Ennahdha a-t-elle perdu la foi au scrutin ?

A la veille du démarrage des votes des tunisiens à l’étranger, la sortie de Rached Ghanouchi lors d’une conférence de presse sur une éventuelle fraude électorale surprend tout le monde. Tout en admettant que ” l’opération électorale se déroulait normalement”, il prévient (ou menace, selon les points de vue) de faire tomber le prochain gouvernement en cas de fraude. Se rangeant du côté des “gardiens de la révolution”, sans vraiment y avoir contribué, Ghannouchi nous fait part de son manque de confiance dans le déroulement du scrutin.

Ainsi, ni la bonne organisation de l’ISIE, ni la présance massive d’observateurs et de journalistes n’ont suffit à rassurer M. Ghannouchi. Mais pourquoi un parti aussi populaire qu’Ennahdha et qui continue de bénéficier d’une couverture médiatique mondiale s’inquiète-t-il autant ?

Hier, clôture de la campagne d'Ennahdha à Ben Arous

Qui gouvernera après les élections?

La portée du message de Ghannouchi à ses adversaires va plus loin que le soupçon de fraude. Le débat porte sur l’après élections, et la vision de Ghannouchi est ferme la-dessus: “peut-être que les autres partis minoritaires vont se réunir pour exclure le parti qui a le plus de voix, cela signifierait une confiscation de la révolution”. En clair, si elle remportait une majorité de voix, Ennahdha souhaite gouverner maintenant et tout de suite, quitte à ouvrir son gouvernement à d’autres partis. Mais le parti de Ghannouchi refuse le scénario d’une coalition progressiste majoritaire qui ne prendrait pas compte de son poids électoral.

Changement de discours : Ghannouchi est-il mauvais joueur ?

Le discours du Cheikh a bien évolué depuis quelques temps : alors qu’ il niait il y à peine deux mois “toute intention de prendre le pouvoir”, et qu’il disait “vouloir gouverner lors des élections qui suivront l’Assemblée Constituante”, il déclare aujourd’hui que son parti “compte gouverner longtemps”, et ce dès l’élection de l’assemblée.

Hier, clôture de la campagne du Kotb à El Menzeh

Ce changement de cap s’explique par la montée en force récente des partis progressistes et par le poids que pourrait peser leur coalition une fois l’assemblée élue. Sans parler des indécis qui, même si leur nombre est en baisse, sont encore une inconnue pour tous. Jusqu’au dernier moment, il restera beaucoup de tunisiens à séduire et à convaincre.

De la victimisation à la fraude

Tout porte à croire que, malgré son discours offensif et sa confiance affichée, Ennahdha s’agite et s’inquiète comme tous les autres partis, à l’approche du jugement des urnes. La course aux sièges a démarré fort avec le vote des tunisiens à l’étranger, dont la plus grosse communauté s’est déplacé en nombre et dans l’émotion dès les premiers jours du vote. Un signal fort envoyé par les tunisiens qui veulent faire entendre leur voix, et de bon présage pour le taux de participation en Tunisie.

Ghannouchi qui prévenait d’éventuelles fraudes, qui voulait “qu’on juge son parti sur son programme et ses actes”, et qui demandait que “cessent les procès d’intention”, a l’air bien moins crédible face à la décision de l’ISIE de virer en une journée trois chefs de bureaux de vote soupçonnés d’orienter les votes en faveur d’Ennahdha (Ici et Ici et ), et suite à son rappel général à l’ordre.

“Ceux qui font des promesses et qui les renieront seront démasqués et plus personne ne leur fera confiance », déclarait Ghannouchi à France 24 il y a quelques jours. Il ne croyait pas si bien dire.

Publié initialement sur Carpe Diem
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