Comment avez-vous réagi aux condamnations prononcées contre Adnane et ses camarades ?

Djemaa Hajji : Pour moi, ce n’était pas un procès. J’étais dans une caserne tant le nombre d’agents de police dépassait celui des familles des prisonniers, des avocats et des militants présents. Nous étions face à une mise en scène sordide où les avocats n’ont pas été autorisés à plaider, où les accusés ont été empêchés de s’exprimer. L’audience a été levée de façon arbitraire. On nous a demandé d’évacuer la salle du tribunal vers trois heures de l’après midi et on nous a violentés pour nous y obliger, mais nous avons résisté et fait valoir notre droit et nous sommes restés sur place […] jusqu’à dix heures du soir lorsque la séance a été suspendue. Nous sommes sortis puis les avocats nous ont contactés et nous ont informés des condamnations qui nous ont abasourdis, stupéfiés […] nous avons eu la sensation que les condamnations avaient été préparées et n’avaient plus qu’à être prononcées.

Quelles sont les dernières nouvelles de la santé d’Adnane Hajji et du traitement qui lui est réservé dans sa prison?

D. H. : On connaît tous la réalité des conditions carcérales en Tunisie, notamment pour les prisonniers d’opinion. Mon mari a été en butte aux mauvais traitements à une tentative de sévices puisqu’on l’a obligé à retirer ses vêtements dans le froid terrible de la prison de Kasserine alors qu’ils connaissent son état de santé critique, qu’ils savent qu’il n’a qu’un seul rein. Ceci dit, son moral est très bon car il est convaincu de la cause pour laquelle il a été emprisonné. Mais le plus grave c’est l’état de Béchir Labidi qui a eu une pneumonie aiguë qui menace gravement sa santé. Et ce qui aggrave encore son cas, c’est qu’on ne lui donne pas les médicaments que sa famille lui apporte. Le frère Béchir Labidi est menacé aujourd’hui et il faut au moins le changer de prison, lui permettre de se soigner, d’avoir accès à des médicaments. Il y a eu des appels en ce sens, mais le pouvoir ferme les yeux devant cette tragédie. C’est pourquoi je renouvelle un appel à toutes les consciences libres pour sauver Béchir Labidi.

Quelle a été la réaction des populations du bassin minier à ces condamnations ?

D. H. : Le vendredi, soit au lendemain du prononcé des condamnations, la population de Rédéyef est sortie en scandant les noms des prisonniers et pour exprimer leur refus des jugements, chacun à sa façon. Parmi les slogans significatifs : « Pour un Adnane de parti, il y a mille nouveaux Adnane », mais les autorités ont réagi en faisant intrusion dans les domiciles et en interpellant les jeunes qui avaient protesté contre les condamnations.

Les partis d’opposition indépendants et la société civile ont été solidaires de la population du bassin minier. Que pensez-vous de cette solidarité et qu’attendez-vous de ces forces ?

D. H. : Nous saluons toute voix qui se lève pour nous aider, indépendamment de la forme du soutien, de son origine et quelque soit son importance. […] Grâce à ce soutien nous sommes plus forts et plus à mêmes de résister et de persévérer. Je souhaite que les efforts déployés par ces forces portent leurs fruits et parviennent à faire libérer tous les prisonniers, à leur redonner de la considération et à lever l’injustice qui s’est abattue sur nos populations.

Une visite de forces politiques et civiles françaises aux populations de la région s’est heurtée à une attaque féroce du pouvoir et des médias à son service. Comment évaluez-vous ce type de soutien ?

D. H. : Nous sommes touchés par toute main tendue en ces jours difficiles et, toute voix humaine libre, nous l’accueillons avec amitié, pour la libération des prisonniers pour que soit mis un terme aux souffrances ainsi qu’à l’injustice qui s’est abattue sur notre population et nous n’accordons pas d’intérêt à ce que dit une certaine propagande qui a ignoré notre existence et nous découvre aujourd’hui.

Nous avons noté l’importance de la participation des femmes dans le mouvement de protestation. Comment l’expliquez-vous et quel est le rôle joué par la femme en ces moments critiques ?

D. H. : Notre cause a conscientisé profondément et fortement tout le monde, qu’il s’agisse de femmes instruites ou non, car les femmes connaissent de l’intérieur et dans leur chair les raisons qui ont poussé au soulèvement pour un emploi digne. Mais maintenant la femme se sent impuissante et elle ne peut s’exprimer à cause du nombre effrayant des forces de police qui est en passe de dépasser celui de la population. Ces forces sont chargées de réprimer tout mouvement. Sans compter que la femme, la sœur, l’épouse ne craint pas seulement les coups et les arrestations mais elle craint ce que cela suppose en terme d’outrages. Et les populations en ont très peur. Mais dans tous les conseils et dans toutes les maisons la conversation tourne sur la situation et la cause des prisonniers. La femme en réalité ne fait qu’assumer son rôle naturel, ni plus ni moins.

Pendant le soulèvement et par la suite, la propagande officielle a dit que tous les problèmes à l’origine des protestations étaient réglés. Qu’en est -il ?

D. H. : (long sourire) En tant que citoyenne je n’ai rien vu des allégations officielles. Je vais vous donner un exemple de la permanence de la même situation. Il y a de nombreux jeunes qui ont émigré clandestinement en Europe, or il sont toujours déclarés en tant que travailleurs dans le secteur des chantiers et de la sous-traitance et dans le même temps, certains touchent leur salaire si minime soit-il et le versent sur leur compte. Ceux qui utilisent ce type de méthodes concourent de façon importante à la tragédie de Rédeyef, à la misère de sa population et au pourrissement de la situation en terme de corruption permanente. Vous n’avez qu’à vous promener dans la petite ville de Rédeyef pour voir les chômeurs par dizaines dans les rues et les cafés. Même pour un emploi ponctuel payé de façon dérisoire il faut user de corruption pour l’obtenir. En conclusion, pour ce qui est des réalisations supposées, rien n’a été fait qui aille dans le sens de la résolution des problèmes de la région.

Quelle a été votre réaction à la nouvelle de la levée du gel de monsieur Adnane Hajji ?

D. H. : Je crois sincèrement qu’Adnane n’a pas commis de crime qui mérite son gel de même qu’il n’a rien fait pour que ce gel soit levé, mais cette décision est correcte et de bon sens et elle aide l’affaire d’Adnane Hajji et l’affaire des emprisonnés du bassin minier en général.

Avez-vous un appel à lancer à la direction syndicale ?

D. H. : Je remercie la direction syndicale pour son attitude et je l’exhorte à continuer son soutien jusqu’à la fin de cette injustice. Je considère que ses positions et ses manifestations vont dans le bon sens et représentent un point d’appui important pour les prisonniers
et leur affaire, ce qui poussera en fin de compte le pouvoir à revoir ses positions. Enfin, j’apprécie les mobilisations des syndicalistes de tous secteurs et quelque soit leurs responsabilités.

Et avez-vous un appel à lancer au pouvoir en place ?

D. H. : Je leur demande de recouvrer la raison et je leur dis que ces prisonniers n’ont commis aucun crime méritant une telle sanction. Je leur dis que les prisonniers ont besoin de leur liberté, que leurs familles, leurs épouses et leurs enfants ont besoin d’eux. Je les exhorte à mettre un terme à cette errance qui est la notre depuis l’incarcération de nos époux. Je leur dis : « révisez votre position sur la région et sa population maintenant et n’attendez pas demain »

Et avez-vous un appel pour les forces de l’opposition et de la société civile ?

D.H. : N’arrêtez pas vos efforts inestimables pour lever cette injustice et ne dédaignez aucune action car chaque mot et chaque acte nous aide, nous renforce dans nos convictions et contribue à nous faire tenir.

Comment ont réagi les membres de la famille d’Adnane Hajji à sa condamnation ?

D. H. : Adnane a une seule fille qui a souffert et a été en crise au début mais maintenant elle va mieux […]. De mon côté je fais ce que je peux en tant que mère pour lui rendre les choses moins lourdes, je m’oublie moi-même et mes problèmes en général. [….]

Entrevue réalisée par Abdeljabbar Rguigui
Source : El Maoukef
(traduction d’extraits : Luiza Toscane)