Tunis le 30 octobre 2010

A l’attention de : Monsieur le Président de l’Union Internationale des Magistrats

Cher collègue,

Le Bureau Légitime de l’Association Tunisienne des Magistrats (AMT) porte à votre connaissance que ses membres ont présenté, dès le début de la crise qu'a connue notre association en 2005, un dossier où ils ont relaté les faits et dépassements dont ont été victimes les structures de l'Association.

Les membres du Bureau Exécutif légitime rappellent, encore une fois, les sanctions dont elles font l’objet en raison de leur refus du putsch contre les structures légitimes, consistant essentiellement en des mutations abusives, l’exclusion de toute promotion et les amputations de salaires. Il est à signaler que l'attitude hostile du Ministère de la Justice et des Droits de l'Homme envers les membres du Bureau légitime s'est accentuée depuis Août 2005.

1 – L‘instrumentalisation du mouvement de rotation dans le corps de la Magistrature

Après avoir utilisé le mouvement dans le corps de la magistrature en Août 2005, pour muter collectivement et arbitrairement les membres du Bureau et un nombre important de membres du Conseil administratif (jugés trop indépendants) vers des tribunaux éloignés, situés à des centaines de kilomètres de leurs domiciles habituels et de leurs familles, cette attitude hostile s'est encore accentuée en Août 2010, lors du dernier mouvement des magistrats : ainsi, Mme Kalthoum Kennou, Secrétaire Générale, déjà mutée à Kairouan depuis 2005, a été de nouveau mutée et éloignée vers Tozeur, à 500 km de Tunis (où réside sa famille), tout en lui assignant encore une fois la même fonction de Juge d'Instruction. Quant à Mr Hamadi Rahmani, membre du Conseil Administratif, qui depuis sa nomination en tant que magistrat il y a 12 ans, n'a jamais eu de réponse positive à ses multiples demandes de mutation pour être plus proche de sa ville de résidence habituelle, bien au contraire, a été muté de Monastir à Gafsa en 2005, et, lors du dernier mouvement d'Août 2010, il a été muté contre sa volonté vers Sidi Bouzid, une autre ville du Sud Tunisien. Pour d'autres membres du bureau légitime de l'AMT, leur assignation dans les villes de l'intérieur du pays, loin de la capitale, se poursuit, contrairement à l'ensemble des autres magistrats; Ces mutations abusives sont contraires au principe de l'inamovibilité des juges, qui est réclamée par les magistrats tunisiens, depuis des années, et qui constitue le pilier le plus important pour la garantie de leur indépendance.

2 – Le gel des promotions

Les membres du bureau légitime rappelle également que, depuis la crise de 2005, aucun d'entre eux n'a pu obtenir une promotion, stagnant dans le même grade, contrairement aux autres magistrats; ainsi, alors que beaucoup de magistrats tunisiens voient leur carrière évoluer rapidement, en quelques années, Mmes Wassila Kaabi, Leila Bahria et Mr Ahmed Rahmouni, qui ont déjà accompli entre 23 et plus que 25 ans de carrière, sont encore « bloqués » au 2ème grade.

3 – L'amputation des salaires

Le Bureau Légitime informe la direction de l'UIM que ses membres sont la cible d'amputations importantes de leurs salaires. Ces mesures, décidées et mises en application par le Ministère de la Justice et des droits de l'Homme, sont contraires à l'article 13 de la Charte Internationale des Magistrats. De plus, ces amputations de salaires surviennent sans jamais que le Ministère en informe préalablement les magistrats intéressés, dans le but de les empêcher d'engager un quelconque recours contre ces décisions. Ainsi, la plupart des membres du Comité légitime ont vu leurs salaires amputés de sommes importantes.; parmi les cas les plus graves, citons : Mr Ahmed Rahmouni, dont le salaire de juillet 2010 a été amputé de 800 dinars tunisiens (DT), et celui d'Août 2010, de 1200 DT, soit successivement de la moitié et des 2/3 de son salaire habituel; Mmes Raoudha Karafi et Leila Bahria, ces trois dernières années, ont souvent vu leurs salaires amputés et parfois dans des proportions dépassant les 2/3, à tel point qu'elles ne savent plus quel est le montant réel de leur salaire de base.

Monsieur le Président,

En plus de cela, les membres du Comité légitime sont confrontés à des mesures discriminatoires et humiliantes, ils sont constamment soumis à un régime de contrôle de présence physique dans leurs tribunaux, à l'exception de tous les autres magistrats, alors que leurs tâches judiciaires sont convenablement accomplies.

Ce système de contrôle est contraire au caractère souverain de la fonction judiciaire et à la pratique quotidienne, en usage au sein des tribunaux. Le comité légitime vous informe que le harcèlement subi par ses membres a connu son point culminant le 21 décembre 2008, le jour du « 12ème congrès de l’AMT », lorsque les membres des instances légitimes ont été empêchés de sortir de chez eux.

D'autre part, il rappelle l'agression dont a été victime la secrétaire générale Mme Kalthoum Kennou, le 18 février 2009 dans son bureau au tribunal de Kairouan, sans qu'aucune mesure immédiate et ferme ne soit prise à l'encontre de l'agresseur, ce qui confirme que les moyens de pressions prennent une tournure inquiétante, qui annoncerait que les magistrats membres du comité légitime seraient dorénavant privés de la protection dont doivent légitimement bénéficier les magistrats au sein des tribunaux.

Les « dirigeants actuels » de l'AMT n'ont jamais prêté la moindre attention au sort réservé aux membres du comité légitime, n'ont jamais dénoncé les mesures vexatoires et discriminatoires dont ces derniers ont été victimes, ne se sont jamais élevés contre les sanctions financières qu'ils subissent, s'abstenant ainsi de remplir leur rôle élémentaire de défense des intérêts matériels et moraux de leurs collègues.

Bien au contraire, Mr Adnene El Héni « président de l'AMT », lors d'un communiqué de presse publié dans le journal ESSABAH ( proche du gouvernement) le 15 Août 2010, a affirmé qu' « il n y a pas eu de mutation abusive » lors du dernier mouvement de rotation des magistrat d'Août 2010, passant sous silence le cas de Mme Kennou Kalthoum, mère de 3 enfants, éloignée, sans promotion, vers Tozeur, à 500 km de Tunis, et il est bien entendu qu’aucun droit de réponse ne peut nous être accordé.

De surcroît, les actuels « dirigeants » de l'AMT ont enterré les revendications les plus importantes réclamées durant des décennies par les magistrats, notamment :

Un statut des magistrat, englobant les principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la justice, dont principalement l'inamovibilité du magistrat

La reconsidération de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature , et les modalités d'élection de ses membres;

En conclusion :

Le Comité légitime de l'AMT vous renouvelle sa demande de diligenter une enquête concernant le démantèlement des structures de l'AMT en 2005, et le harcèlement permanent dont ont été victimes ses membres, et de constituer une commission qui fera émerger la vérité.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos salutations respectueuses

Président du bureau légitime de l’ A.M.T