Image Antonio Parinello/REUTERS

Des rivages de la méditerranée à la privation de liberté. L’audience du juge des libertés et de la détention de Paris est inhabituellement surchargée ce dimanche. A la dizaine de dossiers habituels d’étrangers en situation irrégulière viennent s’ajouter les cas d’une trentaine de ressortissants tunisiens tombés dans les escarcelles de la préfecture de police.

Un magistrat en renfort et quatre interprètes en langue arabe sont présents pour l’occasion. Nombreux sont les avocats commis d’office, et le vice bâtonnier est venu en personne motiver les troupes en début de matinée.

De nombreuses opérations ont eu lieu mercredi et jeudi soirs. A proximité du parc de Belleville et de celui de la porte de la villette où ils campent actuellement en nombre et dans des conditions dramatiques, la police républicaine a reçu l’appui  du vice procureur qui a signé de nombreuses réquisitions aux fins de contrôle d’identité.

Les policiers peuvent ainsi contrôler toute personne sans avoir à justifier d’un trouble à l’ordre public. Officiellement il s’agit de lutter contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants, et les atteintes aux biens.

A la garde Lyon, des opérations similaires doivent permettre de lutter contre la criminalité transfrontière. Cette fois-ci le procès verbal valant ordre de mission ne prend pas la peine de cacher que le but est d’interpeller des clandestins tunisiens qui auraient échapper à la vigilance des autorités dans le Sud, réussissant ainsi à embarquer dans des trains en partance pour la capitale.

Certains des tunisiens déférés vont avoir plus que de chance que d’autres : la multiplication des procédures favorisent les bévues et les vices de forme.

Les autres tentent de faire valoir le permis de séjour valable 6 mois et délivré par le gouvernement italien. Ne devrait-il pas leur permettre de circuler librement dans l’espace Schengen en vertu des accords internationaux signés par les Etats européens ? Le magistrat d’audience renvoie à mieux se pourvoir devant le Tribunal administratif seul compétent sur la question.

De fait la préfecture n’a pas demandé leur éloignement vers la Tunisie, mais a préféré leur signifier leur réadmission vers l’Italie. Ces deux pays se refilent les malheureux comme s’ils s’agissaient de patates chaudes…

Ils sont originaires de diverses villes de la Tunisie : Zarsis, Gabès, Sfax, Mednine, Kairouan, Tataouine… Partis après la chute de Ben Ali, la traversée jusqu’à l’ile de Lampedusa ( à partir de Zarsis ou Sfax) leur a couté en moyenne la bagatelle de 2000 Dinars Tunisiens (1000 euros), une somme considérable pour eux équivalente à 4 mois de salaire d’un employé ou d’un technicien.

Tous racontent leur amour du pays. L’un d’eux me dit même qu’il vivait mieux en Tunisie qu’en Europe, mais qu’il voulait simplement voire du pays. Un autre me dit sans grande conviction qu’il s’est senti menacé quand la guerre a éclaté en Lybie. Alors pourquoi ?

Pour en savoir plus, je quitte les murs peu conviviaux du palais de justice pour retrouver Assad, un architecte tunisien établi à Paris, et qui passe tous ces moments de libre auprès des clandestins du parc de Belleville : « La bas, ils sont moins nombreux qu’à la Villette, les associations y sont également moins présentes, on peut s’investir et se sentir utile : distribution de repas, et de vêtements, on essaye surtout de leur apporter du réconfort…».

Avec lui, trois compatriotes clandestins qu’il a pris sous son aile. Voulant leur faire visiter Paris, il les a promenés à pied de Belleville au palais royal. Exténués, ils acceptent néanmoins de se confier.

L’éclatement de la guerre civile en Lybie semble avoir été le détonateur de leur prise de décision. Beaucoup d’entre eux vivaient du commerce entre les deux pays.

Les passeurs, le plus souvent les patrons du navire de pêche à bord duquel ils ont embarqué, leur ont vendu du rêve et un eldorado, celui de l’Europe et de sa vie attrayante et mirifique.

Ils ont investi toutes leur économies et celles de leurs proches pour se payer le périple.

Pour Ramzi le plus jeune des trois, l’aventure tourne vite au cauchemar, il voit chavirer devant ses yeux l’embarcation où son frère a pris place…

En Italie les autorités les prennent convenablement en charge, les hébergent et leur fournissent même des titre de séjours évidemment très temporaires. Mais depuis le début leur destination finale a toujours été la France, tout le reste ne faisait partie que du voyage.

Arrivés à Paris, le désenchantement est au rendez vous, aucun d’entre eux n’avait l’habitude de passer la nuit dehors, aucun d’entre eux n’avait idée de ce qu’est la vie de SDF.

Ramzi fait partie de cette minorité qui veut rentrer (environ 20%), une délégation est partie au consulat tunisien pour établir un point de contact en vue d’un rapatriement volontaire. Réponse en substance des autorités tunisiennes post révolutionnaires : «  ils ont bien trouvé  le moyen de venir jusqu’ici, qu’ils se débrouillent donc pour repartir ».

Youssef Ben Slamia, Paris le 2 mai 2011