A travers trois événements qui ont eu lieu la semaine dernière dans le pays on a peu voir que l’art et la culture commencent à s’emparer de revendications politiques importantes. Une semaine, trois événements donc, et une bouffée d’espoir au milieu du printemps. Liberté d’expression, liberté de manifester, accès à la connaissance et dignité. Trois événements culturels et une attache éminemment politique. Des événements comme on en veut plus souvent. Parce qu’ils disent que le peuple est debout et qu’il garde l’oeil ouvert.

Plus question d’extrémistes qui s’attaquent aux artistes pendant le printemps du théatre. Finie la position de défense adoptée par les artistes jusqu’ici, aujourd’hui c’est eux qui donnent le ton et la première revendication concerne la liberté d’expression. Une liberté que l’on sent précaire tant par la manière dont les forces de l’ordre traitent les journaliste dans la rue que par le fait que ces derniers se retrouvent à devoir se défendre dans des procès insensés.

Pour que l’acharnement cesse la galerie Artyshow et l’espace d’art Mille Feuilles à La Marsa ont lancé, samedi 14 avril, l’exposition « Dessins de presse pour la liberté d’expression ». Une vingtaine d’artistes ont ainsi réalisé prés de cent cinquante dessins.

On trouve pêle-mêle des caricaturistes expérimentés et des dessinateurs qui se lancent. Cheldy Belkhamsa n’en revenait pas. Avec ses 45 ans de métier il a tenté une fois d’organiser un tel rassemblement. « L’exposition a duré une heure, la police est venue et a commencé à décrocher des tableaux, alors en signe de protestation nous avons décroché nous même les dessins et nous avons retourné les cadres. » C’était du temps de Bourguiba.

Alors finalement, cette expo, c’est un peu la première du genre. Les dessinateurs ne se sont donc pas fait prier pour y participer. La portée est forte comme l’explique Flask :

La liberté d’expression est un acquis que l’on ne doit pas lâcher comme ça.

Voilà pourquoi il participe à cette exposition. Pour que les droits restent.

Même semaine autre lieu : mercredi 18 en fin d’après-midi, une centaine de personnes bouquine installée un peu partout sur l’Avenue Bourguiba. Suite aux heurts entre extrémistes et comédiens survenue fin mars, l’avenue Bourguiba a été fermée aux manifestations. Qu’à cela ne tienne : un groupe sur facebook a lancé une belle idée : prendre l’Avenue d’assaut avec des mots. La littérature descend dans la rue et seul un ignare pourrait s’opposer à un tel mouvement. Tunis ta9ra, c’est montrer que les mots ont un poids et nous libèrent de l’ignorance.

Les organisateurs n’ont pourtant pas l’air de mesurer cet impact: pour eux aucune revendication politique dans cette manifestation silencieuse. Et pourtant ! Garder le silence quand l’autre aboie c’est le mettre face au ridicule de la situation. Avoir un livre comme arme c’est s’élever au-dessus de tout. Amener la littérature sur la place publique c’est exiger plus de culture et plus d’éducation. Cet événement avait donc une double porter : exiger que le rue appartienne au peuple et exiger que le peuple soit instruit. Au vu du taux d’analphabétisme du pays, cette demande est plus que légitime. Surtout lorsque l’on sait que le fait de pouvoir lire et s’informer fait de nous des gens libres et indépendants, capable de choisir.

Dernier événement et la boucle des revendications de la Révolution se referme : dignité et reconnaissance. Puisque la Commission en charge du dossier traîne des pieds, que l’on ne sait pas soigner nos blessés, que l’on envoi d’ailleurs à l’étranger, alors même que les insurgés libyens eux, ont semblé se satisfaire de nos médecins, un concert a été organisé samedi 21 avril par l’association Nsitni pour récolter l’argent nécessaire au suivi médicale des blessés de la Révolution. « L’idée c’était de récolter des fonds pour les blessés de la Révolution pour une prise en charge médicale et psychologique. Les blessés ont besoin de médicaments et de soins, ils ont aussi besoin d’un suivi psychologique, de thérapie de groupe…” explique Imen membre de l’association.

L’autre volet, mais il est secondaire, est l’aide social. “Beaucoup de blessés ont perdu leur emploi, ont des enfants a charge… Nous voulions nous mobiliser pour dire que nous ne les oublions pas.» Quand l’Etat fait défaut la société civile prend le relais. Samedi soir sur scène une dizaine de chanteurs sont venus donner de la voix pour que la mémoire collective fonctionne. Quelques milliers de dinars ont pu ainsi être récolté.

Certains considèrent que l’art doit rester dans le domaine du divertissement et ne pas prendre position. Il doit nous permettre de nous évader, de voir autre chose et ne pas nous mettre face à nos préoccupations quotidiennes. Mais quand on sait sa capacité fédératrice et la mise en perspective des choses qu’il permet, on ne peut qu’espérer qu’il continue à être revendication et lutte.