La tentative d’immolation par le feu de Mohammed Bouaziz, jeune diplômé sans emploi, le 17 décembre à Sidi Bouzid a provoqué une vague de contestation. Depuis lors, ce mouvement s’est étendu au reste de la Tunisie, constate El Watan.

Les forces de l'ordre face aux manifestants à Sidi Bouzid, 27 décembre 2010.

Chômage endémique, injustice sociale, pouvoir d’achat érodé, répression… les Tunisiens n’en peuvent plus et le font savoir de la manière la plus forte. Le centre de Tunis, la capitale, a été investi le 27 décembre 2010 par des centaines de manifestants qui ont bravé la menace policière. Un rassemblement a été tenu devant le siège de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), sur la place Mohamed Ali, avant que les manifestants ne soient violemment dispersés par les forces de l’ordre. Ce vent de contestation qui souffle sur la Tunisie, pays gouverné d’une main de fer depuis 23 ans, est la première du genre de par son ampleur. Longtemps étouffés par le régime policier de Ben Ali – au pouvoir depuis près d’un quart de siècle (1987)- plusieurs Tunisiens ont pris leur courage à deux mains et sont sortis dans la rue pour éructer leur colère d’être des laissés-pour-compte dans un pays présenté comme le plus stable du Maghreb.

A l’origine de cette révolte qui se propage à travers plusieurs régions, la violente répression des émeutes de Sidi Bouzid, à 265 km du centre-ouest tunisien, qui ont éclaté après la tentative de suicide d’un jeune diplômé de l’université, vendeur sans permis de fruits et légumes, qui s’était fait confisquer sa marchandise par la police municipale. Désespéré, le jeune homme s’était aspergé d’essence pour s’immoler par le feu. Il a survécu mais se trouve dans un état critique. Cinq jours plus tard, un autre jeune a mis fin à ses jours en s’électrocutant au contact de câbles électriques. Après ce triste épisode, toute la population de Sidi Bouzid s’est soulevée pour dénoncer une situation socioéconomique intenable. En signe de soutien aux émeutiers de Sidi Bouzid, plusieurs manifestations ont été organisées, ces trois derniers jours, dans différentes régions et villes tunisiennes, notamment à Bizerte, Sfax, Sousse et Nabeul.

“Les manifestants dénoncent les inégalités interrégions et le chômage galopant touchant essentiellement les jeunes diplômés de l’intérieur du pays”, a fait savoir Jalal Zoghlami, militant tunisien des droits de l’homme, contacté par nos soins. Selon lui, les régions de l’intérieur et du sud tunisien souffrent depuis des années de chômage et de misère sociale due à un désinvestissement de l’Etat. Les manifestants sont, à ses yeux, “les oubliés du développement économique tunisien, concentré au niveau des grandes villes du Nord”. Jalal Zoghlami estime que cette contestation d’ordre social et économique est loin de s’estomper. “Les manifestations ont commencé le 17 décembre à Sidi Bouzid. Elles se sont propagées à travers plusieurs villes du pays en seulement quelques jours. Je pense que cette grogne sociale est partie pour durer, tant que le gouvernement continue de faire mine d’ignorer les revendications des manifestants”, estime-t-il. “De nombreuses études réalisées ces dernières années montrent le hiatus qui ne cesse de se creuser entre les différentes régions de la Tunisie”, a-t-il relevé.

Selon lui, beaucoup d’investissements et de projets ont été réalisés sur le littoral aux dépens des villes de l’intérieur. “Le chômage est la conséquence immédiate, avec tout ce qui peut s’ensuivre”, a expliqué Touhami Heni, responsable régional de l’UGTT. Il touche surtout les jeunes diplômés de l’université. Gagnés par le désespoir ambiant, plusieurs de ces jeunes s’adonnent à des activités informelles, comme vendre des fruits et légumes dans la rue. Officiellement, le chômage est de 14 %. Mais réellement, comme le soulignent des opposants tunisiens, il avoisine les 30 %. “La défaillance du modèle de développement, qui a provoqué une inégalité entre les régions, a débouché sur le fait que 90% de projets sont localisés dans les régions côtières et 10% restants dans les régions de l’intérieur”, a indiqué l’opposant Rachid Khechana, repris par l’AFP. Selon lui, cette disparité s’est accentuée avec l’arrivée sur le marché du travail de plusieurs milliers de diplômés originaires de ces régions enclavées.

La population de Sidi Bouzid vit essentiellement d’élevage de bétail et de commerce informel, a encore précisé cet opposant. Cette région est limitrophe de Gafsa, une zone minière qui a connu, en 2008, des protestations similaires contre le chômage et la cherté de la vie. Cette vague de manifestations est qualifiée par le gouvernement tunisien de “pure manipulation à des fins politiques”. Cela, tout en prenant en “urgence” des mesures en faveur de la région de Sidi Bouzid, reconnaissant ainsi l’existence de besoins encore insatisfaits.

El watan via Courrier International