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Par Fethi Klabi (*),

Lorsque le président par intérim M.Foued Mbazaa annonçait le 3 mars 2011 l’élection d’une assemblée constituante pour le 24 juillet 2011, certaines idées noires me traversèrent l’esprit. Cette décision est-elle le fruit d’une réflexion scrutée de stratèges politiques ou est-elle une réponse précipitée à une revendication sociale anarchiquement organisée ?

La démocratie à la Tunisienne n’est-elle pas seulement à un stade si primitif que c’est la rue qui la guide ? Et les manifestants d’El Kasbah (2) saisissent-ils vraiment le sens de leurs demandes si pressantes ?

Ces questions si troublantes et inquiétantes pour l’avenir démocratique de notre pays poussent à réfléchir sur la justesse d’une telle décision qui en 1956 a donné corps, pour près de 60 ans, à un régime autoritaire à deux phases : paternaliste et éclairé sous l’ère Bourguiba et autocratique et escroc sous l’ère Ben Ali. Certes le contexte actuel est différent mais ceci m’inquiète comme même.

En fait, le rôle assigné à cette assemblée est principalement l’édification d’une nouvelle constitution pour une deuxième république. Ceci signifie-t-il une refonte totale de la constitution c’est à dire partir de zéro et oublier la constitution de 1959 ? ou plutôt la réalisation de quelques corrections en gardant le corps initial ?

A la lecture de notre constitution et contrairement à ce que disent les manifestants d’El Kasbah (2) et leurs chefs déclarés et non déclarés, la constitution tunisienne n’est pas totalement pourrie. Hormis les quelques articles relatifs aux prérogatives du président, du premier ministre ou aux régimes électoraux, le texte ne nécessite que quelques retouches. Au regard de l’ampleur de l’élection d’une assemblée constituante, on pourra penser que toute la constitution sera changée et là, il faut penser à chambarder le tout et à revoir les fondements de base sur lequels le modèle de modernité et progressiste tunisien a été bâti depuis l’indépendance. Qui nous dit que l’article 5 qui accorde à chacun la liberté du culte ne sera pas touché ? Qui peut nous assurer que le positionnement de l’Islam, comme religion de l’Etat, ne sera pas renforcé par l’instauration de la loi islamique comme source première de la constitution. Certes, j’hallucine mais mes craintes sont légitimes et certainement partagées par plusieurs (et non pas par tout le monde comme le prétendent les manifestants d’El Kasbah qui veulent parler au « non du peuple »).

Ceux qui se sont réjouis de l’élection future d’une assemblée constituante doivent aussi penser à la forme que celle-ci prendra. Au vue de l’absence de partis politiques dominants et du vide idéologique ambiant, les chances de réussite d’une telle élection dans un délai de 4 mois sont très faibles voire inexistantes. Pire encore, des courants que je peux qualifier d’obscurantistes peuvent remplir le vide et constituer une alternative alarmante à toute réflexion politique raisonnée. Sans entrer dans les détails, il n’y a qu’à se rappeler de la tournure qu’ont prise les dernières manifestations d’El Kasbah (des prières tenues en plein rue et j’en passe). Ainsi, il ne sera pas étonnant de voir certaines parties (et je ne dis pas partis) dominer ces prochaines élections et instrumentaliser la peur des tunisiens d’un avenir où le malaise économique et social persiste.

Le mode de scrutin serait aussi un choix décisif dans l’aboutissement de ces élections. Opter pour un mode majoritaire induirait soit l’émergence d’un parti dominant et un possible retour d’une néo-dictature dans une démocratie balbutiante soit la domination de plusieurs partis locaux ou tribaux et par conséquent l’aggravation du fléau du régionalisme. Un mode de scrutin proportionnel donnerait naissance à une mosaïque de partis et à l’effritement dans la construction d’une constitution cohérente. J’ajoute aussi que jusqu’à maintenant, personne ne peut prévoir l’orientation politique de la future assemblée : sera-t-elle de droite, de gauche, islamique ou autre ? Il semble même que cette question soit futile puisque rares sont ceux qui peuvent définir les contours et les sens des orientations politiques en Tunisie. Aussi et lorsque cette assemblée naîtra, sera-t-on capable d’aboutir à un consensus autour d’une seule constitution? Peut-être qu’on fera une constitution « d’union nationale » ou plutôt panachée dans laquelle des articles seront de gauche (et surtout les communistes, en force ces derniers jours), d’autres de droite et quelques lignes seront à connotation islamique (oh mon dieu !!!).

Si je continue dans ce jeu de simulation, je me pose la question suivante : la future assemblée constituante, peut-elle opter pour un régime présidentiel même si elle est en principe souveraine? La réponse est NON. Une des revendications des manifestants d’El Kasbah (2) est la création d’un régime parlementaire et donc, vu qu’en Tunisie et dans le cas d’une élection démocratique transparente, c’est la rue (ou plutôt les places ou squares) qui commande et non les élus et alors une autre révolution mais vers la dictature !!!

La décision d’élection d’une assemblée constituante est à mon sens, la résultante d’une démocratie de la rue omnipotente dans notre cher pays. Elle induira la naissance d’un processus lent et inutile qui aurait pu être résumé en la tenue d’un référendum d’ici un mois pour le choix entre deux ou trois projets de constitution. Dans ce dernier cas, nous pouvons en quelques mois choisir notre destinée et commencer à travailler pour une nouvelle Tunisie démocratique, libre et surtout moderne.

(*) Fethi Klabi est Assistant universitaire et docteur en Marketing.