Juste deux mots avant de reproduire l’article de C. Rotman relatif à la décision du Tribunal de grande instance de Lille annulant un mariage entre un couple de musulmans pour cause de mensonge sur la virginité de la mariée. C’est étonnant le nombre de papiers et de commentaires que l’on croise sur ce sujet. Et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, je n’en ai pas vu un, mais alors un seul qui ait reproduit la décision des juges lillois. Pire encore, il n’y en a pas un qui ait repris textuellement le moindre “considérant” de la décision pour informer des réels enjeux de cette décision. On voit de tout : “les juges ont pensé”, “les juges ont estimé”, “les juges ont fait savoir” etc, sans que l’on sache exactement au mot près ce qu’ils ont dit. Forcement, puisque, hormis le juriste qui a commenté la décision sur le Dalloz, aucun journaliste n’a fait son boulot jusqu’au bout. Et en guise d’information, l’on se retrouve à surenchérir sur le terrain de la démagogie… Quand ce n’est pas pour annoncer: “on y est, la justice française se met à appliquer la chariâ sur le sol de la République.

Du coup, tout le monde y perd : la sérénité de la justice, le citoyen et surtout l’éthique des choix de société que l’on désire adopter. Car contrairement aux apparences, il ne m’a pas semblé que les magistrats lillois se soient prononcés sur une question religieuse, mais bel et bien sur la question de la formation d’un contrat et ses conséquences sur sa validité ultérieure. Les commentateurs, dans leur fougue, ont eu, dans leur ensemble, la facheuse tendance à négliger que le mariage est d’abord un CONTRAT CIVIL, obeissant de ce fait aux règles relatives à la validité des consentements exprimés. Et en l’espèce, le mensonge pour ne pas compromettre ce contrat de mariage, peut-il être sanctionné par son annulation ? Peut-on mentir sur son casier judiciaire pour ne pas effrayer sa “future moitié”, sur son compte en banque, sur une maladie incurable, sur sa virginité tant du côté de l’homme que de la femme, sans que ces mensonges ne puissent ultérieurement constituer une cause d’annulation du mariage, car ayant vicié le consentement du conjoint ? Les sociétés sont en constante évolution tout comme les réponses à ces questions. Que les juges lillois aient eu tord ou raison par rapport aux attentes de la société, cela peut se discuter. En revanche, ce que je trouve non susceptible d’être discuté, c’est le flot de la démagogie des nombreux articles que j’ai parcourus concernant cette décision de justice.
Plus rien d’autre à dire ! je vous laisse avec l’article de C. Rotman de Libé, et lequel article m’a semblé, pourtant, dès plus “modérés” parmi ceux que j’ai lus.

Astrubal, le 30 mai 2008
http://astrubal.nawaat.org
www.nawaat.org

 

Charlotte Rotman, Libération du 29 mai 2008

La mariée n’était pas vierge. Le mariage a été annulé. Et c’est arrivé près de chez vous. La décision a été rendue au mois d’avril par le tribunal de grande instance de Lille. Elle vient d’être commentée dans une revue juridique (1). Les juges ont pensé que le mari plaignant avait été trompé sur la virginité de sa femme, considérée en l’occurrence comme «une qualité essentielle.»

Nuit de noces. X et Y (ils veulent rester anonymes) sont des musulmans français «pas du tout extrémistes», précise l’avocat du mari. Lui est ingénieur, la trentaine. Elle était étudiante quand ils se sont rencontrés. «Elle lui a été présentée comme célibataire et chaste», note le jugement lillois. Y, elle aussi, assure à X qu’elle est pure comme il le souhaite et n’a jamais eu de relations sexuelles. C’est ce que croit toute sa famille. Le mariage se fait en grande pompe, comme il se doit. La nuit de noces, le marié découvre que son épouse a menti. Au bout de quelques heures, il débarque au milieu des invités qui sirotent un dernier jus. Il n’a pas de drap taché de sang à exhiber. Son père ramène immédiatement Y, sa belle-fille, chez ses parents. Tout le monde se sent déshonoré.

Dès le lendemain, l’époux cherche à faire annuler son mariage. Il ne s’agit pas d’une procédure de nullité absolue qui frappe les mariages blancs par exemple. Dans ces cas-là, le procureur poursuit le ou les fraudeur(s) qui ont utilisé le mariage à d’autres fins que matrimoniales. Ici, il s’agit d’une nullité relative, réclamée par celui qui s’estime victime d’une erreur. C’est une procédure rare. L’un des époux dit qu’il s’est trompé sur l’une des «qualités essentielles» de l’autre. Mais comment le prouver ?

Le problème ne s’est pas posé : la femme a très vite reconnu avoir déjà eu des rapports sexuels auparavant. «La jeune mariée avait caché la vérité, convaincue que son fiancé ne l’aurait jamais épousée s’il avait connu la réalité», note le commentateur de la publication juridique.

Le plaignant lui a donc reproché son manque de sincérité. «Il m’a expliqué qu’elle lui avait menti, se souvient son avocat Xavier Labbée. Il m’a dit :
“Je ne peux pas faire une union solide, basée sur un mensonge.”» Devant le tribunal, la jeune femme reconnut une fois de plus sa dissimulation.

X, lui, voulait non seulement rompre, mais surtout effacer cette union. «Faire comme s’il n’y avait jamais rien eu.» Les juges lui ont donné raison. Ils ont estimé que le mariage avait été conclu «sous l’emprise d’une erreur objective» mais aussi qu’une telle erreur était «déterminante dans le consentement». En l’espèce, à leurs yeux, la virginité l’était.


Des jugements précédents ont déjà retenu cet article de loi (le 180 du code civil), par exemple quand un époux a ignoré que son conjoint était divorcé ou prostitué, lorsqu’il s’est trompé sur son état mental ou son aptitude à avoir des relations sexuelles normales, note la revue.

Salles d’attente. Ce jugement va-t-il servir d’instrument de menaces au service des fiancés musulmans (ou d’une autre religion prônant «le jamais avant le mariage») ? Va-t-il contribuer à remplir les salles d’attente des médecins qui pratiquent les reconstitutions d’hymen ?


Ou, dernière hypothèse plus optimiste (et plus tordue), cela va-t-il permettre à des jeunes femmes poussées par leur famille dans les bras d’un mari dont elles ne veulent pas de s’en débarrasser ?

(1) Dans le Recueil Dalloz, daté du 22 mai 2008.

Source: http://www.liberation.fr