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Un prisonnier mort, un autre hospitalisé après qu’un incendie ait dévasté leur cellule décrépie d’une prison française du 19ième siècle.

Par Yasmine Ryan

Quelques heures à peine après avoir été arrêté par la police française pour des faits mineurs de possession de stupéfiant, Walid Ferdi était retrouvé mort.

Son compagnon de cellule, Badiaa El Massi, un immigré tunisien interpelé pour séjour irrégulier sur le territoire français, est maintenu dans un coma artificiel dans un hôpital de Tours. Le pronostic vital est engagé, les médecins s’accordant sur le peu de chance de survie.

Les deux hommes ont eu l’infortune d’être enfermés dans la très vielle prison de Fresnes qui ne dispose pas d’un système d’alarme à incendie fonctionnel, selon les information recueillies par Al Jazeera auprès des autorités pénitentiaires.

Les enquêteurs maintiennent qu’El Massi est à l’origine de l’incendie mais sa famille et son avocat contestent la version officielle. Pour eux, les deux hommes auraient mis volontairement le feu à leurs matelas pour protester contre leur détention.

Le rapport d’autopsie indique l’absence de trace de violence sur le corps de Ferdi. Sa famille fait pression pour que soient poursuivis pour homicide, ceux responsables de la mort de Ferdi par négligence, en raison des conditions de sécurité déplorables de la prison et de la réaction tardive des gardes face à l’incendie.

Combien de temps les deux hommes furent enfermés dans leur cellule de 9 m2, inhalant les fumées mortelles n’est pas encore déterminé mais les rapports médicaux indiquent une exposition prolongée à la fumée.
Ferdi, un français d’origine algérienne, élevé dans le 18ième arrondissement de Paris est mort asphyxié par la fumée. C’était sa première arrestation. Son crime présumé : avoir vendu une petite quantité de résine de cannabis selon un site d’information locale.

Malgré les efforts pour le réanimer, l’homme de 22 ans est mort dans la prison quelques instants après que sa cellule ait été ouverte. Al Jazeera n’a pas pu joindre sa famille ou son avocat.

El Massi, quant à lui, a le corps brulé à 45%, mais les médecins de l’hôpital Trousseau ont indiqué à la famille que s’il succombait, ce serait très certainement des conséquences des dommages infligés à son système respiratoire. Ses reins ont été touché et il est sous dialyse. L’équipe médicale chargée de ses soins a refusé de parler directement à Al Jazeera.

Les prisons françaises sont généralement vues comme les plus délabrées d’occident. Le gouvernement français ne recueille pas de données ethniques ou les religieuses sur les prisonniers cependant, les personnes familières de la question, estiment à plus de la moitié, la population carcérale du pays, d’origine maghrébine.

Comme bien d’autres avant eux, les deux victimes ont reçu peu de soutien ou de sympathie que ce soit de la part des autorités françaises ou encore du public, a part quelques brèves parlant de l’incident sans jamais nommer les victimes, peu d’articles relatent l’incident.

Un commentaire laissé à la suite d’un article sur libération, résume ce qui semble être l’opinion communément partagée :

C’est dommage. Il y en a encore un en vie. Deux de moins c’était mieux. » signé « Goulache »

Des prisons d’une autre époque :

Badiaa El Massi
Lors de sa construction en 1890, la prison de Fresnes était à la pointe de l’innovation mais très peu d’améliorations ayant été faites entre temps pour la conformer aux standards d’hygiène et de sécurité actuels.

Aujourd’hui cette prison est très souvent qualifiée de « décrépite »
Avec les fameuses prisons de la Santé et de Fleury-Merogis, Fresnes est l’une des trois principales prisons de la région parisienne et la deuxième plus grande de France.

Parce que les droits basiques des détenus ne sont pas respectés, la France est depuis plusieurs années, régulièrement condamnée par des organes nationaux et internationaux, y compris la cour européenne des droits de l’homme et le comité européen pour la prévention de la torture.

Depuis le début des années 80, les gouvernements successifs ont introduits des des reformes di système pénitentiaire français.

Le témoignage du docteur de la prison de la Santé, Véronique Vasseur paru dans son livre il y a une dizaine d’année, a révélé au grand jour les conditions de vie dégradantes des prisonnier.

Différentes réformes en vue de la construction de nouveaux établissement ont été adoptées en 2002 puis en 2009 mais les critiques du système déplorent la construction de plus de prisons au détriment de l’amélioration des prisons déjà existantes et vieillissantes telles Fresnes ou la Santé.

« Ils pensent en termes de répression » indique Maitre Soumaya Taboubi, l’avocate de la famille Massi lorsqu’elle est interrogée sur le manque de respect des normes de sécurité à Fresnes.

La CNCDH (la commission nationale consultative des droits de l’homme) écrivait dans un rapport de 2010 au comité contre la torture des Nations Unies, ses craintes quant au fait que « la réponse française au problème des prisons se concentre principalement sur une augmentation de la capacité d’accueil des prisons du pays.»

Elle ajoute que l’échec des autorité à endiguer les problèmes du régime carcéral a pour conséquence directe l’augmentation des violences en prison, des auto-mutilations et des suicides parmi les détenus.

La France a en effet un des plus hauts taux de suicide en prison d’Europe et les chiffres de la CNCDH montre une augmentation annuelle constante depuis 2006.

Il y a déjà eu plus de 50 suicides dans les prisons françaises pour 2011 selon BAN Public, una association non gouvernementale basée à Paris et œuvrant pour une amélioration des conditions de détention.

La famille El Massi conteste la thèse du suicide et les avocats des deux hommes, se basant sur les résultats d’autopsie, s’opposent à la version de la police selon laquelle El Massi aurait mis le feu à son compagnon de cellule. Ils maintiennent que le feu a pour origine la protestation des deux prisonniers face à leur enfermement.

Des Officiels sans nom.

Al Jazeera a parlé avec le procureur de Créteil en charge des investigations internes sur les évènements liés à l’incendie. Bien qu’elle soit la seule personne officielle autorisée à parler de l’enquête, elle refuse d’avoir son nom cité dans cet article en raison de son inimitié pour Al Jazeera « c’est un média que je n’aime pas du tout »

Elle confirme l’absence d’alarmes à l’intérieur des cellules et que les gardiens de la prison n’ont pris connaissance de l’incendie qu’après que les miradors aient aperçu les flammes de l’extérieur et aient sonné l’alarme auprès de leurs collègues.

Malgré la réaction tardive, elle maintient que très peu de temps s’est écoulé entre le début de l’incendie et l’ouverture des cellules par le personnel pénitencier.

Elle admet également que les incendies pour attirer l’attention des gardiens ont lieu fréquemment mais réfute le fait que la prison aurait du s’équiper d’un système d’alarme pour autant.

« Ce sont des bâtiments très anciens qui ne sont pas du tout adapté pour cela » dit elle.

Elle insiste sur le caractère « clairement délibéré » de l’incendie, et ajoute qu’El Massi a pris des mesures pour empêcher la fumée de sortir de la cellule.

Les autorités de la prison ont refusé la demande d’interview d’Al Jazeera car l’enquête est toujours en cours. L’administrateur pénitencier a néanmoins expliqué par téléphone qu’il y avait bien un système d’alarme mais uniquement dans les couloirs, pas dans les cellules individuelles.

« En général », dit elle, « les gardiens sont alertés par les cellules voisines car les épaisses portes ne laissent pas la fumée s’échapper des cellules »
« Pour que la fumée atteigne les couloirs, cela peu prendre un long moment » ajoute-t-elle en refusant de commenter plus encore cette information.

Francois Bes de l’observatoire international des prisons (OIP) confirme qu’à Fresnes de nombreux prisonniers utilisent le feu pour attirer l’attention des gardiens. « c’est pour les prisonniers l’un des principaux moyens de demander de l’aide » dit il.

Cependant alors même que les alarmes à incendie et autres mesures de sécurités sont bien prises en comptes dans la construction des nouvelles prisons, les dites normes ne sont pas respectées dans les institutions pénitentiaires plus anciennes. « Si les miradors ont pu apercevoir les flammes à travers les minuscules fenêtres de la cellule, cela implique que le feu était déjà très important » ajoute Bes.

La réforme est la solution.

Même une fois les employés de la prison alertés, il y a de fortes chances que la cellule n’aie pas été ouverte immédiatement car les gardiens ne peuvent pas porter les clés des cellules sur eux et doivent au préalable informer leurs supérieurs de l’incident avant de pouvoir agir indique Mr Bes.

Le procureur en revanche réfute toute idée de retard dans la réaction des gardiens pour ouvrir la cellule.

Avec un homme mort et un autre dans le coma dont la survie est très peu probable, les chances de découvrir la vérité sur l’incident reposent uniquement sur l’enquête.

Maitre Taboubi, l’avocate d’El Massi, pense que les autorités essayent de couvrir ce qui s’est réellement passé et que l’affaire devrait être transmise à une autorité indépendante. Les autorités pénitentiaires son connues pour leur opacité surtout en matières de mort dans les prisons indique t’elle.

C’est la pratique courante au niveau de ‘enquête préliminaire, d’être menée en interne, puis, le procureur, s’il juge opportun de poursuivre, transmet alors au parquet les éléments incriminateurs.

Ce n’est qu’a ce moment là, qu’un juge indépendant examine les éléments de l’enquête.

François Bes confirme que enquêtes internes ne sont pas toujours approfondies, et que pour une association indépendante telle que l’OIP, il est très difficile d’obtenir la vérité sur ce qui se passe réellement derrière les murs des prisons.

La famille d’El Massi n’a été informée de son arrestation et de son hospitalisation que le 8 juillet par le officier de police en charge de l’enquête qui leur a indiqué que le jeune homme était hospitalisé à Tours.

Sa famille est originaire Redeyef, dans la région de Gafsa au sud de la Tunisie, secouée par des troubles.

Ismail Trabelsi, un proche, a tenté en vain d’obtenir un document écrit de l’hôpital afin de permettre au parents d’El Massi d’obtenir un visa pour la France et de veiller leur fils avant qu’il ne s’éteigne. Mais selon Trabelsi, le procureur ferait pression sur l’hôpital afin qu’il ne fournisse pas de tel document.

« A chaque fois que nous faisons la demande du dit document, ils nous répondent la même chose, que le procureur leur a dit de ne rien nous donner du tout » a indiqué Trabelsi à Al Jazeera.

Environ 200 personnes se sont réunies le 9 juillet pour une marche silencieuse en soutien à Walid Ferdi afin de réclamer des réponses des autorités. Des manifestations ont également eu lieu a Redeyef lundi, contre l’indifférence du gouvernement français envers El Massi. Plus d’une centaine personnes réunies ont chanté « Sarkozy le lâche, cesse d’insulter les immigrés »

Un groupe de soutien du tunisien sur facebook a déjà rassemblé plus de 2000 membres.

Moeheddine Cherbibe de la fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), une ONG française pense que les autorités françaises ne devraient pas arrêter des gens parce qu’ils n’ont pas l’autorisation de résider en France. Pour lui, El Massi a du être très pertubé par son arrestation par la police lors d’un contrôle d’identité à gare du nord ce qui expliquerait qu’il ait cherché à protester.

« Nous demandons une enquête serieuse car aucune réponse n’a à ce jour été donnée et qu’il n’y a même pas de magistrat instructeur désigné sur ce cas » dit il.

Trabelsi a indiqué qu’ El Massi avait déjà été détenu en raison de sa présence irrégulière sur le territoire français, mais avait réussi à s’échapper du centre de rétention de Vincennes dans l’ouest parisien. Il aurait également été détenu à la prison de Fresnes sous une fausse identité.

« C’est un tunisien, sans permis de séjour en France, ils ne s’intéressent pas sérieusement à cette affaire et ils ne sacrifieront surement pas 20 gardiens de prison pour un tunisien » déplore sa sœur Ilhem El Massi, interrogée par téléphone depuis Redeyef.

« Ils ne veulent pas en parler et ne veulent pas être tenus pour responsables »

Article initialement publié sur Al Jazeera English.
Traduit vers le Français par Nina Suares