soumettre à un “redressement fiscal” de 34 milles dinars (27.000 USD), couvrant une période où il résidait à l’étranger et où il n’avait pas de revenus en Tunisie. Par ailleurs, alors qu’il prenait un vol pour l’Allemagne le 4 septembre, il a été soumis à une fouille minutieuse et ses documents personnels ont été confisqué (9).
IV . – Cas individuels de répression des défenseurs des droits de l’Homme (10)
Le harcèlement subi à titre individuel par les défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie constitue notamment une atteinte à la liberté d’association, à la liberté de réunion, à la liberté d’expression et à la liberté de mouvement. Ces harcèlements sont variés et peuvent prendre des formes sournoises : dépôt de plaintes iniques devant les tribunaux tunisiens, surveillance continue des moyens de communication, restrictions de voyage, refus de renouveler les documents de voyage, agressions physiques et verbales des défenseurs et de leur famille, menaces, campagnes de diffamation, etc. Ces actes de harcèlement visent à mettre fin aux activités de dénonciation des violations menées par différents acteurs de la société civile.
Pour illustration le 26 janvier 2006, Mme Souhayr Belhassen, alors vice-présidente de la LTDH s’est fait dérober son passeport à Madrid (Espagne), où elle avait été invitée par la Fondation Pablo Iglesias à présenter la situation des droits de l’Homme au Maghreb. Le 28 janvier 2006, dès son retour en Tunisie, Mme Belhassen a déposé une demande de passeport auprès des autorités compétentes. Toutefois, les autorités, prétextant de multiples raisons administratives, ont retardé la délivrance de ce passeport, empêchant ainsi Mme Belhassen de quitter le territoire tunisien, notamment pour participer à des séminaires ou conférences internationaux sur la situation des défenseurs dans son pays. Le 27 avril 2006, à la suite d’une forte mobilisation nationale et internationale, Mme Belhassen s’est vue remettre un nouveau passeport. Elle a toutefois continué à être constamment suivie par des policiers en civil, y compris lors de visites à ses proches.
M. Ali Ben Salem, président de la section de Bizerte de la LTDH et vice-président de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), est quant à lui placé sous résidence surveillée depuis les 9-10 novembre 2005, sans qu’aucun mandat ne lui ait été présenté. Son domicile, qui abrite également la section de Bizerte de la LTDH, fait en effet l’objet d’une forte et constante présence policière. Par ailleurs, le 3 juin 2006, M. Ali Ben Salem a été arrêté à son domicile. Quelques heures plus tard, il a été inculpé pour “diffusion de fausses informations de nature à porter atteinte à l’ordre public”, avant d’être placé en liberté provisoire, et interdit de quitter le pays. Cette arrestation a fait suite à la publication, le 1er juin 2006, d’un communiqué de presse dénonçant les mauvais traitements et actes de torture dont font l’objet les prisonniers de la prison de Borj Erroumi, portant la signature de M. Ben Salem.
Fin 2006, la plainte déposée en décembre 2002 à l’encontre de M. Hamda Mezguich, membre de la section de Bizerte, par un membre de la section de Jendouba de la LTDH et adhérent au RCD, au motif fallacieux d’“actes de violence”, lors du congrès de Jendouba (septembre 2002), reste pendante. De plus, le 3 juin 2006, il a été arrêté et détenu quelques heures. Il a ensuite été libéré, sans aucune charge à son encontre. D’autre part, fin 2006, les poursuites judiciaires visant Me Mokhtar Trifi et Me Salaheddine Jourchi, respectivement président et premier vice-président de la LTDH, restent également pendantes. Ils avaient tous deux été accusés de “diffusion de fausses informations” et “non-respect d’une décision de justice”, en mars 2001 et décembre 2000.
Plus récemment, le 31 août 2007, le bureau de Me Ayachi Hammami, secrétaire général de la section de Tunis de la LTDH, a été brûlé par des criminels qui ont préalablement retiré une partie des ordinateurs sur lesquels avait été saisi un rapport sur l’état de la justice en Tunisie (11).
De même, la FIDH a pu noter plusieurs autres actes de restriction à la liberté de mouvement de défenseurs des droits de l’Homme. Par exemple, M. Tawfiq Mezni, frère de M. Kamel Jendoubi, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), s’est vu empêcher pendant plusieurs heures de rentrer en France, son pays de résidence, en raison de ses liens avec M. Kamel Jendoubi, privé de son passeport tunisien depuis des années et ne pouvant de ce fait rentrer en Tunisie (12).
Maître Mohammad Abbou, membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISSP), a regagné sa liberté le 27 juillet 2007, après deux années de prison. Il avait été condamné après avoir notamment publié des articles sur les conditions de détention en Tunisie, comparant les geôles tunisiennes aux prisons d’Abu Ghraib. Son procès avait été entaché d’irrégularités, Maître Abbou ayant notamment été torturé lors de sa détention provisoire (13).
Avant la libération de Me Abbou, ses proches ont continuellement fait l’objet de représailles de la part des autorités. Sa femme a été plusieurs fois frappée et menacée par la police lors de ses visites à la prison. Ainsi, le 20 mars 2006, Mme Samia Abbou, son épouse, qui rentrait alors de Genève (Suisse), a été fouillée à son arrivée à l’aéroport, et une photo de son mari lui a été confisquée. Le 23 mars 2006, Mme Abbou, ses enfants et sa belle-mère ont été interdits de rendre visite à Me Abbou, alors que la prison se trouve à plus de 150 km de leur domicile.
D’autre part, le 16 août 2006, deux journalistes, M. Slim Boukhdir, journaliste au quotidien Al- Chourouk et correspondant à Tunis du site Internet de la chaîne Al-Arabiya, et M. Taoufik Al- Ayachi, journaliste de la chaîne de télévision Al-Hiwar, qui émet depuis l’Italie, ont été passés à tabac alors qu’ils se rendaient chez Mme Samia Abbou afin d’y réaliser une interview. Un important dispositif de police est en effet déployé autour de son domicile depuis qu’elle a mené, le 13 août, une grève de la faim pour demander la libération de son mari.
Par ailleurs, le 24 octobre 2006, le domicile de Mme Abbou a été encerclé par un important dispositif policier alors qu’elle avait invité, à l’occasion de l’Aïd, plusieurs femmes de prisonniers à effectuer une journée de grève de la faim, afin de protester contre le sort réservé à leurs maris. Des personnes venues se joindre à cette protestation ont été brutalement appréhendées par la police à leur départ, en début de soirée. Certaines ont été hospitalisées à la suite de l’interrogatoire auquel elles ont été soumises. A la suite de ces faits, le 26 octobre 2006, Mme Abbou, en compagnie de ses enfants et de l’avocate Mme Radhia Nassraoui, également présidente de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), a été interpellée par des policiers en faction devant son domicile. Des forces de l’ordre, ont empêché cette dernière de pénètrer dans le domicile de la famille Abbou. Deux motards, vraisemblablement membres de l’unité spéciale des Tigres noirs, ostensiblement armés, se sont précipités dans la direction de Mme Abbou, extrêmement menaçants. Terrorisée, cette dernière s’est réfugiée chez des amis. Depuis ces événements, la rue dans laquelle habite la famille Abbou reste interdite à la circulation, et seuls les habitants du quartier présentant leur carte d’identité sont autorisés à accéder à leur domicile. Le bâtonnier de Tunis, des membres du Conseil de l’Ordre des avocats et des proches de Mme Abbou ont été empêchés de lui rendre visite à plusieurs reprises.
Enfin, le 7 décembre 2006, Mme Samia Abbou, M. Moncef Marzouki, ancien président de la LTDH, ancien porte-parole du CNLT et dirigeant du Congrès pour la République (CPR, parti politique non autorisé), M. Samir Ben Amor, avocat, et M. Slim Boukhdir ont été physiquement agressés alors qu’ils tentaient de rendre visite à Me Abbou dans sa prison de Kef, et ce en présence de nombreux policiers qui auraient filmé la scène sans toutefois intervenir. Extrêmement choqués, les militants se sont résignés à rebrousser chemin. Le 24 mai 2007, Mme Samia Abbou a été sortie de force de la salle de visite sous le prétexte qu’elle était accompagné par les représentants de Human Rights First et Front Line.
Me Abbou continue à faire l’objet de restrictions à la liberté de mouvement. Plusieurs fois les autorités l’ont empêché de quitter le pays sous prétexte que sa liberté était conditionnelle. Ainsi le 24 août 2007, Me Abbou a été refoulé et interdit de voyager vers le Royaume-Uni, où il devait participer à une émission sur la démocratie et les droits de l’Homme dans les studios londoniens de la chaîne Al-Jazeera, au prétexte que sa libération était conditionnelle et qu’il n’avait pas reçu l’accord du juge et du tribunal qui l’ont condamné (14).
Par ailleurs, le 9 juin 2007, M. Abderrahman Hedhili, membre du comité directeur de la LTDH, et M. Mongi Ben Salah, membre fondateur du CNLT, ont été interpellés par la police alors qu’ils s’apprêtaient à se rendre à une usine à Monastir (ville côtière à 160 km de Tunis), où des ouvrières étaient en grève, afin de leur exprimer leur solidarité. Le chef de la police et ses agents ont alors violemment frappé les deux hommes et les ont conduits au poste de police ; ils n’ont été relâchés que deux heures et demie plus tard.
V . – Atteintes au principe de l’indépendance du judiciaire
En Tunisie, l’indépendance de la justice souffre de nombreux maux. En outre, l’appareil judiciaire est trop souvent instrumentalisé par les autorités tunisiennes. En effet, les autorités sont à l’origine de plaintes contre les organisations de défense des droits de l’Homme, qui visent à limiter voire bloquer entièrement leurs activités. L’implication des autorités dans les procès contre les ONG indépendantes de droits de l’Homme était déjà dénoncée en 2002 par Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, dans une affaire concernant des poursuites contre des organisations de la société civile (15). L’affaire de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme en est un exemple, bloquant l’avenir de l’organisation à l’issue d’un feuilleton judiciaire interminable.
En principe l’indépendance de la magistrature est fondée sur l’‘autodétermination’ organisationnelle et fonctionnelle des magistrats. Chargé de veiller à la mise en oeuvre de ce principe en Tunisie, le Conseil supérieur de la magistrature a été institué en 1976 par la Loi constitutionnelle no 98-76 modifiant l’article 75 de la Constitution. Les membres suivants du Conseil supérieur de la magistrature sont choisis par décret présidentiel : le premier président de la Cour de cassation, le procureur général prés la Cour de cassation, le procureur général, le directeur des services judiciaires, l’inspecteur général au ministère de la Justice, le premier président du tribunal immobilier, le premier président de la Cour d’appel de Tunis, et le procureur général de la Cour d’appel de Tunis. C’est le président ou, s’il le souhaite, le vice-président, qui convoque les séances du Conseil supérieur. Ses décisions sont acquises à la majorité simple des voix. En cas de partage des voix, celle du Président de la République ou du ministre de la Justice est prépondérante. Ainsi, du fait du mode de sélection des membres du CSM, l’exécutif n’a pas restreint son contrôle sur l’appareil judiciaire.
Le statut du CSM est loin d’être approprié à l’objectif qui lui est assigné, à savoir la garantie de l’indépendance des magistrats. Il procède davantage de la nomination par le pouvoir exécutif que de la représentation élective des magistrats.
La promulgation d’une nouvelle loi relative au système judiciaire, au Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) et au statut des magistrats, le 4 août 2005 « restreint l’indépendance des magistrats », comme le Rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats l’avait définie en mars 2006. En Tunisie, le principe d’inamovibilité n’est pas garanti au niveau de la loi. Ainsi, les magistrats sont-ils susceptibles en toute légalité de faire l’objet d’une mutation. En effet, la loi nie le droit des juges de contester les décisions de l’administration devant une instance judiciaire. Il leur est également interdit d’interjeter appel des sanctions disciplinaires dont ils sont l’objet auprès du Tribunal administratif, ce droit d’appel étant désormais restreint à une requête adressée à une “commission des recours” issue du CSM. De même, la possibilité de contester les mesures de mutation des magistrats arrêtées par le CSM est dorénavant du ressort d’une autre structure dépendant du Conseil. Ces mesures sont d’évidence prises par l’exécutif pour s’assurer de la docilité des magistrats. Son utilisation pour orchestrer la répression des membres de l’association des magistrats tunisiens (AMT) en est la preuve.
Ainsi, en Tunisie, le Conseil supérieur de la magistrature propose des candidats à la fonction de magistrat, dont la nomination revient au Président de la République. Il décide, chaque année, des mutations des magistrats du siège. Pour « nécessité de service », le juge peut même être muté en cours d’année judiciaire par décision du ministre de la Justice.
En effet, en août 2005, au lendemain de la promulgation de la loi, pas moins d’une trentaine de membres de l’AMT ont été mutés dont deux élus du bureau exécutif et 15 membres de la commission administrative de l’association, leur faisant ainsi perdre leur qualité représentative au sein de l’association. En effet, en vertu des statuts de l’AMT, les membres du bureau exécutif de l’organisation doivent être en poste à Tunis. Leur mutation à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale entraîne leur démission de ce bureau (16).
Depuis l’élection de son nouveau bureau exécutif lors du congrès de décembre 2004, l’AMT a fait face à diverses entraves à ses activités et plusieurs de ses membres ont été victimes d’actes d’intimidation : mutations forcées de plusieurs magistrats, empêchement de la tenue de réunions, confiscation du local de l’association et ou encore interdiction à ses membres de voyager. Ces mesures ont pour objet de sanctionner les magistrats qui ont décidé de s’engager dans la défense de l’autonomie de l’AMT et ont fait suite au vote d’une motion générale lors du 10ème congrès de l’association, en décembre 2004, présentant des revendications institutionnelles visant à garantir l’indépendance de la justice. En outre, le 31 mai 2005, l’AMT a publié un mémorandum dans lequel il soulignait l’urgence de réformer profondément le CSM, notamment en établissant le principe du choix de la majorité de ses membres par voie d’élections.
On peut, brièvement, rappeler les événements que l’association a vécu depuis l’élection de son bureau exécutif (lors du Congrès du 12 décembre 2004) : – refus du Ministre de la Justice et des droits de l’Homme d’ouvrir un dialogue avec le bureau, démocratiquement élu, cette dernière ayant dénoncé le projet de loi portant réforme du statut des magistrats. – “putsch” annoncé suite au communiqué du bureau du 2 mars 2005, dénonçant la violation du Palais de Justice par la police politique, les atteintes aux droits de la défense et les agressions à l’encontre des avocats le jour de la présentation de Maître Mohamed Abbou devant le juge d’instruction – éviction du bureau exécutif par effraction des locaux de l’AMT situés au Palais de Justice sur instruction du Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme Béchir Takkari et en violation de toutes les lois et tous les règlements. -l’expédition punitive à l’encontre des membres représentatifs de l’association et tous ceux qui les avaient soutenus par le biais des mutations abusives et violations flagrantes de la loi lors des référés intentés en vue des suspendre la tenue de l’AGE du 4/12/2005
Suite à ces événements, le président de l’AMT et d’autres membres ont décidé de porter l’affaire devant la justice. L’affaire a été systématiquement rejetée jusqu’à ce jour. En mai 2007 un débat relatif au corps judiciaire a eu lieu à la Chambre des Députés, entre le Ministre de la Justice et des Droits de l’homme et les parlementaires. À cette occasion le sort du AMT a été soulevé et le gouvernement a nié toute ingérence (17)
L’interdiction de fonctionnement de l’AMT, comme les actes de harcèlement à l’encontre de ses membres, témoignent de la volonté délibérée des autorités de maintenir leur influence sur les juges et magistrats tunisiens.
Enfin, la FIDH tient à souligner que le rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats demande depuis plusieurs années à pouvoir se rendre en Tunisie afin d’enquêter sur les allégations d’arbitraire dans le système judiciaire tunisien. La Tunisie n’a toujours pas autorisé cette visite.
VI . – Lutte contre le terrorisme (18)
De plus en plus, le gouvernement tunisien instrumentalise les préoccupations sécuritaires comme arme de répression de l’opposition et de tout mouvement de la société civile critique par rapport au bilan du gouvernement.
En 1993, la législation tunisienne a introduit le crime de terrorisme, en modifiant l’article 52 du code pénal. Dans cet article la définition de « terrorisme » est très vague et recouvre un champ d’application si vaste qu’il est utilisé pour criminaliser les opinions dissidentes. En effet l’article 52 a déjà été utilisé pour criminaliser des activités de protestation pacifique. La publication de rapports dénonçant des violations de droits de l’Homme peut également tomber sous le coup de cette loi. Ainsi, plusieurs personnes qui n’avaient ni usé ni incité à la commission d’actes de violence ont été jugées et condamnées pour « actes de terrorisme ».
En 2003, le gouvernement tunisien a promulgué une loi spéciale sur le terrorisme intitulée « La loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent ». Ce nouveau code élargit encore plus la définition du terrorisme et restreint davantage les garanties des accusés. Plus particulièrement, il institue une justice d’exception siégeant à huis clos, allongeant les délais de prescription, comparativement au code de procédure pénal en vigueur, pénalisant le refus de témoigner ; il élimine toute possibilité de récuser les juges (protégés par l’anonymat), autorise la saisie des biens sur simple suspicion, limite les recours, rogne les garanties des suspects et surtout adopte le principe de la justice préventive. Cette loi a également institué un contrôle absolu sur le fonctionnement des ONG indépendantes, tenues dorénavant de ne pas recevoir de cotisations dépassant le plafond déterminé par l’administration, et interdites de dons ou de financements étrangers.
Comme l’observe le CNLT dans son rapport d’avril 2007 sur l’instrumentalisation politique de la loi anti-terroriste, dans la majorité des cas, aucune preuve d’acte ou de projet violent n’a pu être établie au cours des procès basés sur la loi anti-terroriste et le cours de l’instruction dans ces affaires a été davantage orienté vers l’investigation des opinions et convictions religieuses des prévenus qu’à rechercher des éléments de preuves établissant des actes prohibés par la loi. Ainsi, sur le fond, la loi anti-terroriste de 2003 est utilisée comme une arme de répression des militants engagés dans les champs politique, social et associatif. Depuis plusieurs semaines les arrestations et poursuites ne cessent de se multiplier. Comme illustration, nous pouvons citer le cas de Mohamed Yacine Jelassi, jeune cadre du PDP, arrêté le 26 septembre 2007 et maintenu au secret pendant une semaine, doit etre jugé en octobre 2007 pour répondre à des accusations d’appartenance à une cellule terroriste ; Abdeslam Laarayedh, jeune cadre du PDP, arrêté le 27 septembre 2007 après avoir participé à une réunion publique au sein de la faculté ; Wahid Brahmi, membre du PDP, accusé de terrorisme après avoir exprimé ses opinions dans les deux journaux d’opposition El Mawqif et Ettariq Al Jadid ; Chahine Essafi, coordinateur national des jeunes du PDP, victime d’une perquisition musclée et de menaces de représailles par la police politique ; Yacine Bellil et Lassaâd Mermech, arrêtés les 3 et 4 septembre respectivement, et détenus au secret sans donner de nouvelles à leur famille (19).
Depuis la promulgation de la loi, de nombreuses autres violations des droits humains ont été enregistrées : arrestations sans mandat et en dehors des horaires prescrits par la loi, faux procès- verbaux visant à prolonger les délais de garde à vue (20), détentions au secret (21), refus d’informer les familles sur le sort des personnes arrêtées. Plusieurs fois les familles des accusés, parfois des mineurs, ont été pris comme otages dans les cas où la personne recherchée était hors de son domicile. Certains membres de famille de personnes recherchées ou détenues, pris en otage ont subis des violences physiques et verbales pour faire pression sur les suspects (22).
Le code de procédure tunisien prévoit un nombre suffisant de garanties pour prévenir les risques de détention arbitraire et d’actes de torture : délais de garde à vue à 6 jours ; obligation d’informer la personne placée en garde à vue de son statut, du motif de son arrestation, des garanties légales dont il bénéficie ; obligation d’informer la famille de l’arrestation ; droit pour la personne placée en garde à vue de demander un examen médical ; obligation de tenir un registre spécial mentionnant tous les évènements importants de la garde à vue. Mais les garanties prévues par le code de procédure pénal sont violées quasi systématiquement, au bénéfice des auteurs d’actes de mauvais traitement et de torture. Pire, la justice tunisienne fournit la principale justification à l’action des tortionnaires en condamnant les accusés, sur la base exclusive des aveux obtenus lors de la garde à vue dans les locaux de la sécurité de l’Etat.
Et comme le note le CNLT, « la recrudescence de l’usage de la torture sur des prisonniers a été l’un des effets les plus notables de l’application de la nouvelle loi sur le terrorisme ». En effet, entre 2005 et 2007, la quasi-totalité de ceux qui ont été arrêtés en vertu de la loi anti-terroriste se sont plaints d’avoir été torturés lors d’interrogatoires menés par des fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur. Dans son rapport, le CNLT documente 19 allégations de torture (23) mais, il existe des allégations concernant de nombreux autres cas (24). Très récemment, le 16 octobre 2007, à la prison civile de Mornaguia, une trentaine de prisonniers, arrêtés suite aux affrontements armés de fin décembre 2006 – début janvier 2007 et détenus dans le cadre de la loi anti-terroriste de 2003, auraient été torturés par des agents pénitentiaires afin de les contraindre à mettre fin à une grève de la faim illimitée. Cette grève a été lancée le 13 octobre pour exiger la fin des mauvais traitements et leur respect de leurs droits, notamment le droit à un procès équitable (25).
L’absence de contrôle par les procureurs de la République des conditions de garde à vue et de l’authenticité des informations inscrites sur les registres de détention et le refus des juges d’instruction d’enquêter sur les allégations de torture (26) ou d’accéder aux demandes d’examen médical vient consacrer l’impunité des auteurs d’actes de torture
Enfin, sous couvert de la lutte anti-terroriste, les autorités ont également procédé, au blocage de subventions accordées par des institutions étrangères au profit d’ONG indépendantes – par exemple l’Institut arabe des droits de l’Homme, l’ Association tunisienne des femmes démocrates et la LTDH – ou de particuliers afin de rendre impossible leur participation à des évènements tenus à l’étranger.
En 1994, le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies adressait ses observations finales à la Tunisie, à la suite de l’examen du rapport du Gouvernement sur la mise en oeuvre des dispositions du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques. S’agissant de la torture et des mauvais traitements, le Comité recommandait en particulier un contrôle plus strict du processus d’arrestation et de détention et des enquêtes systématiques ainsi que l’application scrupuleuse des procédures d’enregistrement, y compris la notification des familles des personnes placées en garde à vue.
Enfin, en 1998, le Comité des Nations Unies contre la Torture adressait ses observations finales à la Tunisie, à la suite de l’examen du rapport du Gouvernement sur la mise en oeuvre de la Convention contre la Torture. Déjà le comité s’inquiétait de ce « qu’une grande partie de la réglementation existant en Tunisie pour la protection des personnes arrêtées n’est pas respectée en pratique ». La FIDH note qu’une grande partie des recommandations n’ont toujours pas été mises en oeuvre et, en particulier, celles concernant l’application rigoureuse des dispositions de la loi et des procédures relatives à l’arrestation et à la garde à vue ; l’application scrupuleuse des procédures d’enregistrement, y compris la notification des familles des personnes placées en garde à vue ; la garantie des droits des victimes de tortures de déposer plainte ; l’adoption d’une loi interdisant l’utilisation dans une procédure de toute déclaration obtenue par la torture
(1) Rapport de mission accessible sur le site Internet du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme : www.ohchr.org sous la référence E/CN.4/2000/63/Add.4
(2) Paragraphes basés sur le Rapport Annuel 2006 de l’Observatoire pour la Protection des défenseurs des droits de l’Homme FIDH/OMCT, mars 2007
(3) Cette organisation a pourtant été lancée en 1998.
(4) Paragraphes basés sur le Rapport Annuel 2006 de l’Observatoire pour la Protection des défenseurs des droits de l’Homme FIDH/OMCT, mars 2007
(5) Paragraphes basés en partie sur le Rapport Annuel 2006 de l’Observatoire pour la Protection des défenseurs des droits de l’Homme FIDH/OMCT, mars 2007.
(6) Pour plus d’information, cf le rapport de mission internationale d’enquête de la FIDH – Droits et Démocratice et de l’Organisation Mondiale contre la Torture sur le Sommet mondial de la société de l’information et la Tunisie de mai 2005 qui revient sur l’état des droits de l’Homme dans la société de l’information dans le contexte tunisien.
(7) http://www.fidh.org/spip.php ?article4104
(8) http://www.fidh.org/spip.php ?article4582
(9) Cf http://www.euromedrights.net/pages/438/news/focus/41903 et
(10) Paragraphes basées sur le Rapport Annuel 2006 de l’Observatoire pour la Protection des défenseurs des droits de l’Homme FIDH/OMCT, mars 2007
(11) http://www.fidh.org/spip.php ?article4672
(12) http://www.fidh.org/spip.php ?article4650
(13) http://www.fidh.org/spip.php ?article4514
(14) http://www.fidh.org/spip.php ?article4650
(15) Voir à cet effet E/CN.4/2002/106, para 362.
(16) Cf le Rapport Annuel 2006 de l’Observatoire pour la Protection des défenseurs des droits de l’Homme FIDH/OMCT, mars 2007.
(17) www.kalimatunisie.com/article.php ?id=581.
(18) Informations basées sur le Rapport du CNLT « Procés jugés en vertu de la loi antiterroriste en Tunisie – Justice préventive et instrumentalisation politique, Tunis : juin 2005- mars 2007 », avril 2007 et sur les communiqués de presse du Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie publiés en 2007
(19) Voir les communiqués du CRLDHT du 16 septembre et 18 octobre 2007.
(20) Par exemple Mohamed Amine Jaziri ou Jawhar Kassar arrêt’_s fin décembre 2006 et dont les PV annoncent une arrestation fin janvier 2007.
(21) Par exemple Mohamed Yacine Jelassi détenu au secret pendant une semaine en septembre 2007 ; Mahfoudh Sayadi, Walid Guaddhab et Hamdi Hajj Romdhane maintenus au secret pendant plusieurs jours ; .ainsi que plusieurs des personnes arrêtées suite aux affrontements armés de fin décembre 2006 – début janvier 2007.
(22) De telles cas ont concerné notamment les familles de Zied Abid, Hichem Manai, Ahmed Souhayel, Ali et Ibrahim Harzi, Mohamed Bakkay, Houssine Houita, Mohamed Fakhfakh.
(23) Ces affaires concernent notamment Mohamed Amine Jaziri, Ali Arfaoui, Zied Ghodhbane, Mohamed Trabelsi, Nejib Al-Ayari, Borhane Dridi, Ghaith Ghazouani, Maher Beziouch, Khaled Arfaoui, Hichem Mannai, Mohamed Amine Hedhili, Anis Krifi, Salaheddine Habbouria, Slim El Habib, Nader Ferchichi, Tarek Hammami, Sofiene Rezgui, Naoufel Sassi.
(24) Par exemple les cas de Mahfoudh Sayadi, Walid Guaddhab et Hamdi Hajj Romdhane, qui auraient été maintenus au secret et torturés pendant plusieurs jours et nuits.
(25) Les déténus qui auraient été torturés seraient Ali Sassi, Marouane Khlif, Mejdi Latréche, Sahbi Naceri, Taoufik Houimdi, Zyed Essid, Mohammed Ben Ltaifa, Badreddine Ksouri, Imed Ben Ameur, Kamel Oum Heni, Saber Ragoubi, Fathi Salhi, Ali Arfaoui, Mohammed Amine Dhiab, Jaouher Slama, Jaouher Kassar, Mehdi Elhajj Ali, Oussama Abadi, Moukhliss Ammar, Zouhai_r Jrid, Oua’il Amami, Mohammed Khlil Ben Mohsen Zendah, Ramzi Eliifi, MohammKhlifa Karaoui.
(26) Par exemple, dans le cas de Ziad Fakraoui, qui auraient subi des tortures au cours de sa garde a_ vue en avril 2005, le Parquet de Tunis refuse d’instruire la plainte de Ziad, enregistrée depuis le 13 avril 2007, sous le numéro 7021177.
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