Comme nous l’avons signalé récemment, nawaat.org a conclu un accord avec Wikileaks pour la publication de la totalité des câbles diplomatiques de l’ambassade US à Tunis après avoir publié en novembre dernier une sélection exclusive (et explosive) sur les agissement mafieux de l’ancien président en fuite et sa famille.

Le câble que nous publions aujourd’hui n’est certainement pas le plus intéressant en terme de révélations mais constitue un échantillon patent de l’adoption de la diplomatie tunisienne de tous les éléments de langage de la propagande officielle de l’ancien régime. Saida Chtioui ancienne secrétaire d’état aux affaires étrangères chargée des Affaires américaines et asiatiques en est une parfaite illustration.

Il se trouve que cette diplomate à la retraite ( elle continue pourtant de bénéficier d’un passeport diplomatique ) a déjà été sévèrement mise en cause par deux articles publiés sur nawaat.org. Le premier la présente comme une proche de Leila Ben Ali et l’accuse d’avoir bénéficié d’un traitement de faveur dans l’évolution de sa carrière au dépend d’autre diplomates. Le deuxième, signé par des diplomates tunisiens anonymes, confirme quand à lui cette relation intime avec l’ex première dame mais aussi l’accuse d’avoir joué un rôle déterminant dans la fuite de Abdallah Kallel de Suisse vers la France accusé par Abdennacer Naït-Liman d’actes de torture.

En attendant le travail de la justice sur ces graves accusations, voyons comment cette “diplomate chevronnée”, dont les défenseurs se relayent sur notre site pour vanter le professionnalisme et l’intégrité, défendait corps et âme le régime mafieux de Ben Ali auprès de la diplomatie américaine.

Une fervente porte parole de la propagande officielle

Dans un câble du 16 février 2010 intitulé : “Officiel de haut rang demande l’ouverture d’une nouvelle page dans la relation USA-Tunisie“, relatant une rencontre à l’Ambassade US à Tunis entre Mme Chtaoui et une délégation de membres du congrès américain menée par Stephen Lynch et l’actuel ambassadeur Gordon Gry, on peut lire ce qui suit :

Chtioui a ouvert la séance en lisant une déclaration préparée énumérant les réalisations sociales, politiques et économiques de la Tunisie depuis le 7 novembre 1987 et le début de la présidence de Zine El-Abidine Ben Ali. Elle a souligné les succès du Gouvernement Tunisien dans les domaines de la sécurité, l’éducation, la santé, l’infrastructure et d’autres services aux citoyens, avec un accent particulier sur ​​les femmes et les pauvres. Elle a déclaré que le gouvernement a eu un engagement ferme pour le pluralisme démocratique et la primauté du droit, avec la hausse du nombre de femmes au gouvernement et 25% de la législature réservé à l’opposition. elle a également affirmé qu’il n’y a pas de prisonniers politiques en Tunisie.

Inutile de dire combien chacun de ses mots constituent aujourd’hui une insulte pour notre intelligence et un mépris total pour les réalités du pays à une période où le pouvoir du parti unique n’a jamais aussi grand et où la main mise sur l’économie tunisienne par la mafia au pouvoir atteignait un niveau critique.

Censure de l’Internet : Une mauvaise foi sans limites

Sur la censure, la encore le discours est galvaudé et en totale contradiction avec les pratiques réelles du régime comme l’atteste ce commentaire de l’ambassadeur :

Chtioui a défendu la politique du gouvernement sur la censure de l’Internet en faisant valoir le rôle de la Tunisie dans la promotion d’un large accès aux technologies de communication tout en cherchant à minimiser l’influence des “fanatiques, des extrémistes, et terroristes”. Elle a dit à la délégation que “nous attendons avec impatience votre soutien pour éliminer la Tunisie de la liste des pays qui bloquent l’Internet.

A la date de cette rencontre, les sites de partage de vidéo telque YouTube ou Dailymotion étaient déjà inaccessibles en Tunisie ainsi que des dizaines de blogs et la totalité des sites de la société civile indépendante et des partis politique de l’opposition.

Cette justification n’a dupé personne et c’est aux députés présents de revenir à la charge en mettant l’accent sur les conséquences négatives de la censure qui pourrait “désavantager la Tunisie en termes d’attraction des investissements étrangers“. Le député Lynch a également ajouté que la liberté sur Internet était “la monnaie de la nouvelle économie fondée sur la connaissance” et a été “essentielle pour la croissance économique“. Le député Inglis a quant à lui remarqué que “les nouveaux médias ont été une tribune essentielle pour la promotion du dialogue sur les principaux problèmes du pays“.

Chtioui a répondu que le gouvernement ne bloque pas les sites à caractère commercial ou scientifique, mais seulement refuse “temporairement” l’accès à certains sites que le gouvernement juge comme étant des sites “d’incitation à la violence” ou qui “détruisent systématiquement les actions du gouvernement“. Sur les médias, Chtioui continue ses mensonges et assure que “le gouvernement a démontré son soutient aux médias indépendants en subventionnant les journaux de l’opposition“.

Toujours sans sourciller, elle a souligné que ces journaux devraient s’engager dans la “critique constructive” et a suggéré que “les journalistes tunisiens devraient être formés aux États-Unis“.

Drole de proposition de la part d’une fervente défenseuse des réalisations de son mentor Ben Ali. Cela montre bien la haute éstime que notre super diplomate porte au journalisme et aux journalistes en Tunisie. Un discours qu’elle semble répéter à toutes les chancelleries. Ce qui lui a valu ce commentaire ironique de l’ambassadeur en guise de résumé de cette rencontre.

“Les déclaration de Chtioui à la délégation sur l’Internet et la liberté des médias sont similaires avec ce qu’elle a dit à l’Ambassade de France et d’autres chancelleries : “Les restrictions gouvernementales sont purement défensives et sont destinées à contrer les extrémistes, terroristes, et les attaques politiques partisanes“. Elle n’admet aucune contradiction entre ces restrictions [sur l’internet NDLR] et ce qu’elle appelle “la poursuite des progrès du gouvernement dans les domaines de la démocratie, le pluralisme et la primauté du droit.

Depuis on connaît le résultat de “la poursuite des progrès dans les domaines de la démocratie, le pluralisme et la primauté du droit.” Pourtant il persiste encore aujourd’hui des avocats du diable qui continuent à défendre l’indéfendable, à trouver de l’honneur dans le mensonge, de l’intégrité dans la complicité coupable et de la compétence dans les vils calcules.

Au delà du cas de Mme Chtioui qui doit impérativement rendre son passeport diplomatique et répondre devant un juge sur son rôle présumé dans la fuite du tortionnaire Abdallah Kallel, on remarque aujourd’hui que les arguments utilisés pour museler l’Internet par le régime mafieux de Ben Ali reviennent au galop.

La censure de 4 pages Facebook pour “incitation à la violence” ordonnée par un juge du tribunal militaire ou encore la décision d’un juge de confier à l’ATI la censure “des sites pornographiques et ceux qui portent atteinte aux bonnes moeurs” peuvent constituer des précédents sur lesquels on se baserait pour justifier la censure des contenus web hostiles à la politique gouvernementale ou mettant en cause les institutions du pays. La vigilance est donc de mise et la mobilisation indispensable pour ne plus revivre la main mise par le pouvoir sur l’Internet tunisien.

Malek Khadhraoui
www.nawaat.org
@malekk