Une affaire comme toutes les affaires de droit commun, dans un tribunal comme tous les autres, devant lequel est déféré un Tunisien accusé de nuisance à un tiers à travers les réseaux publics de communications : c’est ce que se dit celui qui se rend en ce mardi 3 novembre 2009 au tribunal de Première Instance de Grombalia dans la région de Nabeul. Mais ce à quoi il va assister va démentir complètement cette première assertion. Le jour dit, le tribunal s’est transformé en caserne bouclée par des barrières métalliques. Ses entrées sont bouclées et des dizaines d’agents en uniforme ou en civil sont en faction devant les issues. Ceux qui veulent entrer dans le tribunal sont soumis à un contrôle d’identité, opération qui voit la collaboration avec un sérieux tout tunisien de la brigade d’orientation régionale sur la droite et la brigade de la Sûreté de l’Etat sur la gauche. Les deux brigades n’autorisent pas à dépasser la ligne du premier contrôle, car il y a plusieurs lignes, ceux qui ne sont pas avocats ou plaidants porteurs d’une preuve qu’ils doivent pénétrer dans le tribunal. Quant aux journalistes, ils sont indésirables aujourd’hui dans l’enceinte du tribunal de Grombalia, car un tiers occulte a décidé sans prévis que la séance ne serait pas publique. La cafétéria en face du tribunal qui est fréquentée par les avocats et les justiciables a été fermée et devant la porte quelqu’ un […] informe qu’elle est fermée sur ordre venu d’en haut

Que se passe-t-il donc ? S’agirait-il donc d’un autre procès, qui verrait déférés des bandes de mafieux siciliens ou des terroristes assassins qu’un groupe armé aurait décidé de libérer à leur arrivée dans ce petit tribunal tranquille qui n’a jamais été le théâtre à mon sens d’une telle comédie ? Non, il n’y ni mafieux, ni assassins, ni terroristes, il n’y que Zouhaïer Makhlouf qui se présente devant le tribunal. Et Makhlouf est un militant du Parti Démocratique Progressiste, un candidat lors des dernières élections législatives pour la région de Nabeul, le journaliste intrépide, jaloux de sa région et de son pays qui a eu l’audace d’en dévoiler la réalité cachée par le pouvoir. Et ne me demandez pas comment je suis entré dans la salle d’audience, cela ne se raconte pas dans ce genre d’article.

Des péripéties d’une audience non publique

A) L’interrogatoire de l’accusé

La chambre correctionnelle a commencé par interroger les accusés, Zouhaïer Makhlouf et son ami déféré en liberté dans la même affaire. La cour a rappelé aux inculpés que l’accusation portée contre eux était celle de nuisance à un tiers à travers les réseaux publics de communications, en vertu d’une plainte déposée contre eux par un employé de la zone industrielle de Nabeul qui disait avoir été filmé dans la vidéo diffusé sur internet dans un état pitoyable ce qui lui avait causé un affront et avait dénaturé ses propos. C’est l’accusation prévue par l’article 86 du Code des télécommunications et qui prévoit une peine pouvant aller d’un à deux ans et une amende. Lors de l’interrogatoire du principal accusé, Zouhaïer Makhlouf, ce dernier a affirmé ne pas être déféré pour les accusations précitées mais pour son appartenance partisane, ses positions d’opposant dans un parti reconnu et de candidat pour ce parti aux dernières élections législatives, mais aussi pour avoir fait état de vérités et avoir utilisé son droit de journaliste à manifester son opinion. Lorsque le président de séance lui a rappelé la nécessité de s’en tenir à la teneur de l’affaire et au contenu du dossier de renvoi, l’accusé a répondu qu’il s’en tenait aux déclarations qu’il avait faites devant l’enquêteur préliminaire : il était dans la zone industrielle de Nabeul avec deux personnes pour y réaliser un reportage sur les problème environnementaux . Le plaignant l’a approché et lui a demandé pourquoi il filmait. Il lui a dit qu’il préparait un reportage sur les problèmes de la zone. Makhlouf a affirmé que le plaignant l’avait autorisé à filmer son lieu de travail et que c’est ce dernier qui l’avait orienté sur le problème de la mise en marche du four avec des cuirs nuisibles à l’environnement […] dont pâtit la zone. L’accusé a également affirmé que c’est le plaignant qui a voulu figurer sur la pellicule et que son but n’était pas de faire la promotion de la poterie artisanale traditionnelle, ni de nuire au plaignant, ni de salir la réputation de sa région et de son pays comme le prétend le plaignant; Le plaignant, après voir vu la vidéo et les photos sur le site internet du PDP avait fait la connaissance de la personne qui l’avait accompagné et qui est déféré avec lui et avait su où il habitait. Il l’avait contacté pour lui demander pourquoi il diffusait la vidéo. Il s’est avisé qu’elle lui portait tort. Il lui a demandé de lui procurer le numéro de téléphone de Zouhaïer Makhlouf, et son adresse pour le menacer personnellement ce qu‘il a fait. Il a ajouté que le plaignant l’avait contacté des dizaines de fois pour le provoquer e le menacer de meurtre aussi et il a encore affirmé que la plainte déposée contre lui par la partie adverse n’était qu’un subterfuge pour se venger de lui, comme en attestent les incidences de l’enquête réalisée avec lui, au contraire de ce qui est écrit dans les procès verbaux. Il a été interrogé par la brigade d’orientation de Nabeul et la brigade de la Sûreté de l’Etat en présence de plus de 80 agents qui l’encerclaient de toutes parts, ce qui lève tous les doutes quant au caractère politique préfabriqué de l’affaire.

B) Les plaidoiries de la défense

Lorsque le plaignant a chargé un avocat de se constituer partie civile, la défense n’a pu prolonger la plaidoirie sur le fonds et demander la libération de l’accuser, s’appuyant sur des requêtes de formes et procédurales qui se résument à :

– Une accusation fondée sur les déclarations du plaignant

La défense a affirmé que l’accusation se fondait uniquement sur les déclarations du plaignant, que l’accusé les avait réfutées, indiquant qu’il avait filmé le prétendu lésé en conformité avec la volonté de ce dernier et selon sa convenance, donc sans aucune forme de pression. La défense a aussi démontré que les pièces saisies, à savoir la vidéo, ne figurait pas au dossier et que la Cour avait confronté l’accusé aux déclarations du plaignant, ce qui accréditait qu’elle ne les connaissait pas. Et elle s’est étonnée de ce que le procureur ait porté une accusation sans avoir pris connaissance de la teneur de la vidéo en particulier. L’essentiel de l’accusation porté contre leur client est la nuisance par film, ce qui suppose la nécessité de prendre connaissance de la réalité filmée par visionnage pour estimer s’il y a nuisance. Cela relève des prérogatives du tribunal. La défense a demandé sur cette base également de voir le disque dur en présence de toutes les parties (avocats, accusés et commission du tribunal), le représentant du ministère public a remis cette question à la jurisprudence de la Cour sans s’y opposer;

– La nullité de la procédure

On déclenche l’action publique dans de telles affaires en vertu des dispositions de l’article 80 du code des télécommunications qui dispose que « les procès verbaux sont transmis au ministre chargé des télécommunications qui les transmet, pour poursuites, au Procureur de la République territorialement compétent », or cette procédure n’a pas été respectée dans l’affaire en question. Le Procureur a déclenché l’action publique, ce qui devrait amener à un non-lieu pour nullité de la procédure. Les avocats ont affirmé qu’au terme d’une longue et amère expérience dans nos tribunaux et dans des affaires à caractère politique ils n’avaient jamais vu, et ce depuis des dizaines d’années, et ne serait-ce qu‘à une seule occasion, un tribunal prononcer un non lieu pour nullité de procédure quand bien même celle-ci serait plus qu’évidente. Ils ont aussi noté que nos tribunaux ne satisfaisaient pas à la requête de remise en liberté de l’accusé dans ce type d’affaire, ce qui induit le doute quant à l’indépendance de notre justice qui est instrumentalisée par le pouvoir pour régler des comptes politiques avec tout adversaire présumé.

La détention préventive est une exception et non une règle

La défense a fait valoir que l’acte reproché à l’accusé ne constituait pas un danger pour la sécurité publique et que la détention devait être une exception à la règle. L’affaire en question n’étant rien d’autre qu’une dispute entre deux personnes où le ministère public n’est pas partie. Nombre d’accusés à qui on impute des crimes de violence ou de ou de nuisance aux biens d’autrui comparaissent libres, ne perdent pas leur liberté. De plus leur client a commencé une grève de la faim depuis la date de son arrestation le 20 octobre 2009 et son état de santé nécessite un suivi médical. L’administration de la prison refuse à plusieurs reprises aux avocats de rendre visite à leur client et de prendre connaissance de son état de santé. La défense a aussi affirmé que l’accusé n’avait pas la trempe des criminels, mais qu’il était un militant d’un parti légal, qu’il s’était présenté sur une liste du parti lors des dernières élections législatives . Et voilà qu’il était jugé pour avoir simplement présenté une image du vécu misérable de notre artisanat traditionnel de Nabeul et avait offert au regard du spectateur tunisien les images de la pollution, de la négligence et des atteintes à l’environnement dans une ville qui avait obtenu selon la propagande officielle le prix de la ville la plus propre en 2008.

Le visage du pouvoir se cache derrière la partie civile

[…] il apparaît que le plaignant a rédigé sa plainte et l’a déposée au tribunal le 8 octobre 2009 et qu’elle a été déférée au poste de la Sûreté le même jour. Mais il est clair, comme l’a indiqué l’un des avocats, que l’enquêteur préliminaire a changé la date du renvoi pour y apposer la date du 9 octobre et que le recours à cette falsification évidente, – changement du chiffre sur la feuille présentée au tribunal et envoyée à la police de Maamoura pour enquête, avait pour objectif d’espacer quelque peu la date de la plainte et celle de son arrivée à la police de Maamoura. La rapidité avec laquelle le dossier est passé du tribunal de Grombalia à Maamoura, en une journée, induit un soupçon sur la main cachée qui a poussé le dossier pour qu’il circule à la vitesse de la lumière à l’inverse de toutes les plaintes qui circulent à la vitesse des tortues, soit celle de nos tribunaux. C’est que le visage du pouvoir , même s’il tente de se dissimuler, apparaît derrière la partie civile qui est probablement utilisée pour se venger d’un homme qui a mis à nu la vérité et relevé le voile sur ce qu‘on dissimule, ce que le pouvoir ne peut tolérer

Les avocats ont demandé la remise en liberté de l’accusé et à prendre connaissance des pièces saisies. Après s’être retirée, la Cour a rejeté la demande de mise en liberté et a reporté l’affaire pour l’audience

du 24 novembre 2009
Aref Beldi

Source : le Forum « Démocratie Syndicale et politique

(traduction d’extraits, Luiza Toscane)