Hannibal KadhafiDans un lieu tenu secret, les deux employés de maison de Hannibal et Aline Kadhafi ont accepté, vendredi 18 juillet 2008, de livrer leur version de ce qu’ils ont vécu avant de déposer plainte contre le couple.

« J’ai tout de suite compris qu’ils n’étaient pas normaux. » Ils, ce sont Hannibal et Aline Kadhafi, tels que les décrit la domestique de madame. Cette jeune Tunisienne a déposé plainte avec l’homme à tout faire de monsieur, un Marocain, contre le fils du chef d’Etat libyen et son épouse. Mardi 15 juillet, après une intervention musclée de la police genevoise à l’Hôtel Président Wilson où ils séjournaient depuis le 5 juillet 2008, les époux Kadhafi étaient inculpés pour lésions corporelles simples, menaces et contraintes sur leurs employés de maison. Des accusations rejetées en bloc par le couple libyen, qui évoque une mise en scène des domestiques pour obtenir l’asile.

Vendredi 18 juillet 2008, les deux employés de maison reçoivent dans un lieu tenu secret, car ils craignent pour leur vie. Ils prennent la menace relayée par la presse du jour au sérieux : Aïcha, la sœur d’Hannibal, a promis la vengeance : « Œil pour œil, dent pour dent. » Ils sont accompagnés par la députée genevoise démocrate-chrétienne Anne-Marie von Arx-Vernon, militante contre la violence faite aux femmes et la traite d’êtres humains. Encouragés par l’élue, qui les a pris sous son aile, ils livrent leur version des faits. Leurs visages et leurs corps sont couverts de cicatrices. « Lui, il a reçu des coups de couteaux, regardez ! Et moi, j’ai été frappée avec un cintre en fer qui fait très très mal. Aline voulait me briser les yeux. On peut taper, mais pas comme ça. » Quand la Tunisienne, âgée de 35 ans, raconte ce qu’elle a vécu pendant un mois et demi au service des Kadhafi, le Marocain, âgé de 36 ans, reste en retrait. Contrairement à elle, il affiche « cinq ans d’esclavage » au service du fils du guide de la révolution libyenne. Au début, tous deux ont l’espoir d’une vie nouvelle auprès de la famille présidentielle. Lui travaille dans un hôtel marocain, comme chef de rang. Un jour, son patron lui parle du Palais de Tripoli, qui cherche un serveur de qualité. « Tu vas travailler pour un prince, c’est un bon boulot. » La jeune femme, elle, vivote à l’aide de petits boulots, qu’elle change tous les trois mois. L’annonce parue dans la presse tunisienne l’allèche. On lui explique qu’elle s’occupera de couture, de maquillage et de tenir compagnie à Aline Kadhafi. Une aubaine. Mais à peine ont-ils traversé la frontière qu’ils sentent le piège se refermer sur eux : leurs passeports et téléphones sont confisqués.

La domestique tunisienne de Hannibal Kadhafi exhibe ses blessures

« A mon arrivée, on m’a mise dans un endroit où il y avait des chèvres et des chiens. Je suis restée prisonnière une semaine. » Quand elle découvre enfin le palais, gardé par des militaires et dissimulé derrière un immense mur, la Tunisienne réalise qu’il y a « beaucoup d’autres employées. Aline Kadhafi les frappait ». Des Philippines, des Indonésiennes, des Ethiopiennes. Mais pas de Libyennes, « parce qu’elles risquaient de parler ».

Une blessure faite au couteau du domestique marocain de Hannibal KadhafiLe Marocain a déjà vu défiler « trente filles ». Certaines se sont enfuies. Lui n’y est jamais parvenu. « J’ai voulu démissionner deux fois, mais je me suis retrouvé dans la prison privée de Hannibal, qui se situe dans l’une de ses sociétés. » Presque un répit, par rapport à son rythme de travail :

« Vingt-deux heures sur vingt-quatre. Je faisais tout : le dîner, le repassage, passer l’aspirateur, sortir le chien, m’occuper de leur enfant… Hannibal vit la nuit, et ne se couche qu’à 08h00. Il avait tout le temps besoin de moi, et même quand il dormait, je devais travailler. »

Dès son deuxième jour à Tripoli, la Tunisienne prend peur. « Aline m’a tapée contre une vitre. Vous voyez mon genou ? Elle m’a giflée, insultée. Comme les autres. Elle me frappait ou me tirait les cheveux toutes les cinq minutes. » Sa patronne la sollicite tout le temps, « elle ne peut pas rester seule ». Ensemble, elles préparent les valises du couple et de leur fils âgé de 3 ans. « Je ne savais pas où on partait. » Un avion privé les emmène à Genève, où Aline Kadhafi, enceinte de 9 mois, a prévu d’accoucher. Ils séjournent dans un hôtel de luxe de la rive droite du lac Léman : le Président Wilson. Les époux Kadhafi ont chacun leur chambre, et se disputent souvent, violemment. Ils sortent peu, « elle restait toujours en chemise de nuit ». Sauf pour quelques repas au restaurant, et de rares séances de shopping. Dans la suite 345, le calvaire des domestiques s’intensifie. « J’étais prisonnière. Je ne mangeais pas, je ne dormais pas. Aline m’a traitée comme une esclave. Trois fois, elle m’a dit que si je parlais, elle me jetterait par la fenêtre. Je n’ai jamais douté qu’elle en était capable », assure la Tunisienne. Interpellés par les cris, des employés du palace préviennent la police. Celle-ci se déplace à deux reprises, sans aller dans la suite. La troisième fois, c’est la Tunisienne elle-même qui les appelle à l’aide, grâce à la complicité d’un agent de sécurité, qu’elle remercie souvent dans son récit. « Je les ai suppliés de monter. » Les employés sont alors transportés à l’hôpital, où l’on constate leurs blessures.

Inculpés mais libres, les époux Kadhafi contestent toutes les accusations de leurs employés. Ils affirment qu’il s’agit d’une machination destinée à obtenir l’asile en Suisse. « Mais je ne connais rien à la Suisse ! Je ne savais même pas qu’on venait ici. Ça aurait pu se passer ailleurs, mais on a eu de la chance que ça soit là », dit la Tunisienne. « C’était le destin », clament en cœur les deux compagnons d’infortune. Le Marocain, sans nouvelles de sa mère depuis que l’affaire a éclaté, est inquiet. Son frère se cache « dans une famille ». « La police m’a conseillé de demander l’asile provisoire. » Quand elle raconte son histoire, la Tunisienne pleure souvent. « J’ai peur. J’ai besoin d’aide. J’imagine Aline. J’entends sa voix. » Vendredi 18 juillet 2008, elle a été choquée de lire les déclarations d’Aïcha Kadhafi. « Elle dit que la police genevoise est raciste, mais nous sommes aussi Arabes qu’elle ! » Le futur, ils ne le conçoivent pas. « Ils nous ont volé notre avenir. » Que va-t-il se passer ? La députée Anne-Marie von Arx-Vernon explique qu’ils ont surtout besoin de repos. Pour le reste, des contacts ont été pris avec les ambassades marocaine et tunisienne. Bien sûr, il n’est pas question de retourner en Libye. « Ils ont été courageux de parler. Il faut qu’on sache qu’ici, personne ne bénéficie de l’impunité. Pas même les riches et les puissants. »

Cynthia GANI
Source : INTERET-GENERAL.INFO