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Professeur Yadh Ben Achour, président de la commission en charge de la rédaction d'une nouvelle constitution.

« Si vous ne pouvez expliquer un concept à un enfant de six ans, c’est que vous ne le comprenez pas complètement » Einstein

Je vous adresse ce commentaire dans le respect de vos compétences, de vos orientations, de votre personne ainsi que de celles des membres que vous avez désignés à la haute commission de la réforme politique.

J’ai lu deux fois le texte de cet éminent « Juriste tunisien, spécialiste de droit public et des théories politiques islamiques. Ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, membre de l’institut de droit international. Actuellement à la tête de la haute commission de la réforme politique. »
J’avoue que j’ai eu de la misère à comprendre le fil conducteur de l’article, car vous utilisez un langage assez abstrait que le commun des mortels ne peut assimiler ou en saisir la portée.

L’emploi de la langue de bois et inintelligible n’est pas nouveau. C’était ainsi pendant le Moyen Âge, les prêtres célébraient les messes en latin pour que le message reste mystérieux aux citoyens ordinaires. De nos jours, les économistes utilisent les équations mathématiques et les modèles statistiques à un point que personne ne peut comprendre ou contester les arguments ou les solutions qu’ils proposent. Le citoyen ordinaire se la ferme de crainte qu’on le prenne pour un idiot. Les juristes ne font pas exception à cette règle.

Cher professeur, éminent juriste et théoricien, je constate que ne faites pas exception et vous maniez bien dans l’art de rendre complexe ce qui est simple. Ce constat me porte à croire que plusieurs conséquences seraient possibles.

Premièrement, Les nouveaux textes de lois et de la constitution que vous proposerez en étant à la tête de la haute commission de la réforme politique seront rédigés en langage codé et mystérieux. Seulement les spécialistes et experts pourront comprendre la portée des nouvelles lois.

Deuxièmement, la haute commission de la réforme politique, composée de juristes théoriciens, n’accouchera que de textes hors de la portée des citoyens ordinaires et de madame et monsieur tout le monde.

Troisièmement, les nouvelles lois à proposer vont être approuvées par des figurines benalistes à l’Assemblée Nationale, dans les ministères, gouvernerats et ailleurs. Comment est-il possible d’affirmer une certitude et je vous cite « Il est cependant une certitude : en Tunisie, mais, à terme, dans l’ensemble du monde arabe, rien ne sera plus comme avant janvier 2011. » Je suis perplexe, car il y a un haut risque que l’histoire se répètera, comme après la révolte de janvier 1978, la révolte de Gafsa en 1980, La révolte de 1984, le changement du 7 novembre ….

Je vous rappelle une leçon de Rousseau « La volonté générale peut seule diriger les forces de l’État. Le peuple soumis aux lois en doit être l’auteur »

Monsieur le professeur, je me demande combien de citoyens ordinaires participeront-ils à la haute commission de la réforme politique ? Des comités de consultation populaire dans chaque région auront-ils lieu ? Les modalités et la mécanique du processus d’élaboration des réformes politiques et juridiques ont-elles été prévues ? Qui fait quoi ? Quand ?; où ? Comment ? etc …

Cinquièmement, le peuple tunisien est aujourd’hui en quête d’un projet de société axé sur la Dignité, le respect de la liberté, les droits de l’Homme, la démocratie, etc. Le peuple tunisien a démontré avec son soulèvement extraordinaire qu’il est très en avance par rapport aux intellectuels. Je ne crois pas que les intellectuels, lesquels n’ont pas vu venir, n’ont pas anticipé et n’ont pas participé activement au soulèvement du peuple tunisien seraient en mesure de traduire et d’agréger les aspirations des tunisien(ne)s en un projet collectif conforme à leurs attentes et espoirs.

Les compétences théoriques des membres de la haute commission ne constituent pas une condition suffisante, comme l’illustre la règle du bon sens suivante : « La théorie c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi ».

Ma vision est que le peuple tunisien, très cultivé, éduqué, doux, et courageux doit être l’auteur des lois auxquelles il sera soumis demain. Primo, l’implication massive et réelle des citoyen(ne)s tunisien(ne)s s’avère capitale dans le cadre de la transformation profonde des lois et institutions. Secundo, ce n’est pas avec la vieille garde depuis plus que 50 ans au pouvoir que nous pourrons définir un projet collectif d’une société digne, libre et démocratique. La vieille garde encore au pouvoir, une vieille garde qui a été témoin ou complice des massacres de citoyens, applique deux postulats :1) la loi de Lavoisier en chimie «rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme »; 2) la loi de l’inertie dynamique, c’est-à-dire il faut que ça change pour que ça reste comme avant et même pire.Dans notre arabe dialectal « Tnahhi Ras Bsall, youthlaa Ras Thoum. »

Pour éviter le dérapage de travailler en vase clos dans une Tour d’ivoire, il me paraît approprié, pertinent, démocratique et urgent d’être à l’écoute des nombreuses voix dont celle de M.Ahmed Mestiri demandant une assemblée constituante représentative, laquelle serait davantage en mesure d’agréger les aspirations individuelles en un projet collectif de société, c’est-à-dire dans une nouvelle constitution à approuver par un référendum.

En guise de tâche immédiate et préalable à la réforme politique, n’est-il pas pertinent d’adopter au plus vite une loi (Le Sénat tunisien a voté mercredi 9 février à Tunis une loi permettant au président par intérim de gouverner par décret-loi) , laquelle loi doit abolir la peine de mort et garantir à tout tunisien quelle que soit la nature des crimes qu’il a commis de subir un procès judiciaire transparent, indépendant et respectant les droits humains. Grâce à cette loi, il sera possible de demander par la grande porte l’extradition du dictateur en fuite, de sa famille et de ses clans. Ainsi, ils ne pourront se la couler douce dans les pays d’accueil tels que l’Arabie Saoudite, le Canada ou ailleurs. En adoptant cette loi dont l’application en Tunisie doit être stricte, aucun des pays ne pourra décliner la demande d’extradition du gouvernement provisoire. Si un gouvernement étranger refuse de répondre positivement à la demande tunisienne, on comprendra alors que ce gouvernement étranger est complice avec le dictateur en fuite et ses clans et donc contre la volonté du peuple tunisien. . En tant que tunisien universitaire vivant au Canada depuis trente ans, je me sens agressé et méprisé de voir que Belhassen Trabelsi et ses clans se la coulent douce ici au Canada avec les richesses des tunisiens et sollicite le statut de refugié politique. Toute la communauté tunisienne du Canada vit ce cirque comme un drame qui les touche dans leurs profonds intérieurs. Une loi de cette nature sera outil républicain qui fera penser 20 fois tout éventuel apprenti dictateur.

C’est sur cette dimension juridique et technique que le professeur Ben Achour, ses collègues experts, les magistrats et avocats pourront contribuer et mettre à profit leurs compétences.

Puisque ce commentaire s’ouvrait avec une citation d’Albert Einstein, on me permettra de conclure avec une autre citation que je modifie pour les fins de ma remarque. Je crois j’ai des raisons légitimes « d’avoir peur de ceux qui ont fait et font encore le mal, ont spolié la Tunisie, ont méprisé le peuple tunisien, assassiné des citoyens, mais aussi de ceux qui les ont regardés faire et regardent encore sans rien faire. »

Salutations cordiales et au plaisir de vous lire.

Brahim Meddeb,Ph.D.
professeur universitaire au Canada
Patriote tunisien