Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
Un groupe de manifestants à la Kasbah brandissant une banderole demandant "une assemblé constituante pour changer la constitution"

Nous devrions bientôt être appelés aux urnes pour la première fois de notre histoire, et d’ores et déjà, nos cœurs s’emballent et nos esprits s’enflamment dans des débats passionnés et enfin libérés. Malgré cela, nous ne parvenons toujours pas à apprécier le goût de la victoire, la douceur du chemin parcouru, tant l’amertume des doutes persiste encore et toujours.

Il est vrai que nous ne savons pas bien où nous allons, beaucoup de questions restent encore en suspens. Certains commencent même à envisager la possibilité d’un autre scrutin, destiné à éclairer le vote à venir. Mais quand bien même ceux-ci pourraient se tenir simultanément à la date prévue, cela ne semble rien présager de bon pour l’avenir de notre Révolution, pour le bien de notre pays, juste quelques nuages qui s’ajoutent au ciel gris qui assombrit notre avenir.

C’est pourquoi je souhaite en appeler de nouveau à ce qu’il y a de plus vrai et de plus fort dans notre Révolution, notre unité. Je partage, comme la plupart d’entre nous, le sentiment d’incertitude que fait planer l’élection d’une assemblée constituante dont ni le rôle ni la durée ne sont convenus par avance. Mais cela n’est pas une surprise, le choix populaire d’un nouveau départ n’a jamais apporté de réponse quant à la transition, et les questions que nous aurions dû poser hier ne nous reviennent que plus graves et plus pressantes aujourd’hui.

Toutefois, notre commune responsabilité doit nous amener à considérer toutes les possibilités qui s’offrent à nous, et nous convaincre de rechercher le consensus qui garantira les meilleures conditions pour l’écriture de notre future constitution, ainsi qu’un climat apaisé pour la poursuite de notre transition vers une démocratie stable et solide.

Le chemin qui mène au futur de notre Tunisie n’a pas été tracé par d’autres, il ne nous a pas été fourni une carte pour naviguer entre les pièges et les écueils qui nous menacent. C’est pourquoi, avant d’aller plus loin, nous devrions peut être nous arrêter un instant pour pallier ce manque qui nous paralyse, et calmer ainsi les angoisses qui nous assaillent. Un simple plan, une feuille de route, devrait suffire à nous mener à l’élection et à ses suites sans les tourments de l’incertitude.

Celle-ci devrait contenir les informations les plus primordiales et les plus essentielles. De sorte qu’elle pourrait permettre le travail de l’assemblée constituante tout en garantissant la continuité de l’État. Fruit d’un consensus entre les différents partis, syndicats et associations, les commissions en charges de l’organisation des élections et de la poursuite de la transition démocratique, ainsi que du gouvernement provisoire, cette feuille de route devrait faire l’objet d’une acceptation par le peuple souverain afin de lui donner toute la force juridique d’un référendum. Malgré tout, il n’est pas indispensable de la présenter au peuple par voie référendaire indépendamment de l’élection de l’assemblée constituante, et il serait sans doute judicieux d’en faire la base même de cette élection. Ainsi, tout citoyen votant pour une liste marquerait par là même son acceptation de la feuille de route.

Il peut également être envisagé de faire signer à chaque citoyen cette feuille de route lors de son vote, de sorte que soit matérialisée son adhésion aux principes qui y sont édictés. Et, si l’idée même d’un plébiscite en rebute certains, la prise en compte du vote blanc comme mode de refus de la feuille de route et de l’assemblée constituante peut être considérée, quoiqu’il faille alors également se préparer à une solution de secours, si l’assemblée constituante ne pouvait être élue, aussi faible que soit le risque.

Une fois réglée la question de sa ratification, il reste à s’accorder sur son contenu. Celui-ci se doit d’être le plus clair et le plus succinct possible, il ne s’agit pas d’un texte pré-constitutionnel, d’un brouillon ou d’un modèle pour la future constitution, il doit uniquement permettre le bon déroulement du travail de chacun. Pour ce faire, il doit répondre à quelques questions fondamentales : Qui gouvernera et comment ? Comment sera organisée l’assemblée constituante ? Quelle pourra être la durée maximale de la phase constituante et qu’adviendra-t-il à l’issue de ce temps si elle ne remplit pas sa mission ? Comment sera évalué le résultat de son travail ?

En somme, la feuille de route devra définir le mode de gouvernement transitoire choisi ainsi que le mode de désignation du-dit gouvernement, le mode d’organisation de l’assemblée constituante, ainsi que la durée maximale permise avant la convocation de nouvelles échéances électorales et surtout le mode d’adoption définitive de la nouvelle constitution.

Pour ma part, je suis convaincu que le rôle constituant de l’assemblée élue, étant donné son importance pour l’avenir du pays, doit primer sur toute autre attribution que l’on pourrait être tenté de lui confier. L’écriture du document qui refondera notre État et organisera notre vie politique pour les décennies ou les siècles à venir n’est pas une mince affaire.

Toutefois, nous ne pouvons prolonger l’existence d’un gouvernement provisoire qui n’a aucune légitimité populaire, a fortiori après une élection. C’est pourquoi, je propose que l’assemblée désigne à la majorité absolue un chef de gouvernement issu de ses rangs, lequel aurait pour mission de former un gouvernement, composé de personnalités élues ou non à l’assemblée constituante, qu’il devrait présenter pour approbation par un vote de confiance à l’assemblée. S’il ne parvenait pas à réunir un gouvernement accepté par les élus, il serait démis de ses fonctions et le processus aurait lieu à nouveau dans les mêmes conditions. Une fois le gouvernement formé, sa mission serait d’assurer le bon fonctionnement de l’État et d’organiser la gestion des affaires courantes. En l’absence d’instances législatives, il pourrait gouverner par décrets mais ne pourrait en aucun cas réformer durablement les institutions du pays ou engager l’avenir de celui-ci au delà du mandat qui lui aurait été confié. À tout moment, il pourrait être révoqué par un vote solennel de l’assemblée constituante réunissant une majorité absolue, voire une majorité des deux-tiers, donnant lieu à l’élection d’un nouveau chef du gouvernement dans les mêmes conditions.

Je propose également que l’assemblée constituante se dote d’un président qui aurait pour mission de coordonner son travail. Il pourrait organiser l’assemblée en commissions ou groupes de travail, ayant chacun des attributions particulières et chargés d’une part spécifique du texte constitutionnel. C’est lui qui aurait la responsabilité de fixer l’ordre du jour des séances plénières et de recueillir les questions et les réclamations des élus. En cas d’empêchement du chef du gouvernement, c’est à lui que reviendrait d’organiser le choix d’un successeur et d’occuper l’intérim. Par ailleurs, afin de faciliter la représentation de toutes les tendances au sein des commissions, les élus pourraient également s’organiser en groupes parlementaires, et ce indépendamment de leurs listes et partis d’origine, lesquels seraient déposés pour enregistrement auprès du président de l’assemblée constituante.

Pour ce qui est de la durée du mandat de l’assemblée constituante, il me semble que si elle procède de manière méthodique et organisée, il ne saurait dépasser un an. En effet, la nature provisoire du gouvernement qui l’accompagne, ainsi que les nombreuses missions de restructuration de l’État qui sont nécessaires en Tunisie, et ce, tant sur le plan économique que structurel, éducatif et social, ne sauraient permettre que l’on perde du temps en vaines discutions. Certains sujets seront âprement débattus et donneront sans aucun doute lieu à d’interminables disputes, mais il est peu probable que le temps finisse par faire disparaître les divergences d’opinions et de sensibilités, et tôt ou tard, il faudra pendre des décisions. C’est pourquoi, si à l’issue de son mandat d’un an, l’assemblée n’est pas en mesure de présenter un texte constitutionnel définitif, je propose que soit organisée l’élection d’une nouvelle assemblée constituante qui aura pour mission de finir le travail entamé par la première, et ce dans les mêmes conditions.

Enfin, en accord avec ce qui me semble d’ores et déjà prévu, je propose que le texte constitutionnel ainsi obtenu soit soumis au référendum pour une adoption définitive par le peuple souverain.

Publié initialement sur le blog de Mourad BESBES