Par AYJ,

En ces temps de liberté débridée, où l’on se plait à tout remettre en question et à revisiter les fondements les plus inébranlables, serait-il inopportun de chercher à comprendre pourquoi la Tunisie ne votera pas pour les islamistes. Ceux parmi vous dont l’intelligence se sentirait offensée de se voir démontrer une évidence aussi irréfutable m’en excuseront.

La Tunisie ne votera pas pour les islamistes, parce que le capital peur qui leur est associé est encore inépuisé. Ce capital a été nourri par un amoncellement d’expériences riches en violence et en terreur, à un point que l’on se demanderait, légitimement, si la pensée commune en Tunisie parviendrait à s’en séparer un jour. D’autant que les militants de ce courant ne font rien pour réduire ce capital et rassurer un pays qui les craint désormais sans modération. Au contraire, chacune de leur intention, chacune de leur déclaration, chacun de leur acte, même leur silence, semblent le nourrir davantage et l’enraciner dans les esprits. Le moment venu, les islamistes joueront certainement la carte de la tolérance et nous inviteront à leur accorder une dernière chance. On sera prêt, sur le principe, à leur accorder cette chance mais la peur sera toujours là, c’est un fait, et on n’a pas à expliquer ses sentiments, encore moins à les justifier.

La Tunisie ne votera pas pour les islamistes car elle vient de vivre une révolution unique en son genre pour la dignité et la liberté. Et les Tunisiens ne comprendront pas pourquoi on les gouvernerait au nom d’une religion –ensemble de croyances et de pratiques qui constituent les rapports entre l’homme et la puissance divine, une définition parmi d’autres- à moins qu’il y ait la volonté de l’imposer au détriment des libertés individuelles. Le doute ne fait-il pas partie de la nature humaine ? D’ailleurs sur cette question des libertés individuelles, les islamistes ont montré une faiblesse désespérante en essayant de clarifier, sans succès, leur position ; en avançant que c’est au peuple qu’il revenait de décider du périmètre des libertés individuelles, ils ont offert la preuve accablante, aux derniers indécis, qu’ils ont raté le train de la révolution. Espéraient-ils le prendre ? Les leaders islamistes éclairés auront peut être, d’ici les élections, réajusté leurs messages et adapté, encore une fois, leurs discours à l’audience pour se rattraper. Mais avec tous les efforts possibles et imaginables qu’ils auront fournis, un soupçon de doute persistera et pèsera. Après tout, pourquoi prendre le risque de sceller son destin à la seule idéologie de la place qui mettrait, ou pas, en péril sa liberté quand on a le luxe de choisir ?

La Tunisie ne votera pas pour les islamistes car cela lui coûterait très chère en image et en positionnement. La Tunisie se doit d’être proche à la fois du Maghreb, de l’Europe, de l’Amérique de l’Orient, et elle n’a pas le choix. Elle se doit de rester proche de toutes ses cultures pour assurer sa présence et sa survie. L’islamisme la plongera dans un isolement de longue durée, car pour le simple citoyen du monde, un état islamiste est un état autre, pas comme les autres… Et ce n’est pas la Tunisie qui viendra changer cette donne déjà fortement établie. Non, la Tunisie n’est pas prête à payer ce prix, d’autant qu’elle ne saura pas ce qu’elle reçoit en contrepartie. Mieux vaut ne pas le savoir…

La Tunisie ne votera pas pour un régime islamiste -y compris les islamistes eux même, après réflexion- car elle n’acceptera pas d’être le laboratoire d’expérimentations économiques hasardeuses et sans fondement aucun : les déclarations illuminées de certains leaders de la mouvance islamiste laissent entrevoir une vision qui en plus d’être déconnectée des attentes du moment, secouerait à terme les fondamentaux économiques d’un pays fragilisé et qui a peiné pour en construire. Ce pays vient de vivre sa révolution, celle des islamistes attendra.

La Tunisie ne votera pas pour les islamistes car elle trouvera une alternative saine et solide. En effet, ces derniers, et sans le vouloir, ont offert un cadeau encore inespéré il y a quelques temps, à la société civile : l’élite politique et associative, qui peinait à trouver un terrain d’entente, a identifié en l’islamisme un adversaire commun qui ne respectait pas les règles du peloton –ne nous attardons pas sur leurs dérives, il y a l’embarras du choix-. Avoir un adversaire commun à neutraliser suffit à créer l’union, le temps d’une bataille, les différences on en parle après…Quand on ne sait pas ce que l’ont veut, mieux vaut savoir ce que l’on ne veut pas, c’est un minimum. Grâce aux islamistes, c’est chose faite.

La Tunisie ne votera pas pour les islamistes parce qu’elle ne trouvera aucune raison valable de le faire. Les cartésiens auraient commencé par là et se seraient arrêtés là également, rationalité oblige. Comme quoi il suffit de poser les bonnes questions. Mais faut-il le faire ? Ya t-il aujourd’hui une raison valable de voter pour les islamistes ? A ceux qui seraient prêts à s’aventurer pour en trouver … bonne chance, c’est tout à votre honneur.

Il est vrai que les islamistes en Tunisie ont excellé dans l’art d’exhorter les gens à s’allier à leur cause, sans qu’ils en aient vraiment une. C’est que pour découvrir cette cause –aussi vertueuse puisse-t-elle être, ne soyons pas de mauvaise foi- il faudra attendre qu’ils arrivent au pouvoir. Belle approche commerciale.

Les islamistes, en vrais novices assoiffés de pouvoir, ont lancé les premiers le sprint. Ils ne gagneront donc pas la course, certes, mais grâce à eux celle-ci aura été animée. Encore mieux, ils nous auront appris, bien que dans la douleur, à tolérer la différence, aussi extrême et aussi incompréhensible soit elle, et à rester sur le qui vive face à toute menace réactionnaire. Restons vigilants.