Mark Zuckerberg, fondateur et Chief executive officer du site internet Facebook.Chaque mois, Facebook doit payer un million de dollars de facture d’électricité. C’est la rançon des superlatifs dont on ne se lasse pas pour illustrer le succès du premier réseau social au monde: 100 millions d’utilisateurs qui y consacrent en moyenne deux heures par mois; 300.000 photographies ajoutées chaque seconde; un bon demi-million de dollars par mois pour payer la bande passante; 700 à 800 personnes pour gérer l’ensemble depuis Palo Alto en Californie et ailleurs dans le monde. Le prix de tout cela: entre 200 et 300 millions de dollars par an. (L’entreprise n’étant pas cotée, elle ne donne pas d’information sur ses comptes).

L’ennui est que, de son propre aveu, Facebook est toujours à la recherche de son business model. Le réseau social est construit sur une vision plutôt “pré-bulle internet”. Les Américains ont une expression un peu gore pour la définir: “get eyeballs” autrement dit, ralliez des globes oculaires, de préférence par paires, scotchés à votre site internet, et le reste – traduisez: la pub – suivra. Parfait. Dans le cas de Facebook, ce concept (le terme est gentil), se heurte à trois problèmes.

Une audience ruineuse

Le premier est une question d’échelle. Pour prendre un exemple, un site d’information requiert, grosso modo, 7 à 8 millions de visiteurs uniques (VU) mensuels pour payer les coûts d’une rédaction de 40 à 50 collaborateurs. A 50 millions de VU et un trillion de pages vues par an comme c’est le cas pour Facebook, c’est la théorie des rendements décroissants qui prévaut : le système n’est plus en mesure d’extraire un nouveau de revenu suffisant par utilisateur alors que les coûts associés à leur multitude s’envolent. (Un exemple en France: Skyblog et ses 20 millions de blogs collectent à peine plus d’un euro par utilisateur et par an – heureusement, une bonne gestion garantit la viabilité de l’ensemble). A cela s’ajoute l’assiduité exceptionnelle des Facebookers: autant la consultation de la présente chronique se fait à un coût technique marginal insignifiant pour E24.fr, autant le fait de charger à la pelle photos et autres sur Facebook devient ruineuse: 10 milliards d’images sont stockées (et donc consultées) sur le réseau social. Ce qui se traduit par des milliers de serveurs.

Seconde cause de migraine pour Facebook: le modèle des “globes oculaires” peut s’envisager dans des conditions économiques normales. Or elles ne le sont plus. Comme pour tout le monde, les flux publicitaires se tarissent rapidement (parfois au rythme de 15% à 20%par an) et le peu qui reste s’apparente au hard discount. Pas génial. Surtout quand on est dans la situation de Facebook où le nombre de visiteurs quotidiens dépasse les 20 millions avec un doublement annuel – et donc les coûts d’exploitation qui vont avec.

Troisième souci: la partie de l’audience de Facebook qui n’est pas monétisable sur le plan publicitaire. Elle aussi est en forte croissance. Avec une vingtaine de langages disponibles, cette proportion commence à être significative. C’est tout le problème des marques globales sur internet: leurs services sont accessibles depuis le monde entier, y compris dans des pays où l’audience n’a pas de valeur commerciale. Des sites d’information espagnols ont ainsi fermé leur accès aux internautes d’Amérique latine. Ils drainaient une coûteuse audience impossible à monétiser. Une pratique aux antipodes de toute idée d’égalité d’accès à l’information….

Oublier la bourse

Comment faire? Les 265 millions de dollars de revenus estimés pour 2008 par la firme de recherche eMarketer ne couvrent pas les coûts actuels de Facebook, et pour 2009, l’effet de ciseau est inévitable avec une poursuite de la croissance et un effondrement certain de la publicité. Aujourd’hui, Facebook a brûlé le demi milliard de dollars qu’il a levé auprès d’investisseurs comme Microsoft ou le Chinois de Hong Kong Li Ka-Shing. La logique financière impliquait une scintillante introduction en bourse façon Google, mais par les temps qui courent, placer des actions Facebook reviendrait à vendre des tongs au Groenland. Pas de chance car l’entreprise vaudrait sans aucun doute plusieurs milliards de dollars. L’heure est donc aux solutions transitoires.

Le niveau de son audience, la valeur associée à la marque, confère à Facebook une bonne capacité d’emprunt. Avant même la crise de l’automne, TriplePoint Capital, une firme spécialisée dans le financement-relais des startups annonçait avoir accordé un financement de 100 millions de dollars à Facebook (principalement pour de l’infrastructure). Le 31 octobre, le site TechCrunch révélait de son côté que le directeur financier de Facebook s’était rendu à Dubai pour lever des fonds. La semaine dernière, le magazine en ligne Slate a lancé une idée intéressante: faire payer les utilisateurs les plus intenses. Le principe: si vous avez moins de 200 “amis” sur Facebook, le service est gratuit. Au-délà, c’est 5 dollars par mois. Farhad Manjoo, l’auteur de l’article, part du principe que 95% des 100 millions d’abonnés à Facebook, refuseront de payer. Mais, dit-il, si seulement 5% acceptent de payer 60 dollars par an, d’un seul coup Facebook se retrouve avec 300 millions en banque, et la totalité de ses charges couvertes. Evidemment, cette idée s’est répandue comme un feu de brousse sur le net et a généré des mégaoctets de protestation. Normal et prévisible. Mais la conjoncture devrait immanquablement pousser la direction de Facebook à regarder de plus près cette éventualité qui a ses vertus: pour le coup enfin, l’effet de masse jouerait positivement, les “globes oculaires” étant convertis en chiffre d’affaires.

Par Frédéric Filloux
Source : www.e24.fr