Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Deux épisodes incroyables ont tournoyé autour du 8 Mars 2012 en Tunisie, le jour de la fête de la femme. Deux épisodes qui ont fait couler beaucoup d’encre, soulevé d’énormes réactions, attisé bien des flammes, et gavé Facebook et Twitter de commentaires, photos, vidéos, et réactions en chaine.

Les faits

Le 7 Mars 2012, un groupe de Salafistes manifeste devant la Faculté de Mannouba constestant l’interdiction par le réglement universitaire de porter le niqab durant les sessions d’examen, et ordonnant aux niqabées de dévoiler leurs visages afin de contrôler leurs identités. Un illuminé d’entre eux pensant servir la cause monte sur le toit à gauche de l’entrée de la Faculté, et sur lequel flotte fièrement le drapeau tunisien. Avec des gestes sûrs et sereins, rempli de ses certitudes absolues, notre énergumène défait le drapeau national, le descend et le remplace par l’étendard noir des salafistes sur lequel figure en blanc la profession de foi musulmane. Le public pantois et un peu lâche ne réagit qu’avec quelques phrases timides… Notons quand même que des policiers en tenue observent la scène sans réagir ! Soudain, une jeune femme de 25 ans, Amel Aloui Khaoula Rchidi, grimpe le mur pour monter sur le toit, et d’un pas décidé se dirige vers le salafiste, le dépasse et agrippe l’étendard salafiste pour l’enlever et remettre le drapeau national. La réaction est immédiate: le salafiste la tire violemment pas le bras la terrassant et continue à l’invectiver furieusement alors qu’elle est par terre. Jusqu’ici les faits sont avérés et dûment documentés. On prétend toutefois que le salafiste l’aurait frappée aussi sur ses parties génitales et qu’elle a dû aller au gynécologue se faire des points de souture… L’enquête devrait confirmer ou infirmer ce dernier fait…

Le 8 Mars 2012, un groupe de femmes fêtent leur fête et manifestent devant le Palais du Bardo, siège de l’Assemblée Constituante – rappelons-le – élue démocratiquement par le peuple tunisien. A cette heure, le député le plus âgé de l’Assemblée, Tahar Hmila rejoignait l’Assemblée. C’est un septuagénaire qui a présidé la séance d’ouverture de la Constituante, honneur qui lui a été presqu’unanimement octroyé par les députés du peuple en raison de son âge avancé. Ajoutons que les Tunisiens/es dans leur écrasante majorité portent de l’estime et un respect presque naturel (il est culturel en fait) aux personnes des deux sexes d’un certain âge. Am Tahar, – c.a.d. Oncle Tahar comme on l’appelle par respect – est un Tunisien typique qui porte la chéchia pour se couvrir le chef et qui aime bien palabrer gaiement. Il s’arrête donc pour discuter avec des femmes rassemblées devant le Palais. Soudain, une jeune femme, Amal Sboui, enveloppée du drapeau national surgit parmi la foule et face-à-face avec Si Tahar lui débite un flot de grossières et indécentes insultes qui le laissent figé d’horreur et pantois… Et comme si cela ne suffisait pas, elle est secondée par une autre jeune femme, Kalthoum El Gharbi qui reprend de plus belle la cacophonie de vulgaires insultes. On saura plus tard qu’Amal Sboui est directrice de l’Ecole de la Cité Sucre Un, et que Kalthoum El Ghrabi est maitresse à l’Ecole de l’Avenue Bourguiba, à Béjà toutes deux.

La Femme Ange et Démon

Ces deux évènements survenus le 7 et le 8 Mars nous invitent au-delà de leurs messages politiques manifestes à prendre un peu de recul et à essayer de déchiffrer la personnalité de la femme tunisienne capable du mieux comme du pire. Nous pourrions en toute facilité clôre le chapitre et conclure que la femme n’est rien de plus ni de moins qu’un être humain portant ses contradictions tout comme l’homme, et puis : passez, il n’y a rien à voir ! Mais nous sommes apostrophés par les réactions à ces deux scènes dans le paysage public et surtout médiatique. Amel Aloui Khaoula Rchidi qui a défié le salafiste barbu aux muscles saillants est taxée de « Première Dame de Tunisie », elle est encensée par la presse et sur les réseaux sociaux, et son attitude est instrumentalisée par certains partis politiques et associations civiles. Amal Sboui et Kalthoum El Gharbi par contre ont droit à quelques reproches par Si Tahar (en grand gentleman) sur la Nationale 2, quelques timides condamnations à l’Assemblée Constituante, et quelques vidéos sur FB les taxant de vipères ou de chiennes enragées…

A y réflechir de plus près, nous avons une femme-héroïne d’un côté et une anti-héroïne de l’autre. L’héroïne serait peut-être cette femme qui défie le salafisme obscurantiste, venu des tréfonds de l’Arabie Saoudite et essayant en vain de s’implanter dans une Tunisie des Lumières, berceau d’un Islam malékite adapté aux mentalités ouvertes au modernisme, à l’égalité des sexes, aux droits de l’homme et à tout ce que la pensée humaine a produit de beau et de bon.

L’anti-héroïne serait peut-être cette femme qui fout en l’air des valeurs éthiques ancrées depuis des siècles dans la culture tunisienne ; cette culture qui invite à appeler Tahar, Am Tahar par respect pour son âge. Une culture qui s’ouvre à la pensée universelle mais qui filtre et « localise » c.à.d. qu’elle adapte ce qu’elle importe à son milieu social et culturel. La laïcité fondamentaliste n’a pas de chance de s’implanter dans cette Tunisie ; Tout comme le salafisme des ténèbres…

C’est peut-être ce message que la Femme tunisienne – toujours magnifique et pleine de sagesse – a voulu communiquer aux Tunisiens et aux Tunisiennes ce 8 Mars 2012, jour de la Fête de la Femme. Et oui ! On ne peut qu’hocher la tête et acquiescer quand Jean Ferrat chante :

Le poète a toujours raison
Qui voit plus haut que l’horizon
Et le futur est son royaume
Face à notre génération
Je déclare avec Aragon
La femme est l’avenir de l’homme

Car ne l’oublions pas : la femme est aussi la mère protectrice prête à mourir pour ses enfants…