Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Le mérite de l’expression revient à une de mes amies, ou en tout cas, c’est d’elle que je l’ai lue en premier.

Depuis que Ennahdha a de nouveau droit de cité après 20 ans d’absence, le mouvement a montré beaucoup d’ambiguïté quant à ses déclarations, ses opinions, son programme et son financement. Beaucoup de matière pour une critique intelligente et constructive donc, mais malheureusement, peu de gens attaquent Ennahdha sur ses vraies faiblesses. On préfère brandir le mythe de la privation des libertés individuelles qu’exercent systématiquement les partis islamistes partout où ils prennent le pouvoir, puis citer l’un ou plusieurs des pays suivants : l’Iran, l’Afghanistan, le Soudan, etc.

Vous aimez vous baigner ? Inscrivez-vous, parce que vous ne le pourrez peut-être plus ! (1)

Sur le podium : la bière et le bikini. Ça avait commencé quelques jours avant l’arrivée annoncée du leader historique à l’aéroport de Tunis-Carthage. Des pages Facebook avaient été créées, dont la fameuse “Toutes en bikini pour accueillir Rached Ghannouchi à l’aéroport”. Bien évidemment, le nombre de filles qui sont effectivement allées en bikini à la rencontre du diable en personne était.. zéro. La promesse de voir des corps parfaits dans le – presque – plus simple appareil explique-t-elle l’affluence record observée ce jour-là ? La prudence impose ici de ne pas s’avancer. D’autres groupes proposaient d’accueillir le leader islamiste bières à la main. Au final, un seul homme a tenu promesse, et n’a pas manqué de se faire prendre en photo.

Je ne m’avancerai pas non plus sur la profondeur, la consistance et la pérennité d’un modèle civilisationnel basé sur la bière et le bikini, bien qu’à première vue, pour un célibataire comme moi, la perspective est plus que séduisante.

Le régime islamiste/islamique étant pour l’instant une hypothèse, sommes-nous libres de boire de la bière et de mettre un bikini (je parle des filles hein, n’allez pas vous imaginer des choses…) ?

Et dans les textes ?

Le droit tunisien :

  • prévoit la vente d’alcool dans des points de vente autorisés assujettis au paiement d’une redevance annuelle (Loi n°2004-76 du 02/08/2004 modifiant la loi n°98-14 du 18 février 1998, arrêté du 14/12/2006)
  • punit de quinze jours d’emprisonnement et de 4.800 dinars d’amende ceux qui servent des boissons alcooliques à des musulmans ou à des personnes en état d’ivresse (article 317 du Code Pénal, peines décrites dans l’article 315)
  • punit de “six mois d’emprisonnement et de quarante huit dinars d’amende, quiconque se sera, sciemment, rendu coupable d’outrage public à la pudeur” (article 226 du Code Pénal)

L’épisode pour certains très douloureux de la campagne de “remoralisation de la vie publique” initiée à l’approche du Sommet Arabe de 2004, rappelle que l’ambiguïté de la définition d’”outrage public à la pudeur” permet tous les excès. S’il est arrivé que des couples soient arrêtés et condamnés pour s’être tenus par la main pour faire bonne figure devant les shouyoukhs du Golfe, que dire du bikini. Si un jour vous entendez parler d’un sommet arabe à Hammamet, n’approchez pas à 50 kilomètres à la ronde, surtout si vous êtes en bikini.

L’expression “outrage public à la pudeur” n’est pas plus détaillée que ça, et l’appréciation est laissée au magistrat. En gros, tout le monde peut être accusé d’outrage public à la pudeur emprisonné, c’est déjà arrivé.

Le fait est que la loi tunisienne ne protège explicitement ni les buveurs/buveuses de bière, ni les porteuses de bikinis. Ceux-ci avaient jusque-là non pas des droits, mais des privilèges, acquis non pas par droit du sang patrilinéaire (désolé, je voulais le placer), mais par un deal forcé avec la dictature, qu’on peut résumer ainsi : “je t’échange 3m² d’Europe contre ton silence, et de toutes façons, si tu ouvres ta gueule, tu sais ce qui t’arrive”. Beaucoup s’en sont contentés, et se trouvent aujourd’hui désemparés du fait de la disparition de l’entité avec laquelle ils ont été obligés de faire le deal (la dictature anti-islamiste) et qui les protégeait comme la mafia protège les petits commerçants en échange d’un “petit” quelque chose.

Il est vrai que R. Ghannouchi a publiquement déclaré qu’il ferait en sorte que la khammara, la distillerie (appréciez la terminologie d’un autre siècle) ne fonctionne plus 24h sur 24, et qu’elle soit remplacée par d’autres activités plus constructives, mais il n’a pas encore le pouvoir. Il a également prouvé qu’il ne connaissait rien à la vente d’alcool en Tunisie, sinon il aurait su que l’alcool ne s’achète pas à la distillerie même, mais à des points de vente autorisés (voir ci-dessus), à certaines heures et certainement pas twenty-four seven. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

Lorsqu’il l’aura, s’il l’a, combien de ces militants du bikini/beer way of life sortiront réclamer leurs droits ? Défileront-ils en bikini, des bières à la main pour défier le clergé hypothétique ? Aurons-nous une bikini and beer pride ? Ou se retrancheront-ils dans leurs espaces privés pour savourer le gazouz Bab Saadoun loin des regards inquisiteurs de leurs concitoyens, en essayant d’éviter l’entrechoquement des petites bouteilles de verre vertes qui éveillerait les soupçons du voisin ?

Je laisse au lecteur le soin de spéculer, s’il en a la volonté.

Remerciements

  • O. Krichen pour l’expression “Révolution balnéaire”
  • S. Turki pour ses conseils juridiques
  • H. Nafti pour la même raison
  • N. Belkadi pour ses corrections

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Notes

(1) statut Facebook de l’un de mes amis.