Qui est-ce qui s’attendait à ce que cette année soit celle de la Révolution de la Dignité ? Après tant d’humiliation, d’oppression, de gommage identitaire, de servilité et autres maux causés par un régime qui a perverti nos vies…

Certains osaient à peine qualifier ce régime de « dictatorial » se laissant embourber dans des considérations linguistiques, périphrastiques où on faisait tout pour ne point prononcer le mot « dictature ». Ce terme était devenu un tabou, un tabou sociolinguistique. Ainsi, la langue n’est-elle pas un indicateur fiable qui puisse refléter le degré de liberté d’un peuple ?

Souvenez-vous quand on parlait de quelque chose- rarement voire jamais de politique puisque tout le monde ou presque était « Apolitique » -et qu’au moment où on allait évoquer le nom de Ben Ali, la voix fléchissait, involontairement…

Souvenez-vous de cette peur d’être au même endroit qu’un avocat militant ou un opposant politique, d’être associé à lui (ou à elle) pour finir battu ou séquestré dans un poste de police ou dans le lugubre ministère de la terreur.

Souvenez-vous du temps où la censure d’internet, des journaux et des livres ne gênait qu’une minorité d’activistes blogueurs qui luttaient pour la libre expression pendant que des milliers voire des millions de personnes cautionnaient cette pratique liberticide et voyaient en Ben Ali l’ex-Président, lui le musulman issu de parents musulmans, un protecteur de la religion et des bonnes mœurs alors qu’il en était le farouche persécuteur !

Souvenez-vous de ces Tunisiens qui légitimaient la torture et le meurtre des islamistes et militants des droits de l’homme sous prétexte qu’ils étaient « khwenjya » intégristes, félons et qu’ils le « méritaient bien ». Quand on répondait que… même un criminel ne doit être torturé ou insulté, les réponses étaient ironiques et inhumainement insensées.

Souvenez-vous de ces milliers de Tunisiens qui applaudissaient un Parti unique et qui s’attaquaient à quiconque le critiquait. Ces Tunisiens qui déformaient la réalité, qui puisaient dans la « logique » pour justifier la propagande, qui accusaient de « traître ingrat » celui qui osait critiquer le mafieux ZABA…

Souvenez-vous de cette horde de thuriféraires, notamment ces facebookers, véritable armée du RCD, qui faisait- sans relâche- des louanges au régime en place, sans remise en question, et qui s’attaquait-en parallèle- par de vils moyens à ceux qui ne soutenaient pas le Parti de la sacro-sainte « majorité ».

Souvenez-vous de ces portraits gigantesques de Ben Ali, partout : dans toutes les administrations, dans les rues, dans les salles de conférences, dans les kiosques, chez les épiciers, … Et puis cette couleur mauve qui s’associait à son image pour violer, pernicieusement, notre inconscient et soumettre notre volonté à la guise du “protecteur et réformateur Ben Ali, notre père à tous ».

Souvenez-vous de la famille de ZABA qui s’est accaparé, petit à petit, des postes ministériels, puis des sociétés, des entreprises, des médias qu’on voulait contrôler et qu’on a fini par acheter, de notre économie et de toute la Tunisie dilapidées par cette oligarchie et ce, progressivement, tout au long des 23 années passées…

Souvenez-vous de cette aumône faite par le régime avec notre propre argent, celui du contribuable, qu’on distribuait, goutte à goutte, aux Tunisiens qui souffrent de pauvreté, d’injustice et surtout de l’indifférence de ces autres Tunisiens, ceux qui avaient d’autres besognes : maintenir un silence coupable, attaquer ceux qui s’attaquent au Parti Unique et/ou applaudir le « sauveur Ben Ali ».

Qu’avons-nous appris, nous Tunisiens qui avons provoqué des Révolutions et ce fameux Printemps arabe, de cette expérience de dictature ? Faut-il expliquer ce qu’il faut faire pour se protéger de la pensée unique et du média à la solde du parti unique ? A vous de voir, à vous de penser, à vous de laisser libre court à votre pensée. Pour le moment, on est encore libre, cependant cette liberté dépend de nous non de l’oppresseur. Ce despote éternel, souvent déguisé en angélique allure, est un agent qui a toujours existé, et ce depuis la nuit des temps et il continue à exister parmi nous. Par ailleurs ce qui n’est point « normal » c’est qu’il n’y ait pas de contre-agent qui puisse défaire l’action néfaste s’il y en a une et réaliser un équilibre. Ainsi, s’il n’y a pas de contre-pouvoir au pouvoir en place, nul salut ne sera le nôtre. La responsabilité n’incombe plus alors au pourvoyeur du « mal » mais à celui qui le laisse faire comme le disait Einstein.
Sachez donc que c’est l’esprit du peuple lui-même qui crée la dictature et que le dictateur n’en est qu’une résultante. Soyons, jour après jour, le changement qu’on veuille voir en notre Tunisie, de cette nouvelle année 2012 où on entame un nouveau cycle, celui de la construction d’un véritable Etat de droit, notre République.

Apprenons des erreurs de notre histoire pour ne point les commettre à nouveau.

Bonne année 2012
Paix aux âmes de nos martyrs, ceux qui ont lutté contre le colon français et contre l’asservissement des dictateurs, ceux qui se sont sacrifié en 1864, 1938, 1961, 1984, 1991, 2008, 2011 …