Tunis, le 26 Octobre. Peu après l’annonce officielle des résultats des élections présidentielles. A l’aube, dans le QG du ministère de l’intérieur, la nouvelle mission a déjà été définie. Désormais, chaque agent du SS (Service Secret) connait ses objectifs. Tous les perturbateurs doivent être punis ! La liste est exhaustive.
Dans un décors sombre rappelant l’ère communiste de la guerre froide et reflétant la nature de ce régime paradoxal à la fois si puissant et si faible, on s’active par tous les moyens. Dans tous les étages on parle que de ça. On entends le bruit des dactylos : ce sont les convocations et les procès verbaux. Les téléphones sonnent dans tous les sens, des rires éclatent :
– Oui chef ! Ne vous inquiétez pas ! Tout est en ordre, il est le premier sur la liste. Ce soir, il sera invité chez nous.
– Ce “fils de pute” je le veux en tôle.
– Il le sera !
Tout est minutieusement organisé. Même les dépêches officielles de l’ATP sont déjà préparées et ce, non sans mentionner les célèbres lignes du genre :
“porter atteinte aux intérêts des citoyens et du pays” ou encore “atteinte aux bonnes moeurs”. Les arguments ne manquent pas ! L’essentiel, zéro faute ou presque. Le Big Brother ne tolère pas. Et comment peuvent-ils faire des erreurs alors que c’est monnaie courante chez eux?
De l’autre coté , Khadija, un ange de 10 ans, dormait dans son lit. Son père, s’inquiétait de son sort, il passe la nuit entre la chambre de sa fille et la sienne. Il n’arrête pas de fumer. Lui qui a tant dérangé le pouvoir. Il le sait. En tout cas, il assume. C’est un héros-poète comme il aime bien être appelé. Il sait que cette nuit c’est peut être sa dernière avec Khadija, alors il profite comme il peut. Tantôt il s’évade dans ses infinies pensées essayant de remonter le temps et d’enchaîner les souvenirs. Et puis parfois il s’arrête devant le lit de Khadija. Il l’embrasse sur le front, la caresse. Répétant sans cesse les mêmes gestes de tendresse pour se souvenir…se souvenir de l’odeur de sa peau, de cette petite cicatrice au bas de sa joue, de son inconscience rassurante…
Ce n’est que vers 10h du matin que ça sonne. Un sbire se présente avec une convocation : 16h au poste de police de Bab Bhar. Raison ? Un accrochage de voiture avec une jeune Mademoiselle, “un banal fait divers” comme aime bien le rappeler le ministre des affaires étrangères. Le soir, on lit par voix de presse que le présumais “coupable” est en garde à vue.
L’info est déjà à la Une des agences de presse internationales. La France est préoccupée lit-on sur les sites internet. D’ici là, on croise les doigts et on attend le verdict tout en ayant une pensée pour Khadija.
Khadija, Allah ifadhalha, represente une Tunisie Libre dont elle porte l’etandard.