Rachida Dati
Photo Rue89.com


 

«rachida-la-grosse-pute@wanadoo.com, c’est l’adresse Internet à partir de laquelle [un] informaticien avait écrit à la garde des Sceaux» rapporte France Info. «Rachida Dati avait assez peu goûté l’insulte, et s’était constitué partie civile.» En présence de la victime R. Dati, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé aujourd’hui une condamnation à 1 000 euros d’amende avec sursis.

La différence entre une dictature et une démocratie (aussi imparfaite soit-elle), réside également dans le fait de pouvoir poursuivre les auteurs (et exclusivement les auteurs) des agressions verbales entre autres. Lesquelles agressions peuvent parfois être plus violentes que les agressions physiques.

Dans une dictature à la tunisienne, en matière de liberté d’expression sur internet, on verrouille, on bâillonne et on bloque les sites internet sous le prétexte fallacieux de prévenir les délits. Afin qu’on ne puisse abuser de la liberté, on fait acte de prévention en supprimant ladite liberté de s’exprimer quand bien même en toute violation de la loi. La sanction collective via le blocage par pans entiers de l’internet devient l’instrument idéal pour verrouiller le champ médiatique (YouTube, Dailymotion, etc.). Ce faisant, il n’appartient plus aux juridictions de se prononcer sur le caractère diffamatoire ou pas d’un quelconque propos. C’est la police qui apprécie ce qui peut être dit ou pas. Quand un ministre ment ou commet un abus de bien social, et qu’un citoyen le qualifie de menteur ou de voleur, c’est la police qui intervient pour décapiter le support online où la dénonciation à lieu. Ceci évidemment en violant la loi qui permet à tout citoyen de dénoncer de tels actes en apportant la preuve de la vérité du fait diffamatoire devant un tribunal. Qu’il puisse y avoir des diffamations condamnables par les tribunaux sur internet, nul ne peut le contester. En revanche, seuls les tribunaux ont compétence pour prononcer de telles sanctions. C’est ce que le droit de la République tunisienne prescrit.

A ce propos faut-il insister pour tordre le cou à ce mythe que l’on relaye à satiété concernant le vide juridique en Tunisie pour ce qui est de la diffusion d’écrits et de documents de nature diffamante, outrageante ou portant atteinte à l’ordre public via internet. Il faut être naïf pour croire qu’avec tout l’arsenal juridique que nous avons, de tels excès puissent échapper, « juridiquement parlant », à la compétence de nos tribunaux. Le droit tunisien et notamment les dispositions du code de la presse permettent de condamner, entre autres, toute diffamation dont la vérité du fait diffamatoire ne peut-être apportée, tout comme d’ailleurs de faire retirer sous astreinte tout élément causant un dommage illégitime (illégitime au sens jurisprudentiel du terme) à sa victime, y compris sur un support online. Si le support se trouve hors du territoire tunisien, et étant donnée la nature pyramidale de la responsabilité en matière d’édition et de diffusion, les juridictions tunisiennes peuvent remonter jusqu’à l’ATI pour exiger d’elle de bloquer la source du dommage causé. Bien plus encore, si l’urgence est manifeste et avérée, il est même envisageable de faire sortir le juge de son lit au plein milieu de la nuit pour lui faire faire signer une ordonnance en ce sens.

Il y a quelque mois, j’avoue que j’ai été gêné par les propos de quelques amis indiquant qu’il serait éventuellement normal de reconnaître la censure, et ce, en légiférant afin de l’organiser. Et, qu’au fond, la reconnaissance d’un brin de censure contre la pornographie, la diffamation et tout ce qui peut heurter nos enfants pourrait finalement faire plus de bien que de mal. Et en guise d’argument d’autorité, on mentionne volontiers ce qui se passe sous d’autres cieux, y compris démocratiques. Or de tels propos ignorent souvent que la Tunisie est déjà soumise aux mêmes obligations juridiques que ces pays en matière de garanties judiciaires contre les violences, et ce, quelles que soient leurs formes, verbales ou physiques (1).

Le problème ce ne sont pas les textes qui manquent pour pratiquer la censure ni d’ailleurs la démocratie. Nous en avons trop, plus qu’il n’en faut. Si l’on appliquait les textes existants avec toutes leurs imperfections, la Tunisie deviendrait l’une des plus grandes démocraties de la planète.

A ce jour, aucune faille juridique ne permet la diffusion de documents pédophiles. C’est plutôt l’inverse, tant les sanctions pénales sont lourdes à cet égard. De même, les dispositions en matière de diffamation et de défense de l’ordre public on ne sait plus où les stocker. Par conséquent, nous allons légiférer pour faire quoi ? Peut-être pour protéger le citoyen contre cette censure sauvage alors ? Pourtant, rien dans notre législation actuelle ne confère à une quelconque autorité le droit de censurer arbitrairement les sites des partis politiques, a fortiori, légaux, ni d’ailleurs le blog de Nawaat ou les autres sites tout aussi bâillonnés!

Il faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège de la pédophile et de la pornographie. Le problème réside dans l’illégalité de la procédure des blocages des sites et ce quelque soit leur contenu, y compris pornographique. Il est inacceptable que sous prétexte de la nature illégale d’un site que l’on suive une procédure illégale pour le bloquer. Malheureusement, je constate avec regret que même des activistes occidentaux contre la censure tombent parfois dans le piège de la pornographie. Combien de fois ai-je pu lire des propos rapportant des cas de blocage où les auteurs se sentaient presque obligés de parler de pornographie d’une façon bien maladroite. Cherchant à être le plus neutres possible en rapportant de tels cas en Tunisie, ils finissent imperceptiblement à reprendre à leur propre compte l’argument de la pornographie comme une passerelle normale à la censure illégale (2). Par ailleurs, tout aussi agaçant, c’est lorsqu’un cas de blocage toujours aussi illégal se produit et qu’on le justifie par une erreur des serveurs d’une société tierce « Smartfilter ». Que le blocage soit dû à « GorjaniFilter », « CarthageFilter » ou « SmartFilter » cela ne change rien aux données du problème, et la pornographie encore moins à justifier les procédures illégales.

Certes, et comme je l’ai déjà relevé ailleurs, il n’est pas anormal que l’Etat tunisien acquière tel ou tel logiciel de filtrage. Et pour être encore plus clair, il s’agit bien de la capacité de le détenir et non d’en faire un usage sauvage et illégal. Et il y a deux ans, je le répétais dans un article coécrit avec mon ami Sami « on ne nie pas le droit de l’administration tunisienne d’avoir la maîtrise de l’environnement médiatique. Et à la limite, sous de grosses réserves […], nous ne sommes pas loin de penser que la détention des moyens de filtrage, aussi sophistiqués soient-ils, relève pour l’Etat, des nécessités inhérentes à la sécurité nationale. En revanche, l’utilisation et l’usage qui peut en être fait ne peuvent se concevoir sans le cadre impérieux de la loi et sous le contrôle non moins impérieux du pouvoir judiciaire. En somme, que la Tunisie détienne de tels moyens techniques n’est pas en soi choquant, c’est l’usage abusif, sauvage et criminel qui doit être dénoncé et condamné de la manière la plus ferme.»

Et plus concrètement (et à escient, je vais utiliser l’exemple de la pornographie), ça signifie ceci : Tout citoyen, tout créateur tout journaliste doit être en mesure d’identifier la personne ou le service qui décapite un site sous prétexte de contenu pornographique. Il doit pouvoir l’identifier et être en mesure de contester la base légale de ce blocage devant les tribunaux.

D’une part, pour les créateurs et diffuseurs de contenu, et parce que le journaliste peut publier une enquête sur les agressions sexuelles dans les prisons ou la prostitution de luxe dans les hôtels ; le créateur produire une œuvre assez provocante ; et le simple citoyen publier sur son blog ses essais qui ont l’inconvénient de déplaire… il est inacceptable que le blocage pour « contenu pornographique » puisse avoir lieu selon une procédure opaque sans possibilité de recours juridictionnel. D’autre part, pour ceux qui cherchent à accéder à l’information, il est tout aussi inadmissible qu’un bureaucrate censeur décide ce que le spécialiste en obstétrique, le spécialiste en MST ou le chercheur en sociologie des mœurs aient le droit de lire ou pas. De même, il est inacceptable de justifier les dommages causés en se réfugiant derrière les soi-disant erreurs des serveurs alimentant les cribles de SmartFilter et autres logiciels de blocage.

Donc faut-il une loi pour donner les moyens aux justiciables de contester le blocage de leurs sites ou de ceux qu’ils consultent ? Même pas ! Car même si l’ATI nie les blocages en se réfugiant derrière des arguments techniques du côté des providers, cela ne la met – en théorie – nullement à l’abri d’éventuelles poursuites. Que l’ATI reconnaisse ou pas ses actes illégaux, il appartient à l’enquête judiciaire, aidée éventuellement par des rapports d’expertise, de déterminer les responsabilités. C’est ce que fait tous les jours la police judiciaire en traquant les auteurs des crimes et délits qui ne laissent forcément pas leurs cartes de visite sur les lieux de leurs méfaits !

S’il ne s’agissait que de nos libertés fondamentales, de la régulation de l’usage de l’internet, de la préservation de l’ordre public, nous pouvons d’ores et déjà mettre notre législateur au chômage pour au moins 20 à 30 ans. Et tant qu’à faire, nous pourrions allouer les économies de salaire induites au budget de la justice, afin qu’elle veille en toute indépendance au respect de l’application de la loi. Et c’est sur ce plan là que nous avons au moins 20 à 30 ans de retard à rattraper.

 



(1) – Parce qu’il n’appartient à personne de faire l’apologie de la violence et parce que, ne serait-ce que pour se conformer aux dispositions des conventions internationales ratifiées par la Tunisie, il est de l’obligation de l’Etat Tunisien et de sa justice d’intervenir systématiquement pour faire cesser, d’une part, tout acte de violence, et d’autre part, de prévoir des mécanismes permettant à toute victime de poursuivre son agresseur. Les violences par le verbe et par le mot n’ont jamais dérogé à ces principes énoncés. Présentées ainsi, et parce que ces garanties judiciaires, de par leurs fondements, s’avèrent tellement évidentes, il est donc vain de discuter si la censure peut être légalisée ou pas. La question ne se pose même pas. Et c’est d’autant plus absurde, qu’il n’existe aucun pays au monde ne prévoyant de possibilité de recours à ses citoyens contre la diffamation, les outrages et autres agressions de ce type. Et la Tunisie n’y déroge pas.

 
(2) – Juste une illustration à travers l’une des interventions de l’ami Nart sur le sujet : “Tunisia uses SmartFilter to block access to categories of websites, such as pornography, but also adds their own targets, often political web sites, to the blocking lists”.
Cf. “Tunisian journalist sues government agency for blocking Facebook, claims damage for the use of 404 error message instead of 403http://opennet.net/node/950



 
Astrubal, le 29 avril 2009
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