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Premier Ministre Mohamed Ghannouchi

Après le renversement du tyran Ben Ali et le démantèlement des clans mafieux, se joue un nouveau rapport de force : un peuple qui descend chaque jour dans la rue et montre sa détermination à liquider toute trace du parti unique face à un inamovible premier ministre, Mohamed Ghannouchi, tâché d’illégitimité et refusant de travailler dans l’urgence avec le peuple sous le balcon. Son gouvernement de « petite ouverture » se contente d’effets d’annonce et de timides garanties délivrées au compte-gouttes. En cela, il est vrai qu’il ne reflète ni l’audace d’un peuple, ni ses aspirations à être enfin entendu.

Le mouvement s’enlise. Ghannouchi et son gouvernement sont maintenant animés par une seule obsession : refermer la parenthèse des révoltes populaires. Toutes les décisions et les prises de parole convergent vers cet objectif : trois jours de deuil national sont décrétés alors que les manifestations se poursuivent, les Tunisiens se voient félicités pour cette “véritable révolution” alors que le RCD réel sévit encore dans toutes les strates des administrations et à toutes les échelles. Ghannouchi pousse le cynisme jusqu’à jouer la carte de l’empathie en se faisant passer pour un Tunisien comme un autre, sous-entendu attentiste, docile et fataliste. Pourtant, celui qui a mis en œuvre, depuis onze ans, la politique de Ben Ali n‘est aucunement comparable au Tunisien surdiplômé contraint de vendre des figues de Barbarie, ni comparable à celui qui a trépassé dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur pour ses idées politiques.

Cet acharnement à mettre fin à ce « mouvement national pour la liberté » est relayé jusqu’à la télévision tunisienne. Celle-ci a beau changer de logo et faire mine de renouer avec la liberté d’expression, le naturel revient au galop. Les derniers reportages couvrant les manifestations délivrent un message sans équivoque : il faut reprendre le travail. Les journaux télévisés mettent en scène une page de l’histoire qui viendrait de se tourner et fige irrémédiablement ce mouvement de lutte. Des images passent en boucle des pères de famille souhaitant la reprise du travail et des enfants soulagés de retrouver leurs camarades et de ne pas perdre une année. Toute poursuite du mouvement est ainsi discréditée. La trahison du mouvement et du sacrifice ultime des morts pour la liberté est ostensiblement étalée au grand jour par ceux qui ne veulent pas perdre de points de PIB ou veulent décrocher le baccalauréat cette année, comme si leur avenir ne se jouait pas aujourd’hui.

Il faut croire que ces révoltes doivent se poursuivre comme elles ont commencé, c’est-à-dire sans couverture médiatique. Peut-être achèveront-t-elles ainsi, dans le silence des ondes, le processus de refondation du pouvoir.

Mehdi Zorgati