Caricature par Needall Garryani (ERevolution)

Par Sami Ben Mansour,

Le procès de l’ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et de son épouse Leila Trabelsi s’est ouvert à Tunis le 20 juin dernier en l’absence des accusés. Dans une première séance jugée expéditive par les observateurs et entachée de quelques irrégularités juridiques, les prévenus ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour des délits mineurs en regard des lourdes accusations qui pèsent sur eux.

Dans ce qui semble être un procès médiatique – du moins dans le déroulement de sa partie inaugurale – une question essentielle se pose. S’agit-il d’un vrai procès pour que justice soit finalement faite ou d’un simple exutoire destiné à calmer le bouillonnement d’un peuple assoiffé de justice et parfois de revanche.

Six mois après le départ précipité de Ben Ali et d’une partie de sa famille dans des conditions non encore élucidées, aucune démarche officielle de l’Etat tunisien n’a encore abouti pour l’extrader ou rapatrier partie ou totalité de ses avoirs dont on soupçonne fortement qu’ils ont été dérobés au peuple tunisien.

Les tunisiens qui veulent que le dictateur soit jugé sur le sol national pour les meurtres dont il est accusé et le formidable pillage en règle du pays dont il semble être le principal responsable, ont dû se contenter jusque-là de quelques coups médiatiques de la part des gouvernements provisoires sucessifs. Habilement mis en scène et jouant en abondance sur le sensationnalisme, les descentes des membres de la “Commission d’établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption” dans le palais présidentiel de Sidi Bou Said ont étalé avec zèle et fracas, à une heure de grande écoute, des liasses de billets en devises, des bijoux et même des sachets remplis de drogue. Si cela a eu pour effet de calmer momentanément les tunisiens, ces derniers s’interrogent toujours sur le sort des milliards de dinars détournés par Ben Ali et sa smala qu’on a probablement eu tout le temps nécessaire de transférer dans de lointains paradis fiscaux où il doivent reposer tranquillement à l’abri des regards indiscrets. Les tunisiens veulent aussi comprendre le “système Ben Ali”. Ils veulent savoir comment cet apprenti despote à peine alphabétisé a pu mettre le pays en coupe réglée.

Ils veulent également que sa responsabilité soit déterminée dans la répression systématique de ses opposants durant les 23 ans de son sinistre règne. Mais surtout dans les meurtres, vraisemblablement planifiés et souvent exécutés de sang froid des martyrs de la révolution du 14 janvier. Les tunisiens veulent tout savoir. Pour l’histoire, pour la mémoire et pour que plus jamais de telles abominations ne soient commises. Mais voilà que Ben Ali et ses acolytes ont disparu dans la nature. Ou plus précisément en Arabie Saoudite, le nouveau Royaume des dictateurs, pour l’ex-président et son épouse. Et l’on est étonné de voir que la Tunisie n’ait pas pu encore extrader le couple Ben Ali. Et qu’en dehors d’une déclaration solennelle faite il y a quelque mois, rien ou presque n’ait été entrepris auprès du royaume pour ramener au pays les époux en cavale.

Alors, mauvaise volonté (politique) ou impuissance de l’Etat tunisien ? L’on s’interroge aussi sur les choix opérés pour tenter de rapatrier les colossales sommes d’argent volées au peuple. Ses sorties médiatiques (et très médiatisées) mises à part, à ce jour la commission sur la corruption, objet de toutes les critiques depuis sa création, n’a dévoilé aucun dossier sérieux qui touche de près ou de loin aux scandales économiques et politiques de l’”ère du changement”. Pourtant, la prédation économique des Ben Ali et des familles alliées et amies est connue et ses affaires les plus emblématiques qui touchent des secteurs stratégiques de l’économie sont de notoriété publique. Pourquoi l’Etat tunisien, via ses gouvernements provisoires successifs, n’a-t-il pas mis en place, d’emblée, un pool anti-corruption regroupant des experts confirmés pour se charger exclusivement de toutes ces affaires ? Et d’aller chercher dans leurs exils dorés les principaux responsables de la faillite économique et politique du pays ?

Dernière question qui m’intrigue dans ce maelström d’interrogations. Pourquoi juger uniquement Ben Ali et sa femme. Et les autres ? Les Trabelsi, Matri et autres personnages clé de l’économie tunisienne sous Ben Ali qui ont vu leur destinée se transformer radicalement par le simple fait d’être un parent, un proche ou un ami de l’ex-dictateur ?

Que vaut aujourd’hui ce procès ? Ce n’est sans doute pas le procès exemplaire que veulent les tunisiens. Cherche-t-on à faire des Ben Ali les boucs émissaires par contumace de toute une époque, tout un système, complexe par ses ramifications et le nombre et la nature de ses acteurs. Ou espère-t-on, peut-être, qu’à la fin de ce procès, les tunisiens retourneront tranquillement à une vie normale en pensant qu’ils en ont fini avec Ben Ali et sa dictature sanguinaire et prédatrice.