Benyamin Nétanyahou, dirigeant du Likoud. REUTERS/ELIANA APONTE
En concurrence avec Tzipi Livni pour diriger le gouvernement israélien, “Bibi” promet de faire mieux qu’il y a dix ans. Ce ne sera pas trop difficile.

Possible nouveau Premier ministre israélien (au terme d’un feuilleton animé, ce sera lui ou la « centriste » Tzipi Livni), Benyamin Netanyahou, 60 ans à l’automne, illustre à merveille un dicton courant : tant qu’un politique n’est pas mort et enterre, il est périlleux de considérer qu’il est exclu du jeu. Quand, au printemps 1999, défait électoralement par le travailliste Ehoud Barak, il quitte le pouvoir qu’il occupe depuis trois ans (il a été le plus jeune chef de gouvernement depuis 1948), « Bibi », son surnom le plus courant, semble discrédité à jamais pour diriger le pays.

Ses supporters d’extrême droite ne lui pardonnent pas ses – maigres – concessions aux Palestiniens, cependant qu’en sens inverse il a exaspéré Clinton par ses chipotages permanents et sa fréquentation assidue des néoconservateurs américains. D’autres partenaires étrangers, à commencer par l’égyptien Moubarak, ne l’appellent que « le menteur », avenant qualificatif dont le gratifie aussi le président israélien lui-même, Ezer Weizmann !

Une conséquence directe de son double langage, et même de son double comportement. S’il a consenti à serrer la louche d’Arafat et à restituer une grande partie d’Hébron (Cisjordanie) aux Palestiniens, il a aussi provoqué plusieurs jours d’émeutes sanglantes pour une histoire compliquée de tunnel aux abords du mur des Lamentations, comme il a approuvé une tentative d’assassinat, en plein cœur d’Amman, la capitale jordanienne, du dirigeant politique du Hamas, Khaled Mechaal. C’est qu’il faut, explique Bibi, « un chef fort pour un peuple fort ». Bizarrement, le slogan passe mal là-bas…

Pour une bonne partie de l’opinion publique, il est aussi le « faiseur de pauvres ». La politique ultralibérale qu’il a conduite puis poursuivie comme ministre des Finances de son meilleur ennemi Sharon l’a amené à tailler à la hache dans les budgets sociaux et même à réduire le montant des allocs. Une politique qui, la crise aidant, fait toujours sentir ses effets. Un quart de la population israélienne vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et, selon la formule, d’un bon observateur, ” les soupes populaires [y] prolifèrent comme escargots après la pluie“. A titre individuel, le fortuné Netanyahou les fréquents très peu.

À l’époque, pour tout arranger à son sort, Bibi multiplie même les déclarations désabusées dans les interviews qu’il accorde en abandonnant ses fonctions : « Le peuple ne pense plus qu’à faire bouillir la marmite. ». Il est vrai que, dans le privé comme dans le public d’ailleurs, notre accablé doit compter avec une épouse, sa troisième épouse, du genre éruptif et interventionniste, qu’il s’est cependant gardé de trop montrer pendant la campagne électorale.

« Bibi et Sara, c’est le Crime et son Châtiment », a ironisé un jour Leah Rabin, veuve d’Yitzhak. Fils d’un éminent érudit d’origine lituanienne, frère de l’unique victime israélienne de la spectaculaire opération d’Entebbe (1976), Netanyahou appartient quasi familialement à la droite sioniste animée d’un désir de revanche sur les héritiers, travaillistes, du fondateur Ben Gourion. Passé par les services spéciaux (sous les ordres de Barak, au passage), diplomate, puis député, il n’a jamais relâché la pression contre « ces gens de gauche qui ont oublié ce que c’est qu’être juif… ». Début octobre 1995, un mois quasiment avant l’assassinat de Rabin, cosignataire israélien des accords d’Oslo (1), il braille sans mesure dans un meeting survolté : « Rabin a humilié la nation en acceptant le diktat du terroriste Arafat. ». Au jour des obsèques, Léah, toujours elle, refusera d’ailleurs de lui serrer la main.

« Ce sont toujours les faucons qui font la paix en Israël », a lancé la semaine dernière Sarko à propos de son « ami » Bibi. Premier ministre, Netanyahou, pris entre ses désirs et la réalité des « accords », s’était arrangé pour donner davantage « dans le processus que dans la paix » selon une expression en cours en Israël. Cette fois, il n’est même plus question de processus. Déjà hostile, sous Sharon, au retrait de Gaza, notre homme ne veut plus entendre parler de partition de Jérusalem ni de restitution du Golan à la Syrie. L’unique concession qu’il envisage, coté Palestiniens, tient dans une formule si absconse (une mystérieuse « paix économique ») qu’il s’est refuse a la détailler.

Sur le plan strictement intérieur, bien contraint, comme sa rivale Tzipi, de rechercher des alliances, Bibi, arrive deuxième en nombre de sièges, écarte aussi toute idée d’alternance (deux ans pour lui, deux ans pour elle). Et préconise une union nationale (2) qui regrouperait donc au moins, sous sa houlette, le Likoud (ses troupes), Kadima (Livni) et dans tous les cas le mouvement extrémiste – qu’il vaut mieux se concilier – de son ancien directeur de cabinet Avigdor Lieberman (15 sièges sur 120). Le tout pour ne pas retomber, comme en 1999, sous le coup d’autres petits partis d’extrême droite. C’est que Bibi n’a plus qu’une seule rengaine : « [Je suis aujourd’hui] plus âgé, plus épais, plus sage ». Le cas échéant, il lui reste tout de même à nous le prouver.

Patrice Lestrohan

(1) Conclus, sous l’égide de Clinton, par Arafat et, coté israélien, Rabin et Pérès, actuel président israélien, qui doit résoudre dans les semaines à venir cet imbroglio électoral, les accords d’Oslo prévoyaient in fine la création d’un État palestinien « entre la Méditerrané et le Jourdain ».

(2) Apparemment, en préconisant cette alternance, Tzipi Livni suit le conseil de proches qui lui répètent depuis quelques jours : « Laisse Netanyahou se planter ; tu n’en reviendras au premier plan qu’à ton avantage

Publié dans Le Canard Enchaîné du 18 février 2009. P.7
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