De Kebili à Mornaguia (seconde partie)
Par Moudhafer Labidi
Le 14 mai 2010
Nous étions quinze prisonniers dans la fourgonnette et nous avions beaucoup de bagages. Nous étions entassés comme une marchandise périmée dont le propriétaire voudrait se débarrasser. Le temps s’écoulait avec lenteur. Nous transpirions. Des prisonniers discutaient. Chacun pensait à ce qui l’attendait, se demandait dans quelle prison il allait être transféré. Je laissais aller mon imagination et je me remémorais les jours où nous nous réunissions au local de l’Union locale de Redeyef.
Chaque dimanche, nous sortions en grand nombre et nous parcourions les rues de la ville en scandant nos slogans habituels « Travail, liberté, dignité nationale », « Nous ne mourrons pas, mais nous extirperons la répression de notre terre » « Fermeté, fermeté contre l’ordre des mafias » « Citoyen, victime, sors, parle de l’affaire ». Soudain, la fourgonnette stoppe, le moteur se tait et la porte s’ouvre. Les cris des brutaux agents s’élèvent. « Descends, descends, c’est la prison de Gabès » dit l’un des prisonniers. Nous avons été triés dans le hangar. Des prisonniers ont pris leurs bagages et j’attendais mon tour mais j’ai été reconduit à la maudite fourgonnette. De nouveaux prisonniers sont arrivés et sont montés dans la fourgonnette. Quelques minutes plus tard, les portes se sont refermées. Le moteur de la maudite fourgonnette a vrombi de nouveau. Les nouveaux venus me demandent où on les emmène, je leur réponds que je l’ignore puis une longue conversation s’amorce à propos de mon affaire. C’est que nous étions connus et ils m’ont exprimé leur sympathie au vu de ce que nous avions enduré, de la part des tortionnaires, dans et hors la prison. Cette fois-ci, le trajet était long. Tous se sont tus.
Mon esprit vagabondait dans les montagnes de Redeyef où nous nous étions mis à l’abri des escouades de la police qui nous avaient contraints à quitter la ville en faisant intrusion dans nos domiciles et en kidnappant ceux qui restaient dans les zones civilisées, pour finir par tirer à balles réelles sur des milliers de manifestants. Nous allions à tour de rôle chercher de l’eau et de la nourriture, risquant à tout moment d’être embarqués. La « maudite » a stoppé une seconde fois, et une seconde fois le moteur s’est tu et la porte s’est ouverte. Oui, j’étais déjà passé par là, à Haouareb, la prison de Kairouan, J’ai descendu mes affaires et j’ai attendu. Est-ce que je devrai rentrer dans cette prison ? Un gardien a appelé mon nom, je me suis approché mais il m’a indiqué du doigt la « maudite », pardon, une autre fourgonnette qui m’emmènerait dans une autre prison et je n’avais qu’à obtempérer.
Je me suis assis, toujours menotté. La maudite fourgonnette a redémarré. Une autre fourgonnette, une autre prison, d’autres prisonniers mais je me demandais bien où cette fois-ci ? De façon obsessionnelle, je me replongeais dans mes souvenirs pas si lointains, mais de beaux souvenirs, qui ne reviendront pas malheureusement. Le jour où le camarade Adnane a vu son activité syndicale gelée. Nous avons alors annoncé à la maison des syndicats que la ville rentrerait en grève générale pour la levée de ce gel et la satisfaction de nos revendications de développement, de distribution juste des richesses, de travail et de dignité…
Les forces de police mobilisées étaient telles qu’on imaginait que tout Redeyef serait bombardé. La maudite s’arrête et la porte s’ouvre. Je descends et me retrouve à la prison de Borj El Amri. Etais-je arrivé ? Un prisonnier a pris ses affaires puis nous sommes revenus à la fourgonnette qui a redémarré avec nous à l’intérieur. Cette fois-ci je n’en pouvais plus d’attendre. Ma patience était à bout, depuis cinq heures du matin je voyageais sans savoir pour quelle destination. Mais je n’ai pas eu le temps de me replonger dans mes réflexions. Le moteur s’est arrêté et la porte s’est ouverte. L’agent nous a informés que nous étions arrivés, cette fois-ci à la prison de Mornaguia. Je faillis m’envoler, de joie car j’allai voir mon père et ma mère n’aurait pas à subir la fatigue du trajet.
(traduction ni revue ni corrigée par l’auteur de la version en arabe, LT)
Lire la première Partie.
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