Trente ans d’emprisonnement, c’est la peine à laquelle la quatrième chambre criminelle du Tribunal de Première Instance de Tunis, présidée par le juge Mehrez Hammami, a condamné le 30 décembre 2007 Mohammed Amine Jaziri, arrêté le 24 décembre 2006, et écroué dans l’attente de son procès à la prison de Mornaguia près de Tunis. Trente ans contre lesquels il devrait faire appel ; trente ans prononcés à l’issue d’un procès qui a vu notamment deux des accusés condamnés à la peine capitale, et sept autres à l’emprisonnement à perpétuité. Retour sur une année de procédure et d’emprisonnement.
Il y a un an, Mohammed Amine Jaziri, titulaire d’une licence de droit, âgé de vingt sept ans, se rendait à Tunis au volant de la voiture de son père pour y passer le concours d’huissier notaire. Avant même de quitter Sidi Bouzid, il reçut sur son portable le message d’un ami le suppliant de le rejoindre à l’hôpital, ce qu’il fit. Il disparut alors pendant plus d’un mois. Il s’avéra par la suite que si le message émanait bien d’un ami, ce dernier l’avait envoyé alors qu’il était entre les mains de la police. Les recherches de sa familles restèrent vaines, la police niant le détenir, mais… perquisitionnant le 27 décembre, sans mandat, son domicile en l’absence de son épouse, et laissant avant de partir, les clés personnelles de Mohammed Amine Jaziri. L’inquiétude s’accrut chez ses proches, Mohammed Amine Jaziri ayant déjà fait l’objet du harcèlement de la police dans l’année qui avait précédé. La durée légale de la garde à vue (six jours) fut allégrement dépassée, provoquant cette fois-ci l’inquiétude des défenseurs des droits de l’homme, tant en Tunisie qu’au niveau international.
La famille de Mohammed Amine Jaziri retrouva celui-ci en prison, à Tunis où il avait écroué par le juge en vertu de la loi antiterroriste du 10 décembre 2003, inculpé pour sa participation aux affrontements armés survenus dans la dernière semaine du mois de décembre dans la banlieue de Tunis. Il s’avéra qu’il était resté en garde à vue quatre jours au poste du district de Sidi Bouzid, qu’il y avait été torturé puis transféré au ministère de l’Intérieur à Tunis, où il avait été à nouveau torturé. A l’issue d’un mois de tortures destinées à lui faire signer ses aveux,-le procès verbal de la garde à vue fut falsifié, pour masquer le caractère illégal de cette détention au secret dépassant de loin les six jours autorisés par la loi,- il fut incarcéré à la prison de Mornaguia, nouvellement construite, à des centaines de kilomètres de sa ville de Sidi Bouzid. . Il était alors tenu de vêtir une tenue spéciale, notamment une cagoule, il était enchaîné. Il partage maintenant sa cellule avec trois autres prisonniers politiques, les seules personnes avec qui il a le droit de parler, tout contact avec les autres prisonniers lui étant interdit. Le jour de visite est le lundi, cette dernière dure de dix minutes à une demi heure. Peuvent lui rendre visite ses parents, son épouse, ses frères et soeurs et ses beaux-parents ; la visite est enregistrée par une caméra et par le téléphone qui sert à communiquer entre les visiteurs et le prisonnier, sans compter la présence d’un gardien derrière Mohammed Amine Jaziri, quand ce n’est pas à côté de ses visiteurs. Il n’a jamais eu droit à une visite directe, même après la venue au monde de son premier enfant, né quelques mois après son arrestation. Il l’aura vu à deux reprises et c’est à travers l’épaisse vitre du parloir, et … par téléphone… qu’il peut lui parler ? Le couffin amené par sa famille lui parvient de façon régulière, sauf incident majeur : la vie carcérale est émaillée de violations flagrantes des droits des prisonniers.
Mohammed Amine Jaziri a voulu mener une grève de la faim le 13 octobre dernier pour protester contre les mauvais traitements, les humiliations et les provocations permanentes dont il fait l’objet en prison. Il a été alimenté de force et torturé. Ses parents ont alors été privés de visite et n’ont pu lui apporter son couffin pendant quatre semaines d’affilée, sans que le prisonnier ne passe devant la commission disciplinaire, comme le dispose la loi. Son avocat a pu constater son état lamentable. Encore une fois, la sonnette d’alarme fut tirée, en vain . Depuis lors, Mohammed Amine Jaziri est privé de lit et doit dormir à même le sol, gelé en hiver, alors qu’il souffre de problèmes de santé.
Car la situation faite à Mohammed Amine Jaziri n’est pas isolée de celle du reste des accusés dans cette affaire.
A en croire le journal Es Sabah du 16 janvier 2007, les personnes impliquées dans les affrontements armés ont été déférées devant la justice civile, en vertu de la loi anti terroriste du 10 décembre 2003, interrogeant la thèse selon laquelle des militaires ou agents de la garde nationale auraient été tués durant ces affrontements, auquel cas, l’affaire aurait été examinée par une juridiction militaire; toujours selon les thèses officielles, douze membres du groupe armé auraient été tués dans les affrontements, dont six venant d’Algérie, et quinze autres auraient été arrêtés. La plus grande opacité entoure toujours les conditions de leur décès et de leur enterrement, les traces observées sur certains cadavres étant des séquelles de torture et non de balles, sans compter la controverse née de la contestation par une organisation mauritanienne des droits de l‘homme de la date du décès d‘un ressortissant mauritanien, officiellement décédé lors des affrontements alors que son décès remonterait à plusieurs mois auparavant. La presse parla également de computers saisis dont l’examen aurait prouvé que les objectifs des insurgés étaient les ambassades des Etats-Unis et d’Angleterre. Déférés devant le juge, ils furent inculpés de complot contre la Sûreté de l’Etat et de tentative de renversement du régime, accusations ignorées à leur tour par le tribunal. Alors, oubliées, les accusations d’attentats contre des ambassades ? La réponse est double : Oui, au niveau de la procédure, et non, au niveau de la propagande du régime, il fut toujours question des ambassades, y compris récemment, puisqu’à la veille du procès, le président de la République insistait : « Nos forces de sécurité ont découvert que ces éléments détenaient des plans de situation des ambassades de Grande-Bretagne et des Etats-Unis à Tunis. Ils les avaient puisés sur Gooogle Earth et entendaient attaquer ces ambassades le moment venu ». Thèse parfois reprise sans commentaire par la presse internationale. Quant aux quinze personnes arrêtées lors des affrontements, elles se révélèrent trente. Alors qui sont les quinze autres ? D’après les quelques pages du dossier mises à la disposition des avocats, il ressort que les éléments armés se sont infiltrés six mois avant les affrontements alors que la version rendue publique fait état d’une infiltration au mois de décembre.
Ces contradictions au niveau général (dont le présent article ne prétend pas présenter une liste exhaustive, loin s’en faut, les avocats eux-mêmes n‘ont prendre connaissance de l‘entièreté du dossier, qui comporte plus d‘un millier de pages) se répercutent sur la situation de l’accusé Mohammed Amine Jaziri, arrêté le 24 décembre à Sidi Bouzid, à 370 kilomètres des affrontements armés, alors que les affrontements dans la capitale n’avaient officiellement pas commencé !
C’est hors de la présence des avocats que l’affaire (1/7717) a été instruite et clôturée. La chambre d’accusation a mis trois jours à boucler le dossier, ignorant superbement les mémorandums des avocats. L’affaire a été appelée le 21 novembre 2007, reportée au 1er puis au 15 décembre, audience qui avait vu la police déferler sur les accusés pour les frapper sous le regard du juge Mehrez Hamami, qui n’avait rien trouvé à redire, provoquant le retrait de la défense, audience au cours de laquelle le père de Mohammed Amine Jaziri, Moncef Jaziri, avait été interpellé. L’audience avait été reportée au 22 puis au 29 décembre, tout l’enjeu étant de prononcer le jugement en catimini, soit à une période où la présence d’observateurs est improbable. Quant au procès qui a vu Mohammed Amine Jaziri être condamné à trente ans d’emprisonnement, ce fut un procès sans plaidoiries, dont le moins qu’on puisse en dire est qu’il n’a pas contribué à faire la vérité.
Ni la justice.
Luiza Toscane
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