Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Du temps de Ben Ali et même du temps de Bourguiba, la scène politique était presque déserte. Un seul protagoniste avait le droit d’exister et de dominer l’arène vide de toute compétition. Il s’agissait du parti au pouvoir qui, de par son hégémonie, excluait ou réduisait presque à néant toutes les autres couleurs politiques. L’Université était alors, surtout dans les années 70 et 80, l’un des espaces de liberté les plus importants et le mouvement estudiantin, riche de ses multiples couleurs politiques, représentait, malgré la répression, un pilier solide de l’opposition et un espoir de changement pour les jeunes de l’époque.

Beaucoup de militants tunisiens étaient issus de ce mouvement estudiantin. Beaucoup d’entre eux sont de nos jours enseignants et/ou leaders de partis politiques et porteurs de projets ambitieux pour la nouvelle Tunisie. Quelle vision ces collègues ont-ils maintenant de la vie universitaire ? En quoi leurs opinions politiques influent-elles sur leur façon de traiter les problèmes de l’Enseignement Supérieur qui s’accumulent d’années en années et qui, après la révolution, s’amplifient de jour en jour ? Comment ces enseignants voient-ils le travail syndical à l’Université ? La majorité s’accordent sur le fait que notre révolution n’était pas celle des intellectuels, ni celle des partis politiques opposés à Ben Ali. S’ils y avaient joué un rôle, ce serait le même que celui joué par tout citoyen tunisien. A l’Université, la révolution nous a pris de court et, comme tous nos compatriotes, nous avons dû suivre le peuple, maître du moment. Comme toute révolution populaire a besoin d’encadrement pour ne pas tourner à l’anarchie et comme tout pays prétendant à la démocratie a besoin de partis politiques ; nous avons très vite vu une partie de nos collègues (surtout ceux qui étaient dans l’opposition mais aussi certains d’entre eux qui n’avaient pas de couleur politique déclarée) siéger dans les plateaux de télévision et dans la constituante. Certains d’entre eux occupent maintenant des postes importants dans le gouvernement de la troïka.

Et l’Université dans tout cela ? Il reste bien les collègues syndicalistes, gardiens du temple ! Nous ne doutons pas de la sincérité de beaucoup d’entre eux, mais la façon anti-démocratique avec laquelle a été remplacé le bureau de la FGESRS et les coups durs de ses responsables, aussi bien les anciens que les nouveaux, à la base des enseignants, n’étaient pas de nature à aider ces collègues à améliorer le sort de leurs institutions respectives. Politisée jusqu’à la moelle, l’Université tunisienne n’a pas pu faire face aux différentes crises qui l’ont traversée : crise du Niqab à la Faculté des Lettres de Sousse puis à la Manouba, violences entre des étudiants de l’UGET et de l’UGTE au Campus de Tunis mais aussi à Sousse… Après toutes ces crises qui l’ont encore affaiblie, notre Université est aujourd’hui agonisante !!!

Maintenant que notre peuple a décidé de se relever pour en finir avec la dictature du parti unique, maintenant que les tunisiens briguent une nouvelle ère de démocratie basée sur la dignité du citoyen et son droit inaliénable au travail et à la liberté d’expression ; le mouvement estudiantin est appelé à se restructurer pour participer à la réalisation de ce défi démocratique et sauver notre chère Université. Or, nous connaissons tous les dégâts causés par la politique de « démocratisation » (tous les tunisiens doivent réussir au bac et aller à l’Université) de l’enseignement, politique suivie par les différents gouvernements novembristes. Cette politique associée à l’autre politique policière (installer des postes de police dans toutes les institutions universitaires) ont enlevé à l’Université sa vivacité en tant qu’espace de liberté : la qualité de l’enseignement et des diplômes a reculé sous le poids du nombre (les enseignants se sont trouvés face à la difficulté de concilier la contrainte de former des groupes de plus en plus nombreux et la nécessité de préserver un enseignement de qualité permettant à l’apprenant de développer un minimum d’esprit critique) ; la présence permanente de la police aux portes des institutions où l’étudiant est censé s’émanciper par le savoir, la présence d’une autre police non déclarée, une police investissant jusqu’aux classes des cours : tout ce dispositif policier a fait de toute action politique un tabou et a installé la léthargie et la peur parmi les étudiants et même parmi leurs enseignants.

Néanmoins, comme tous les jeunes tunisiens, les étudiants ont participé à la révolution dans leurs régions respectives. Ils ont même affronté la police dans certaines institutions universitaires. Cette nouvelle conscience de la nécessité de la liberté estudiantine est très importante, elle devrait être préservée et développée mais cette liberté gagnerait à s’accorder avec certaines contraintes comme le respect de l’institution et de tous ceux qui y travaillent ou étudient. Or, cette année, la violence pratiquée par certains étudiants dans les enceintes de leurs Facultés ou leurs Instituts a atteint des proportions dangereuses. Il s’agit précisément d’une violence politique entre des étudiants de plusieurs tendances politiques (UGET, UGTE…) ; violence qui a conduit certains d’entre eux aux hôpitaux et qui risque de compromettre les examens et même l’année universitaire.

N’est-il pas du devoir des enseignants, et plus précisément du devoir des enseignants syndicalistes ayant vécu l’effervescence estudiantine des années 70 et 80, de raisonner leurs étudiants ? N’est-il pas de leur devoir de renoncer à la politisation de l’Université pour donner à nos étudiants l’exemple d’une Université libre, indépendante et éloignée de tous les conflits politiques ? La liberté à l’Université ne devrait-elle pas être réservée à la pensée, au savoir et à la formation d’hommes et de femmes libres de par leurs personnalités ? N’est-il pas temps que la liberté de penser et l’esprit critique deviennent les bases premières des méthodes d’enseignement et des rapports entre les différentes composantes de la vie à l’Université ?

Ce sont justement là les objectifs de notre nouveau syndicat de l’enseignement supérieur : l’Union des enseignants universitaires chercheurs tunisiens (IJABA) est un syndicat indépendant et libre. Né en octobre 2011, il a pu, en un temps record, réunir un peu plus que 600 adhérents et préparer un projet de réforme très ambitieux pour l’Université tunisienne. Cependant, comme tout est politisé en ce moment en Tunisie, le Ministre nahdhaoui, soucieux comme la majorité des autres Ministres du gouvernement actuel de ne pas entrer en conflit avec les responsables de l’UGTT, a cédé aux menaces de la FGESRS qui a exigé à être l’unique syndicat partenaire du Ministère dans la Constitution des Commissions de réforme de l’enseignement supérieur. Ces commissions seraient donc constituées des mêmes personnes qui ont participé, des années entières, à la destruction de l’Université ! Le comble c’est que ces commissions travailleront pendant 3 ans.

N’est-il pas temps, pour tous les universitaires qui se respectent et qui se disent tels, de rejoindre IJABA dans son combat contre la corruption, la médiocrité et la politisation de l’Université ??? IJABA, forte de ses idéaux et de ses principes, cherche à instaurer une nouvelle façon de pratiquer le syndicalisme à l’Université. Ses INABAS sont toutes ouvertes à tous les collègues partageant ses ambitions et ses aspirations. L’apport de chaque collègue pour ce jeune syndicat pratiquant la démocratie participative est plus que primordial. Un syndicat, tout syndicat ne peut réellement exister et lutter sans une base forte, nombreuse et surtout convaincue !

Mme Najiba Regaïeg
Maître-assistante à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse
Département de français