Le climat social dans les entreprises publiques de presse en Tunisie est très tendu. Un peu partout, sous couvert de rigueur et d’austérité, d’allègement des charges budgétaires et de rationalisation des dépenses, des « plans sociaux » non déclarés (En Tunisie, on ne copie à la France que ce qui est bon) sont en train d’être mis discrètement en œuvre avec leur lot de régressions sociales : licenciements abusifs ou déguisés, sous forme de rupture ou de non renouvellement de contrat, blocage des recrutements, violations caractérisées des législations du travail, des conventions collectives et des droits syndicaux, remise en cause des acquis sociaux,…
Les vrais responsables de la situation désastreuse dans laquelle se débattent aujourd’hui ces entreprises de presse n’ont, eux, absolument rien à craindre. Ils sont assurés de garder tous leurs privilèges : logement et voiture de fonctions, bons d’essence, frais de déplacement, voyages d’agrément…Certains seront même récompensés et promus à des postes plus élevés, comme c’est le cas de l’actuel ministre de la communication.
Le 30 juin 2010, les journalistes et les personnels administratif et technique de la SNIPE, éditrice des quotidiens « La Presse » et « Assahafa« , l’une des entreprises du secteur les plus florissantes, ont organisé un mouvement de protestation et arboré des brassards rouges pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail et la non régularisation de la situation administrative de plusieurs de leurs collègues qui travaillent depuis des années à plein temps mais qui sont privés de tous leurs droits.
Dirigée par le syndicat de base de l’établissement, cette action, qui intervient deux jours après une Assemblée Générale organisée au siège de l’UGTT, a été suivie massivement par les personnels de l’entreprise, avec un taux de participation record.
Si, pour les journalistes de «La Presse», l’avenir semble encore incertain, leurs collègues d’ «Essahafa» peuvent dormir tranquilles. En effet, si la rumeur se confirme, Ils auront bientôt un nouveau directeur qui règlera tous leurs problèmes. Un virtuose de la combine et de la magouille, qui a déjà fait ses preuves dans le secteur associatif et syndical, et qui saura certainement combler toutes les lacunes laissées par ses prédécesseurs, moins doués que lui, estiment, peut être, les pouvoirs publics.
Les journalistes de Dar El Amal, éditrice des quotidiens « El Horria » et «Le Renouveau», organes du parti au pouvoir, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), continuent, pour leur part, de réclamer sagement mais vainement des arriérés de salaires impayés depuis…2007.
Malgré ses deux millions deux cent mille adhérents (en 2008), le RCD, « meilleur ascenseur social du pays » (dixit Jeune Afrique du 27 juillet 2008) est, comme tout le monde le sait, dépourvu de ressources propres. Son secrétaire général, du haut de sa luxueuse tour de verre de 17 étages, est peut être en train de chercher une petite rallonge, du côté de quelques argentiers philanthropes de l’Avenue Mohamed V, pour résoudre ce petit problème, purement financier.
A l’Agence TAP, le nouveau Président Directeur Général, nommé il y a moins de deux mois, un journaliste plutôt intègre, a été, dit-on, immédiatement briefé par les magouilleurs de l’Administration et leurs acolytes de la Rédaction. Ceux-là même qui sont, pour une grande part, à l’origine de la chute de ceux qui l’ont précédé. Au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes pour corriger les ratages de son prédécesseur, il aurait emprunté la même politique d’austérité sélective et serait sur le point de commettre ses premières erreurs de gestion, avant même d’avoir accompli les cent premiers jours de son mandat : des avantages sociaux, acquis de longue date, tels que le travail des dimanches ou la durée du congé annuel, seraient bientôt révisés à la baisse ou remis en cause.
Par ailleurs, aux portes de cette même entreprise qui souffre, depuis plusieurs années, d’un manque flagrant d’effectifs, en raison des départs à la retraite et d’un blocage prolongé des recrutements réguliers, une quinzaine de journalistes attendent, depuis plus de six mois, la proclamation des résultats d’un concours de recrutement auquel ils ont participé, le seul depuis près de 20 ans. Plusieurs d’entre eux ont déjà fait leurs preuves au sein de l’Agence en tant que contractuels ou en tant que stagiaires SIVP. Certains ont même leur carte de presse et sont adhérents au Syndicat National des Journalistes Tunisiens. Pourtant, aucune structure gouvernementale ni syndicale ne semble s’émouvoir de leur situation.
Les restrictions budgétaires invoquées indûment pour justifier de telles situations n’ont pourtant pas empêché les responsables de la TAP d’intégrer dans les effectifs de l’Agence, sous forme de détachement, quelques dizaines de personnes qui n’ont absolument rien à voir avec le travail de la TAP et qui n’y ont jamais mis et n’y mettront peut être jamais les pieds. Le dernier en date est un personnage loufoque, appelé précisément « le phoque » par un célèbre bloggeur tunisien. Un propagandiste zélote qui mange à tous les râteliers et qui pointe un peu partout. En plus de ses fonctions virtuelles à la TAP, Il tient, entre autres, une chronique sur une feuille de chou nommée « Essarih » et anime une émission à la télévision.
En l’absence d’un syndicat de base représentatif, capable de canaliser et d’encadrer les revendications et les doléances de ses personnels, l’Agence TAP risque de s’engager, prochainement, dans une nouvelle zone de turbulences.
A l’Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE, pour les intimes), une ferme seigneuriale, gérée dans l’opacité la plus totale, les langues commencent à se délier.
Dans cet établissement public cinq étoiles qui a pour mission de promouvoir l’image de la Tunisie à l’étranger et qui brasse, chaque année, plusieurs milliards de dinars sous forme de recettes de toutes sortes, publicitaires notamment, la corruption, la fraude, le gaspillage et le détournement de fonds ont atteint, semble-t-il, des sommets inimaginables.
Quelques centaines de privilégiés et de profiteurs nationaux et des mercenaires étrangers continuent, cyniquement, depuis plusieurs années, à se remplir les poches, à se goinfrer et à percevoir, en toute illégalité et sans aucun contrôle de l’Etat, des cachets exorbitants, payés sur le compte du contribuable, pour mener des actions idiotes, inutiles et contreproductives pour l’image du pays. La nouvelle direction de l’entreprise aurait découvert d’importantes malversations financières et une enquête serait en cours.
Dans les établissements de la radio et de la Télévision, la situation est, certes, un peu plus calme, après le règlement sélectif, au forceps, du dossier des agents contractuels. Un dossier qui a défrayé la chronique en 2009 et qui a été, entre autres, à l’origine du coup de force qui a décapité le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT). Mais les problèmes sociaux qui agitent ces deux établissements sont loin d’être résolus. Le feu peut rejaillir à la moindre étincelle.
Ceci dit, Il est absolument évident que la situation qui prévaut dans les entreprises dites privées est autrement plus catastrophique, à l’exception notable, dit-on, de la maison de Sidi El Materi. Il est également indéniable que bon nombre de jeunes journalistes tunisiens, payés au SMIG et exploités jusqu’à la moelle par des patrons véreux, aspirent désespérément à intégrer une entreprise publique de presse.
Il est, néanmoins, légitime de se poser la question suivante : Si des établissements publics, censés donner l’exemple en termes de respect de la législation sociale et de bonne gestion des ressources matérielles et humaines, sont aussi défaillants, pourquoi demander à de vulgaires affairistes, vendeurs de torchons, négriers des temps modernes, de respecter la loi et de se soucier de la dignité des journalistes ?
Journalistes Patriotes, le 05 Juillet 2010.
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