Il est des images qui sont bien plus expressives que les plus éloquents des discours, concentrant en un raccourci saisissant une vérité ignorée ou tue. S’agissant de la Tunisie, de la réalité actuelle qui s’y déploie comme dans un théâtre d’ombres chinoises, ce sont deux images symboliques de l’état d’esprit des dirigeants et de leurs amis politiques, d’une part et du peuple, d’autre part et qui sont à des années-lumière l’un de l’autre : le Village du jasmin sur l’esplanade de l’Hôtel de Ville de Paris et, tout récemment, la place dédiée au symbole de la révolution, et dans le même temps, à l’autre bout de la ville, dans les squares et les jardins publics des quartiers populaires de l’est et du nord, les scènes d’errance douloureuse de jeunes tunisiens dans l’indifférence totale des autorités d’un pays qui est censé avoir réalisé sa révolution de la dignité grâce à eux notamment.

La nouvelle Odyssée de cette jeunesse met gravement en cause la réactivité des autorités actuelles à gérer cet aspect fondamental des préoccupations d’une importante part de son peuple, sa part d’avenir, à savoir la recherche d’une vie digne.

Pis ! elle pointe l’incurie de leurs représentations en France à faire face aux problèmes posés par le mouvement désespéré pour la survie de ces jeunes et surtout d’y trouver des solutions adaptées; et notamment d’hébergement, d’orientation et de prise en charge.

Or ces solutions existent et ne manquent surtout pas pour peu que la volonté politique eût existé; mais c’est de pareille volonté que sont dépourvues ces représentations diplomatiques et consulaires en France.

Ancien diplomate ayant exercé longtemps mon métier au strict service de la communauté tunisienne en France de 1984 à 1995 avant de rompre avec l’ancien régime pour ne pas avoir à cautionner une politique à laquelle je n’adhérais pas — à un moment où le silence devenait forcément coupable, particulièrement pour un diplomate en exercice —, je sais parfaitement que la situation créée par ces jeunes est loin d’être insoluble et suppose nombre d’initiatives parfaitement réalisables aussi bien du côté tunisien que français dans le cadre d’institutions et de politiques existantes qu’il suffit de mettre en action.

Et d’abord l’hébergement! Les autorités tunisiennes ne manquent pas de locaux vides qui auraient pu héberger ces jeunes. Outre le fameux siège de l’ancien RCD sis rue Botsaris, il y a aussi l’ancienne annexe du Consulat Général rue Fortuny, par exemple. Sans parler des places que le service social de l’ambassade et ceux des consulats (il y a bien deux consulats en région parisienne dotés, qui plus est, de personnel supposé dédié au service des ressortissants en la personne des Attachés sociaux dépêchés spécialement à cet effet par le ministère des Affaires sociales) étaient en mesure d’avoir auprès des instances régionales et locales françaises. Sans avoir, de plus, à revenir sur la pléthore de mécanismes qui relèvent du cadre de la politique de la ville, en France, ne demandant qu’à être mis en oeuvre avec des services consulaires actifs et réellement motivés par le service des intérêts de leurs concitoyens en difficulté.

Or, de tout cela, j’ai pourtant saisi mon ancien ministère des Affaires étrangères, par courrier classique et électronique; et j’ai même avisé le cabinet du maire de Paris de ma disponibilité à y apporter le concours de ma compétence en ma qualité d’ancien diplomate; mais ce fut en vain.

Mieux! Dès le lendemain de la Révolution en Tunisie, obéissant à ce que j’estimais un devoir civique, j’avais adressé une requête officielle au ministre tunisien des Affaires étrangères dans laquelle je lui faisais part de ma tenue à la disposition de mon pays dans la mesure où mon expérience au service de la communauté pouvait lui être utile.

À cette occasion, je lui avais fait part du projet de création d’un observatoire socio-culturel à Paris appelé à être le noyau d’un futur grand centre socio-culturel, me proposant d’en assurer par mes propres moyens la mise en place et le démarrage des activités, ce qui reste le plus dur dans la vie de toute institution naissante.

Si on m’avait écouté, si pareil observatoire avait été créé, il aurait pu gérer la situation récente et éviter la désespérance aux jeunes tunisiens soumis aux diverses brimades, surtout la honte de se sentir abandonnés alors qu’ils ont pensé un moment, et à juste titre, que le seul fait d’être Tunisiens les faisait relever d’un pays imposant le respect, dont les autorités s’investissent pour la défense des intérêts et de la dignité de ses citoyens. Ont-ils eu tort?

Je ne le pense pas! Car, les bonnes volontés et les consciences éveillées existent! C’est de l’absence du vouloir d’y recourir qu’il s’agit; or, il suffit d’un effort sérieux pour retrouver la volonté la plus performante, de celles qui sont de nature à faire déplacer les montagnes. En effet, il est scientifiquement établi qu’une pensée positive, bien contrôlée, finit par agir sur la matière, la transformer même et ce juste par le fluide psychique que dégage le cerveau humain!

De toute façon, au point où en est la Tunisie, il n’est plus question pour les responsables politiques en charge des intérêts de leurs concitoyens d’agir autrement en continuant d’ignorer les impératifs imposés par la nouvelle situation. Celle-ci, quoi qu’on essaye d’en faire, est grosse des changements les plus radicaux qui ne sauraient avorter étant portés par une volonté populaire d’autant plus forte qu’elle est diffuse dans toutes ses couches jusqu’aux moindres surfaces imperceptibles de l’inconscient.

Aussi on pourrait peut-être retarder l’occurrence des changements, mais jamais plus on ne saurait l’empêcher, rien ne pouvant s’opposer à l’oeuvre merveilleuse (miraculeuse même!) d’une pensée quand elle se met en activité, surtout quand cette pensée prend, consciemment et surtout inconsciemment, la forme d’une obsession d’action. Autant donc aller dans le sens du futur, messieurs les politiques de la Tunisie de l’après 14 janvier ! Commencer par écouter cette jeunesse qui vous interpelle !

Il est encore temps de répondre à son appel désespéré, assourdissant ici en France : transformez le siège de l’ex-RDC en Observatoire socio-culturel dédié au service réel de la communauté en attendant de faire de la demande aux autorités européennes rien moins que la levée du visa, cette survivance d’un passé qui n’a plus sa place dans le monde intégré et mondialisé d’aujourd’hui.

Agissant ainsi, au demeurant, vous ne ferez que vous attaquer à la juste face apparente d’un iceberg dont la face cachée reste faite des turpitudes ayant prospéré sous l’ancien régime, dont la moindre ne serait pas la corruption dans les services. Et cela correspond à un combat encore plus soutenu, de plus grande haleine, dont on ne saura nullement, tôt ou tard, faire l’économie! L’observatoire que nous appelons de nos voeux sera même appelé à en faire la part essentielle et salutaire de ses activités à destination de la communauté tunisienne en France pour lui assurer le service irréprochable et de qualité auquel elle est en droit d’aspirer.