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1- Questions brûlantes sur un passé proche

De nos jours les Rcédistes, (membres de l’ancien parti RCD), cherchent à retrouver une nouvelle prise sur la société tunisienne pour la ramener à la docilité de jadis, celle qui leur laissait le champ libre pour piller et opprimer. Maintenant que leur organisation est interdite, certains d’entre eux se mobilisent pour réclamer le droit des militants «propres» de se réorganiser et de participer de nouveau, dès à présent, à la vie politique du pays, aux élections prochaines, comme si de rien n’était. C’est un problème grave qu’il est important de débattre surtout qu’une partie du courant progressiste, sous prétexte de conciliation et de pardon, s’empresse d’adopter une position à la fois grave et risquée, oublieuse du passé proche du Destour et du RCD, ne tenant plus compte des traditions établies et bien connues des militants qui formaient leurs rangs.

À cet égard, ne faut-il pas rappeler, de nouveau, que la domination despotique et dictatoriale de la Tunisie par deux hommes, Bourguiba puis Ben Ali, ne s’était pas faite toute seule. Non plus que le quadrillage du pays par le parti unique (version I et version II), n’a pas été le fait des seuls dirigeants mais impliquait une faune particulière de miliciens, membres des cellules, délateurs, gros bras, automates applaudisseurs et bien d’autres dont la caractéristique commune est une indifférence crasse envers l’intérêt général du pays. Pas étonnant, par exemple, que les habitants de Tabarka entrent dans une grande colère lorsqu’ils constatent que le rcédiste d’hier veut se faire passer pour un révolutionnaire aujourd’hui.

La Révolution populaire s’est clairement prononcée contre les mœurs mafieuses et l’esprit de bandits des Rcédistes. Les nouvelles fondations de la vie politique que la Révolution vient d’établir seront en danger si la mentalité des rcédistes se greffe dans de nouvelles niches et contamine les mœurs politiques pour nuire aux libertés et à la démocratie. Il faut examiner leurs cas froidement, sans émotion, en tenant compte de l’intérêt général et en appliquant la justice. Ce moyen préserve la société de toute tombée dans les climats de terreur, propres aux dictatures. En appliquant les lois avec rigueur contre ceux qui les ont bafouées, la justice apaisera les craintes et découragera les perturbateurs tout en protégeant la Révolution du 14 janvier 2011 contre ses ennemis et détracteurs.

Ceux qui veulent le salut de la Tunisie doivent tout entreprendre pour rendre définitive la rupture avec les mœurs anciennes. Toutes les tentatives de retour en arrière seront vaines, dépourvues de sens et de valeur. Elles seront contrecarrées par le peuple et la jeunesse tunisienne dont l’action s’inscrit pleinement dans le sens des progrès de la conscience de la liberté dans le monde. Vu les situations désastreuses auxquelles la Révolution vient d’arracher la Tunisie et dans sa suite les autres pays arabes, le peuple est légitimé de la protèger et de la consolider, tel un nouveau-né, jusqu’à la réalisation de ses nobles objectifs d’une vie libre et digne à transmettre en héritage aux générations futures.

Nul ne peut crier à l’injustice ni parler de persécution lorsque la société confronte les menaces à sa survie et lorsqu’elle se donne les moyens d’éviter les dérives ou la déperdition. Un bref rappel de l’histoire des Destouriens et Rcédistes permet de faire ressortir une continuité parlante, des vérités à reconvoquer pour tirer les leçons quant à vouloir ramener par les fenêtres, avec précipitation, ce que le peuple a chassé par la porte après 23 ans de souffrance.

Peut-on, à l’heure actuelle, croire et faire croire que le pays, le peuple et la Révolution sont à l’abri du retour de l’oppression, de ses agents, leurs complices et associés ? Qui est en mesure d’affirmer maintenant que les forces de la noirceur et de la prédation ont été neutralisées, mises hors d’état de nuire ? Comment passer à l’étape de la réconciliation et du pardon si la réponse à la question précédante ne se fonde que sur les impressions ou sur les calculs électoralistes, politiciens ? Oublier les horreurs de la dictature et du despotisme, trois mois après la fuite du dictateur, ne revient-il pas à engager la Tunisie, sans autre précaution, sur une voie dangereuse, pleine de risques pour le présent et le futur ? Où sont passées les leçons de la crise de novembre 1987 et de ses suites ?

2- De Bourguiba à Ben Ali, un sentier tracé

Comment oublier que sous Bourguiba les Tunisiens ont souffert politiquement de l’absence de libertés et économiquement d’un chômage et d’une pauvreté qui ne se sont jamais allégés ? C’est ainsi que le renversement du « combattant suprême », fut vécu comme un grand soulagement. Le coup d’État médical et la fameuse déclaration lue à la radio, avaient été une surprise plutôt agréable à l’époque, un dénouement sans heurts qui a soulagé tout le monde.

Cependant et de fait, dans un pays où jamais l’on avait eu la possibilité de changer de chef d’État, l’occasion était belle, comme moment historique clé et fenêtre d’opportunité, pour réaliser une rupture avec le système et les méthodes de domination despotique que le vieillard avait maintenues et renforcé tout au long de son règne. L’occasion n’a pas été saisie par les forces démocratiques et progressistes, la chance perdue ne reviendra qu’après 23 années infernales. Un passage à vide dont a profité Ben Ali et sa horde pour transformer son régime en une dictature des plus sanguinaires sur terre.

À cette époque les rangs de la résistance étaient dispersés, la pente à remonter était raide. Il a fallut le travail patient et acharné de militants et militantes de très grande valeur qui ont construit les outils qui feront échouer la propagande et les mensonges du régime. Ils vont diffuser l’information crédible et entretenir les débats qui vont éveiller les consciences, mettre les militants en relation et renforcer le réseau des opposants à la dictature. Ces derniers, à leur tour, se découvrent plus proches les uns des autres quant à l’objectif commun visé et les moyens de s’en approcher.

Des sites d’information sont apparus pour consolider la mouvance, ils vont bouleverser complètement la donne contre le régime dictatorial. TuneZine, Tunisnews, Nawaat et les autres sites internet sont devenus des espaces de liberté et de résistance contre la tyrannie.
Ensuite s’est ajoutée la chaîne Al Jazzira avec une information de grande qualité, accessible au plus grand nombre. Une véritable épine aux pieds des dictateurs arabes et de leurs appuis étrangers. Tout ce qui a manqué à la société civile à l’époque du coup d’État en novembre1987, la jeunesse tunisienne, en débats continuels avec les opposants connus ou non, va le conquérir. Elle construira des espaces de liberté que la dictature tentera de saboter de mille façons avec férocité sans jamais décourager la jeunesse qui finit par reconquérir tout site saboté ou espace perdu. Elle poursuivra son combat contre la dictature par le débat, la clarification des idées et la fixation des enjeux.

3 – Les coûteuses erreurs du passé

La dictature et la chute dans le vide, subies par le peuple et le pays, étaient-elles nécessaires et inévitables ? Si oui, est-ce que cela veut dire que la même descente aux enfers peut encore survenir en Tunisie dans le futur sans que personne ne pourra rien empêcher ?

Ces questions s’imposent car en novembre 1987 le jeu politique n’était pas cristallisé ni figé et il ne le deviendra que plus tard après plus de 18 mois environ. Durant cette première période tout le monde était tombé dans la liesse, les hommes politiques en particulier n’avaient pas saisi l’opportunité pour faire le travail pour lequel ils sont généralement choisis, élus. Ce travail consiste à négocier au nom des groupes ou des associations pour soutirer des concessions, réaliser des gains et se donner des garanties contre les volte-face et les manipulations. À cet égard, les forces vives du pays n’avaientelles pas fait montre d’inconséquence politique et de faiblesse grave d’évaluation et de vision en 1987 ? La réponse est claire ici puisque ces forces n’avaient pas montré une grande volonté de changement ou la conviction ferme de mettre un terme aux habitudes non démocratiques et despotiques imposées par Bourguiba et les Destouriens peu de temps après l’indépendance.

Le syndicat UGTT, certes toujours surveillé, toujours réprimé, n’était pas en position de requérir quelque garantie que ce soit contre le retour des compagnes sanglantes et des machinations dont il était régulièrement l’objet. Mais le syndicat national n’était pas le seul à se rallier en 1987 sans gain substantiel, toutes les formations de l’opposition politique tunisienne s’étaient montrées optimistes, bien disposées envers Ben Ali, pourtant reconnu pour être le responsable de la boucherie sanglante du 26 janvier 1978.
Ces forces n’avaient montré aucune méfiance envers le successeur autoproclamé de Bourguiba et ses complices conspirateurs. Cela aussi malgré le fait que les moyens utilisés par le trio Baccouche-Ammar-Ben Ali, étaient des moyens illégaux, violent les lois et passibles de peines très sévères. Tout avait été accepté.

Moins que tout le monde, en novembre 1987, les Destouriens n’avaient montré aucune réticence envers les actes posés et aucune méfiance envers les possibles dérives du nouveau chef qui s’était imposé. Ce point est important à souligner car il permet de rappeller que les coups de force et les conspirations sont des traits associés à la pratique historique du Destour depuis bien avant l’indépendance de 1956. Pas étonnant alors que ses membres, en 1987, n’aient rien trouvé d’anormal au mépris des lois pour ensuite accepter aussi l’usage étendu et abusif de la force et la torture des citoyens comme moyens valables pour atteindre des objectifs politiques contestés par la société.

Il faut aussi rappeler que le Destour a toujours disposé d’une milice aux ordres capable de violenter les étudiants, de briser les grèves, d’agresser les opposants, leurs enfants, conjoints, proches et voisins. En novembre 1987 la fameuse déclaration programme (le mensonge) lue par Ben Ali, avait causé une joie que le peuple, débarrassé du spectacle quotidien d’agonie que projetait Bourguiba, n’avait pas cherché à gâcher. Il n’a pas réclamé, et les élites avec lui, de garanties pour une véritable vie démocratique et une rupture, véritable et définitive, avec les pratiques défaillantes du passé. Tout le monde doit tirer les leçons pour le temps présent, avril 2011, trois mois après la Révolution du 14 janvier 2011.

Bien sûr le contexte était particulier, nul ne peut oublier qu’en 1987 les conditions politiques et sociales étaient difficiles, incomparables avec celles de 2010-2011. Il faut rester lucide et se dire, comme notre passé l’illustre bien, le remplaçant d’un tyran ou d’un dictateur ne sera pas forcément un démocrate acquis à l’ouverture et immunisé contre les dérives autoritaires. Il faut espérer le meilleur mais rester préparer à affronter le pire s’il se présente.

Notre propos veut souligner ce qui suit : toutes les garanties qu’un peuple peut se donner contre les dérives autoritaires et dictatoriales sont des garanties légitimes, beaucoup moins regrettables et beaucoup moins dommageables pour la collectivité et les individus que les malheurs et la terreur que leur absence peut occasionner. Le 7 novembre 1987 le Parti-État Destour croyait avoir trouvé un sauveur, disait-on, il a fallu peu de temps pour que le pays découvre le dictateur sanguinaire qui se cachait derrière. Il faut le rappeler, pour ne pas refaire la même erreur aujourd’hui, surtout que nous voulons changer véritablement de siècle, devenir et rester un peuple libre de ses choix et de son destin.

3- Les médias, la dictature et la contre-révolution

L’affirmation de Ben Ali comme dictateur a été rapide et ceux qui ont facilité sa mue maléfique dès sa prise du pouvoir sont les élites. Rapidement, les bien pensants de l’époque se sont soumis, journalistes, écrivains, académiciens, commentateurs, conseillers et autres intervenants des médias se sont mis à plat ventre devant lui. Les habitudes établies sous Bourguiba ont été reconduites et renforcées avec le nouvel homme fort du Destour. Les journalistes ne posaient pas de questions gênantes, ni au dictateur ni à ses collaborateurs, ils ignoraient les arguments dérangeants et se taisaient surtout, au lieu de relever les mensonges ou de dénoncer les abus. Cela alors que les membres du RCD, au gouvernement comme ailleurs, devenaient les champions mondiaux de la démagogie et d’une langue de bois digne des pires dictatures de l’ancienne Europe de l’Est stalinienne. L’autocensure s’est installée pour devenir, petit à petit, la règle. Les honnêtes gens devenaient incapables de travailler dans de telles conditions, se sont fait discrets ou se sont retirés de la place publique la cédant, toute entière, aux médiocres.

Ce sont ces derniers qui vont profiter de l’occasion pour devenir les seuls à parler au nom du pays, à le représenter à travers le monde et pour s’allier à des puissances étrangères.
Parmi celles-ci, certaines haineuses, étaient bien satisfaites de voir que la Tunisie et son peuple devenaient une entité sans âme, un corps sans vie disponible pour toutes les manipulations et toutes les machinations hostiles à son autonomie, ses attaches, son histoire, sa religion, sa culture et son aspiration à l’unité arabe. Avec la dictature, le loup s’était installé dans la bergerie et le berger lui donnait un coup de main.

Quoi que disent les tenants de la réconciliation pressée d’aujourd’hui, l’univers de plomb instauré par Ben Ali n’a pas rebuté les destouriens rcédistes, bourguibistes ou non.
Aucune indignation notable, aucune sortie des rangs notable à laquelle ils peuvent s’accrocher. Tout indique, hélas, que les avantages tirés par ces individus et leurs familles les rendaient aveugles et insensibles envers ce qui accablait le reste de la population.
Après 52 ans de règne sans partage, leur sortie d’une telle bulle ne pouvait qu’être brutale. Ils vivent la Révolution du 14 janvier 2011 comme une catastrophe sans pareille, un désastre auquel ils ne s’attendaient pas. Ils ne pouvaient imaginer que leur dictateur serait chassé et que le système tentaculaire, qu’ils ont crée avec lui, allait s’effondrer et serait neutralisé sans recours à la violence, par un peuple aux mains nues, sans complot ni aide d’étrangers tirant les ficelles, sans revanches ni expressions de haine.

Il est temps de tenir ces figures de l’échec, loin des centres de décision et d’influence sur la vie politique du pays. Ils ont des compétences dites-vous, rien ne les empêche de les exercer pour participer au développement et à la diffusion de la prospérité et des bonnes conditions de vie là où ils se trouvent sans chercher à tout corrompre ni à tout contrôler de la vie de leurs concitoyens.