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La Tunisie pourrait constituer un exemple régional en s’opposant à la censure d’Internet.

San Francisco, CA – Lorsque la Tunisie a accueilli le Sommet Mondial de la Société d’information (SMSI) en 2005, les invités étrangers présents ont eu un premier aperçu de l’ampleur de la répression de Ben Ali. Comme Ethan Zuckerman l’a rappelé l’an dernier, dans un atelier titré- le droit d’expression sous la répression –et interdit du programme par les autorités tunisiennes, qui ont enchaîné les portes de la salle de réunion. Bien que la réunion ait ensuite été relancée grâce à la pression du gouvernement néerlandais, les participants sont restés étroitement surveillés. Il a été rapporté plus tard que certains tunisiens militants des droits de l’Homme ont été battus par les voyous du gouvernement. À l’époque, Zuckerman a rappelé ce qu’a déclaré un autre participant: «il est de notre devoir d’être sûrs que nous sommes tous entrain d’observer la Tunisie, non seulement lors de ce sommet, mais aussi par la suite”.

Au cours des cinq années suivantes, la Tunisie a été néanmoins régulièrement poussée au second plan par les principaux gardiens de la liberté d’expression au profit de pays comme la Chine et l’Iran. De même que les membres du gouvernement des États-Unis qui – en dépit de Mme Clinton qui a mentionné la Tunisie dans ses remarques sur la « Net Freedom » en 2010 – semblent avoir concentré leurs efforts sur lesdits deux pays, en pensant au financement des outils de contournements développés avec la Chine. En 2010, l’activiste tunisien Sami Ben Gharbia s’est interrogé sur ce qu’il percevait comme un échec du gouvernement américain pour cibler la répression en ligne en Tunisie, en Syrie et au Vietnam, un ancien membre du gouvernement y a répondu en reconnaissant que les Etats-Unis “accordaient plus d’attention aux pays disposant d’armes nucléaires qu’ à ceux qui n’en ont pas “.

Aujourd’hui, Heureusement, la Tunisie a un classement différent. Avec la chute de Ben Ali vint rapidement la fin de la répression en ligne, et à la mi-janvier 2011, l’Internet tunisien devint plus ouvert que jamais. L’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) a été vite transformée d’un lieu de peur à un véritable seul point d’échange internet (IXP) dont l’ambition est d’être un acteur neutre.

Toutefois cette ouverture ne fut pas sans défi: en mai 2011, le tribunal militaire a ordonné le filtrage de plusieurs pages Facebook, suivi rapidement par une plainte civile exigeant la censure des sites web à caractère pornographique. L’Agence Tunisienne d’Internet (ATI), sous la direction du PDG de Moez Chakchouk, a résisté farouchement à cet ordre, la lutte contre la décision, via une série d’appels, ont débouché mercredi 22/02/2012 sur un jugement de la Cour de Cassation, en faveur de l’ATI et le renvoi de l’affaire devant une autre Cour d’appel.

Pour beaucoup de personne, il peut sembler étrange qu’un pays musulman, relativement conservateur comme la Tunisie, se batte pour garder la pornographie accessible sur l’Internet, mais en Tunisie, cette lutte est justifiée par l’expérience: Sous le règne de Ben Ali, ce n’était pas seulement le contenu obscène qui n’était pas disponible pour les citoyens, mais aussi les sites politiques de l’opposition, ceux de l’information sur les droits de l’homme, et même YouTube.

En conséquence, M. Chakchouk – ainsi que de nombreux Tunisiens – se méfient, en premier lieu, que le gouvernement force l’ATI à réinstaller les outils qui ont permis de pratiquer cette même censure. Comme Chakchouk lui-même a fait valoir: «Ce n’est pas une question de pornographie ou pas, c’est une question de savoir si nous avons ou non la censure en Tunisie.”

Les dommages collatéraux de la censure d’internet

“La remise en œuvre d’un système de filtrage pourrait créer une pente glissante en Tunisie.”

En effet, l’installation d’un système comme celui utilisé précédemment par le gouvernement de Ben Ali (qui était, d’ailleurs, construit par la société américaine McAfee, détenue par Intel) laisserait l’ATI vulnérables aux demandes du gouvernement d’autres. Et tandis que Chakchouk est prêt à censurer les URL individuels si ordonné par un tribunal légitime (comme ce fut le cas avec les pages Facebook), il s’oppose à des mécanismes de filtrage plus larges, en disant: «Si l’on veut le contrôle d’Internet en Tunisie, ce contrôle doit être intelligent, transparent et pour des raisons de sécurité. ”

Même si la censure des sites pornographiques peut ne pas gêner la majorité des citoyens, au contraire la censure des réseaux sociaux, certainement, comme en témoignent les manifestations de rue qui ont eu lieu lorsque le gouvernement a brièvement bloqué Facebook en 2008.

Cependant, ce n’est pas seulement le gouvernement qui devrait inquiéter les Tunisiens. Les logiciels de filtrage utilisés par de nombreux gouvernements, entreprises, et parents afin de bloquer les contenus en ligne, sont imprécis. Une interdiction sur un mot ou une expression sexuellement explicite, par exemple, pourrait entraîner un contenu anodin et sans rapport qui serait bloqué, un problème régulièrement subi par la ville anglaise du Sussex.
En d’autres termes, la remise en œuvre d’un système de filtrage pourrait créer une pente glissante en Tunisie, où la politique reste un équilibre délicat.

Un exemple régional

Pour Chakchouk, le sujet n’est pas seulement la Tunisie. Il croit que la Tunisie, qui a donné l’exemple régional en 2011, lorsque ses citoyens sont descendus dans les rues pour renverser un dictateur, devrait, aussi, servir d’exemple pour la liberté d’expression.

Heureusement, le pays est bien placé pour le faire. Juste un peu plus d’un an après que Ben Ali a fui, la Tunisie est largement stable, ses citoyens prêts à s’assurer que la liberté pour laquelle ils se sont battus si dur, demeure intacte. La Tunisie n’a pas subi le malheureux « stop-and-start » de l’Egypte, ni l’explosion de violence de la Libye. En effet, pour avoir parlé à certains activistes de la communauté, il semblerait que le vrai problème est aujourd’hui l’apathie. Afin de lutter efficacement et éloigner le spectre de la censure, Chakchouk dit, “la société civile doit être aussi active qu’elle l’était pendant le régime de Ben Ali”.

A partir de maintenant, le sort de l’ATI est dans la balance. La décision rendue mercredi par la Cour de cassation est importante, mais ce n’est pas la finale. Toutefois, l’ATI a gagné d’autres affaires contre les ordres de censure, il est donc possible qu’elle va remporter ce procès-ci aussi. Et si tel sera le cas, La Tunisie aura placé la barre très haute pour le reste des naissantes démocraties de la région.

Traduction Dhouha Ben Youssef