Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Personnellement, j’étais pour le report des élections pour une seule et simple raison : ramener la sérénité aux Tunisiens après les traumatismes et tensions des derniers mois, pour entamer la suite dans une atmosphère moins électrique. Les semaines écoulées démontrent qu’il n’en est rien. La Tunisie et les Tunisiens sont au bord de l’implosion. Qu’en est-il exactement et pourquoi la situation s’assombrit-elle autant ?

Tous coupables

Actuellement, tous les discours et débats portent sur la culpabilité de telle ou telle partie, l’accusation de telle ou telle personne, la diabolisation de telle ou telle catégorie. Tout le monde s’y met : journalistes, hommes politiques, hommes et femmes de la rue, les chats des gouttières, Beji Caid Essebsi,…. Même, sur Nawaat – tout comme tous les medias, les articles et les commentaires constructifs pour un avenir meilleur cèdent de plus en plus la place aux attaques et discours vindicatifs.

Ainsi, aux dires des uns et des autres, nous ne manquons absolument pas de coupables et de sorcières a chasser: les islamistes pour les uns, juste les salafistes pour les autres, le RCD et ses anciens bataillons pour les uns, le gouvernement d’intérim (canal historique du RCD) pour les autres, la Police avec son lourd passif, les partis politiques avec leur incompétence et soif de Pouvoir, Kadhafi avec ses agents, la situation Libyenne et son impact sur la Tunisie, les Algériens qui veulent saboter la démocratisation de la Tunisie, les Américains, les Français, les Israéliens, le G8, les habitants des régions du Nord-est avec leur situation favorisée, les habitants des régions du Sud et de l’Ouest qui veulent arracher leur part aux habitants du Nord-est, telle tribu, telle autre tribu, les ouvriers avec leurs blocages des usines et des ports, les patrons voyous, les auteurs des barrages routiers, les voleurs ‘freelances’, les voleurs au service de la Police, les Sit-Ins (Kasbah et autres), la Justice incapable de relever le défi de son indépendance, les avocats, la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, les journalistes toujours pas indépendants ni compétents, les chaines étrangères, Facebook, …

Nous pouvons continuer ainsi sur des pages et dans l’exercice de la diabolisation des uns et des autres pendant des décennies. Tous les Tunisiens seraient en conséquence coupables (car nous appartenons forcement à une catégorie coupable aux yeux d’une autre), tout comme quelques pays étrangers (Libye, Algérie, les Occidentaux, …) ou organisations étrangères. Seuls les extra-terrestres n’ont toujours pas été accusés à ce jour, mais ca ne saurait tarder. Il y a probablement une vidéo sur Facebook qui prouve leur implication (à moins qu’ils aient des fausses antennes qui tombent devant la camera).

Je vais prendre une position radicalement différente de celles des uns et des autres : je confirme, NOUS SOMMES TOUS COUPABLES. Chacun de nous est en train d’amener sa contribution à l’effondrement de la Tunisie, consciemment ou inconsciemment, d’une manière individuelle ou collective. Nous sommes bien dix millions de coupables et il est temps de regarder cette réalité en face.

Lorsqu’il y a une détonation (juste le bruit d’une explosion) dans un stade rempli avec des milliers de personnes, des centaines de personnes meurent, non pas à cause de la détonation (simple bruit), mais à cause du chacun pour soi qui fait que tout le monde se rue vers la sortie pour sauver sa peau et tirer son épingle du jeu. Le résultat est une catastrophe qui met des années pour se cicatriser. C’est ce que nous vivons actuellement en Tunisie : la chronique d’un effondrement résultant des logiques et des strategies du chaos des uns et des autres.

Nous tous, Tunisiens (travailleurs, chômeurs, riches, pauvres, du Sud, du Nord, de l’Est, de l’Ouest, de Gauche, de Droite, Islamistes, laïques, politisés, apolitiques, …), avec notre chacun pour-soi et nos raisonnements individualistes, sommes en train de faire couler le pays et de rater une opportunité unique pour construire un présent et un avenir meilleurs pour tous les Tunisiens. La révolution dans la tête de CHAQUE Tunisien (l’acte II de notre Révolution) est ce qui nous manque pour réussir la suite !

Il est indéniable que des forces suffisamment organisées agissent consciemment pour influencer le cours des choses dans telle ou telle direction (la Police, le RCD, les Islamistes, des pays étrangers, etc.), avec des agissements collectifs orchestrés. Elles semblent toutes avoir opté pour des stratégies du chaos et de la terre brûlée. Par contre, ces stratégies sont multiples et en conflit les unes par rapport aux autres. Donc, aucune n’est coupable seule, mais elles le sont toutes.

Mais ces logiques du chaos sont les mêmes appliquées par ceux qui bloquent les routes, organisent des sit-in, bloquent l’activité économique, ou telle ou telle entreprise ou administration. Ainsi, ils sont autant coupables que les premiers. Bref, tout le monde est saboteur, à une échelle plus ou moins prononcée (individuelle / collective, locale / nationale, etc.), et selon des motivations plus ou moins légitimes. En plus, ce qui amplifie l’impact et les conséquences de ces logiques du chaos c’est qu’elles s’accommodent bien de notre état d’esprit de Tunisiens, avec notre délectation du sabotage et du principe « après moi, le déluge ! » : nous sommes tous des pyromanes.

Cessons alors l’hypocrisie qui consiste à trouver des boucs-émissaires ou à designer tel ou tel coupable : nous sommes tous coupables, quels que soient nos principes, notre passé, notre situation sociale ou économique, nos actions actuelles ou notre inaction. Il suffit de se poser, individuellement et collectivement, la question : que faisons-nous de plus ou de mieux pour notre pays et pour nos concitoyens depuis le 14 Janvier 2011 ??

Revenons un peu en arrière et confrontons une autre réalité en face : le système Ben Ali / RCD a pu se développer et prospérer car une majorité de Tunisiens y a apporté sa contribution ou consentement, plus ou moins actifs et plus ou moins conscients. Si nous prenons la corruption, les corrupteurs sont aussi coupables que le corrompu. Si nous prenons les faveurs accordées aux uns sur le dos des autres, peu de Tunisiens refuseraient de faire appel aux pistons pour leurs intérêts. Si nous prenons la spoliation des entreprises ou richesses nationales par les Ben Ali / Trabelsi, peu de Tunisiens semblent se soucier de la pérennité des biens et services publics. Autrement, comment expliquer l’appropriation sauvage de terrains ou biens publics au lendemain du 14 Janvier, agissant ainsi comme des petits Ben Ali / Trabelsi ? Comment expliquer le refus de payer ses factures d’électricité, ou les billets de train? Comment expliquer le non-respect des feux de la circulation, mettant en danger sa propre vie et celle des autres ? …

Quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt … Il est temps de regarder la lune

Il est évident que nous connaissons en ce moment un tournant extrêmement grave. Le risque d’une implosion sociale, politique et économique est à son comble.

La Tunisie semble regorger de pyromanes (au même titre que ceux de Dar Chichou), de chasseurs de sorcières, mais manquer d’architectes et de bâtisseurs d’une nouvelle Tunisie au profit de tous.

La résignation se généralise et certains en arrivent même à ‘regretter’ l’avant 14 janvier 2011 !! La simple évocation de cette ‘éventualité’ était complètement inimaginable il y a peu. Elle devient quelque chose qui s’annonce haut et fort par certains. Tout ca pour ca ???

Heureusement, il n’y aura jamais de retour en arrière. Nous avons créé une opportunité unique et la majorité des Tunisiens ne la cédera à aucun prix, même sous les chantages sécuritaires, économiques, religieux ou toute autre forme de chantage. Egalement, il faut se rappeler que les Ben Ali / Trabelsi avaient comme plan de mettre le pays à feu et à sang pour assurer la pérennité de leur emprise au-delà de 2014.

Donc, aux nostalgiques (la Police, les barons du RCD, les profiteurs de l’ère Ben Ali, …), mais aussi aux simples citoyens qui en ont simplement marre de craindre pour leurs vie et biens, nous n’avons qu’un SEUL choix : celui de réussir la reconstruction de notre pays et sa transition démocratique.

Même si nous avons hérité d’une classe politique minable qui n’est toujours pas à la hauteur, nous avons heureusement une richesse humaine unique, un potentiel de développement économique énorme de par notre position géographique et un capital sympathie inégalable partout dans le monde depuis la Révolution. Nous avons une aussi société civile active et notoire, qui se doit de jouer un rôle majeur dans la situation actuelle et à venir. Il suffit maintenant de cesser de regarder les doigts (débat laïcité / islam, conflits tribaux, les intérêts égoïstes des uns et des autres, la démagogie, …) et commencer à voir la Lune et tendre vers un avenir meilleur pour la Tunisie et tous les Tunisiens.

PS : au travers de cet article, je ne cherche pas à me faire des amis, mais à crier ma frustration de voir la situation sombrer au lieu de voir le rêve d’une autre Tunisie se construire de jour en jour (cf. l’article « I have a dream … a Tunisian dream » sur Nawaat).

S. El-Ayoubi.