Photo de la conférence de Presse pour la naissance de l'Association Tunisienne de culture amazighe Crédit Photo TAP Tunisie

La Tunisie, l’Algérie et la Libye sont mis d’accord sur un point : la non reconnaissance des populations amazighes. C’est en tout cas ainsi qu’a été vécu le refus de changement de la dénomination de « Maghreb Arabe » par Rafik Abdessalem, Ministre des Affaires Etrangères tunisien, lors du congrès ministériel des pays du Maghreb Arabe. Réaction d’une Amazigh Tunisienne, membre de l’Association Tunisienne de Culture Amazigh.

Frida Fado : Quelle est aujourd’hui la situation des Amazighs en Tunisie ?

Amazigh Tunisien : La première chose à prendre en considération c’est le nombre. Or il n’y a jamais eu de recensement pour connaitre le nombre de locuteurs de la langue Tamazight. L’ex-régime parlait de 1% d’Amazigh, mais ça reste flou.

En fait il faut faire la différence entre amazighophone et Amazigh. C’est une affaire culturelle et la majorité du peuple tunisien peut être d’origine amazigh en réalité, puisque les Amazigh sont le peuple autochtone d’Afrique du Nord. Or du point de vue ethnique la question ne peut être posée. Alors que d’un point de vue culturel on peut faire la distinction. La culture du peuple tunisien est en grande partie d’origine amazigh et là on peut faire des comptes en s’intéressant au nombre de locuteurs de Tamazight. C’est une langue qui se transmet encore dans certaines familles, mais c’est tellement rare que l’on estime que d’ici une quinzaine d’année elle est vouée à disparaitre en Tunisie.

Frida Fado : Quelle est la situation des Amazighs dans les différents pays du Maghreb ?

Amazigh Tunisienne : Pour le Maroc les choses sont simples : il y a eu reconnaissance de la culture amazigh. La langue Tamazight est reconnue dans la Constitution comme langue officielle et la culture amazigh est reconnue comme composante la culture marocaine. Avec l’histoire du Maroc on peut voir ça comme une grande avancée. Il est donc normal que le Ministre marocain refuse le terme Maghreb Arabe et demande le terme Union Maghrébine. Il y a cette volonté d’inclure tous les peuples maghrébins.

Pour l’Algérie le point de vue du pouvoir central est connu : le problème de la Kabylie ne s’est jamais résolu, il y a aussi le conflit du sud algérien avec les Ibadites, les Chaouis… Et même après une longue bataille il n’y a jamais eu de vrais droits accordés. Tout ce qui a été gagné c’est la reconnaissance dans la Constitution, de la langue Tamazight comme langue nationale, comme si on se posait des questions sur cette langue, comme si c’était quelque d’importé.

On connait bien la position du CNT libyen envers les Amazighs. Il y a une ignorance totale de ce peuple et rien n’a changé pour eux ! Pourtant ils se sont battus pour la Libye, pour la liberté de leur terre. Est-ce que leur situation a changé ? Est-ce que la situation de Touaregs et des Tabous a changé ? D’ailleurs la loi sur les élections que le CNT a validé stipule que ne peuvent voter et se présenter que les personnes ayant plus de 10 ans de nationalité. Or Kadhafi a toujours refusé de donner la nationalité aux Touaregs et aux Tabous. Alors, encore une fois, leurs droits sont ignorés. Il aurait fallu profiter de cette occasion pour les reconnaitre et résoudre leur problème de nationalité.

Au niveau de la Tunisie le problème vient du fait que l’histoire est ignorée. Rafik Abdessalem n’a jamais eu de cours d’histoire de la Tunisie et de l’Afrique du Nord semble-t-il, tout comme les Ministres algérien et libyen.
Par ailleurs il faut donc être démocrate. Rafik Abdessalem est un ministre dans un pays qui commence à être démocratique. Et on ne peut pas commencer en étant non démocrate. Même en laissant de côté l’histoire mosaïquée de l’Afrique du Nord et le Droit des peuples et que l’on s’en tient au seul argument de démocratie : il paraît antidémocrate d’ignorer le droit de millions d’habitants du Maghreb. C’est injuste. Les peuples sont conscients que l’appellation de Maghreb Arabe est ségrégative. Cette appellation ignore le droit de millions de citoyens : ils seraient plus de 13 millions au Maroc ! Est-ce qu’on va encore une fois leur imposer une négation ? Ne vaut-il pas mieux dépasser cette appellation et comprendre que la pluralité, ce multilinguisme, cette multiculturalité enrichit et ne fait pas peur. Les Amazighs sont le peuple autochtone. Un peuple qui a le droit d’exister et d’appeler les choses selon leurs appellations historiques. Si les Amazighs acceptent le terme Union Maghrébine c’est une avancée. A l’opposé les Algériens et les Marocains proposent le terme Tamerzgha, un nom complètement différent, qui sera ségrégatif pour les Arabes, mais serait plus juste historiquement. Dans quel sens doit alors aller la discrimination ?

Frida Fado : On a l’impression qu’en Tunisie l’implication au niveau de la population est moins forte ?

Amazigh Tunisienne : Cela vient de l’ignorance de notre histoire, cette ignorance que l’on voit chez Rafik Abdessalem, et que l’on retrouve chez tous les Tunisiens. C’est dû à notre éducation. Il faut relire l’histoire, la réhabiliter et la revaloriser. La véritable histoire, pas celle de Ben Ali ou Bourguiba, qui était une histoire bâclée et importée à des fins politiques.

Frida Fado : Mais les Amazighs Tunisiens ont-ils des revendications ?

Amazigh Tunisienne : Il y en a. Nous nous sommes adressés aux médias par exemple et aux hommes politiques, à l’ANC. En retour nous n’avons que de l’ignorance, à croire que nous n’existons pas. C’est une façon de répondre finalement…

Frida Fado : Quelles sont les demandes en Tunisie ?

Amazigh Tunisienne : Nous ne pouvons pas demander que la langue soit reconnue comme officielle, il faut être rationnel. Ce que nous demandons, par contre, c’est la reconnaissance comme une des composantes de la culture tunisienne, de la culture amazigh . Et ça c’est une demande légitime.
Nous demandons également que la langue soit enseignée dans les régions amazighophones pour la perpétuer. C’est une langue nationale, la langue mère des Tunisiens.
Nous demandons également la mise en place d’une chaire universitaire pour la civilisation et la culture amazigh. Cela existe en Hollande, au Canada, aux USA… alors qu’en Tunisie, l’un des pays d’origine des Amazighs en Afrique du nord, il n’y a rien pour étudier l’histoire et la civilisation.
Il faut également encourager la tenue de festivals, la création artistique dans ce domaine, entretenir les restes de villages à architecture amazigh… en gros réhabiliter le patrimoine, ce qui peut aussi rendre service au tourisme.

Frida Fado : Vous essayez donc de négociez ?

Amazigh Tunisienne : Oui nous voulons négocier pour qu’une vraie reconnaissance se fasse. Finalement c’est une lutte pour faire avancer notre Maghreb. La Tunisie seule ne pourra rien faire, on a besoin d’une union forte. On est tous prêts à donner de notre temps, de notre volonté, mais il faut une union qui reconnaît les droits de chacun.
Ce que je préconise pour ça c’est de relire notre histoire, de regarder notre passé pour avancer. Car la démocratie c’est entendre toutes les voix, voir toutes les couleurs, respecter tous les points de vue même ceux qui sont différents.