Le 17 mai est la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie. On a choisit pour illustrer cette thématique de faire une interview avec Mehdi Hmili, auteur-réalisateur du film « La nuit de Badr » qui a été projeté la semaine dernière à Tunis et qui a été retenu pour participer au Short Film Corner du 65ème Festival de Cannes .

Dans ce drame en noir et blanc qui dure 25 minutes, on y parle d’un vieux poète, Badr, qui décide de mettre fin à son exil en France pour rentrer en Tunisie, un pays qui vient de connaître une Révolution. Il passe donc sa dernière nuit avec son jeune amant Philippe. Homosexuel et homme de lettres, il semble par ailleurs manquer de courage pour affirmer sa nature dans un pays où l’homophobie est la règle.

Trailer

Nawaat : Pourquoi votre film est-il si angoissant ?

Mehdi Hmili : Je suis un être mélancolique, je qualifie toutes mes oeuvres artistiques, poésies ou films ou simples écrits d’oeuvres mélancoliques… Le temps qui passe, l’amour en fuite, les rencontres et les séparations alimentent ma vie et ma création. Je vis l’angoisse d’un homme qui risque tout pour continuer à exister en tant que cinéaste. Cela se voit dans les films que je réalise…

Nawaat :Le thème de l’homosexualité, pourquoi ?

Mehdi Hmili : Avant de réaliser La Nuit de Badr, j’attendais le financement pour mon long métrage Hourya. Je m’ennuyais à mort. Je suis un artisan de cinéma. J’aime pratiquer le cinéma au quotidien. Un ami proche poète irakien est décédé à Paris. Il m’a toujours encouragé pendant l’ère Ben Ali. J’ai risqué ma peau en ridiculisant le pouvoir, les trabelsi et Ben Ali même dans mes poèmes en tunisien. Je ne pouvais pas prendre le risque de rentrer à Tunis ou de mener une carrière. Cet ami est mort. Il était homosexuel et il n’est jamais rentré en Irak. Il me répétait: “La patrie, ça n’existe pas. C’est une saloperie. Ton pays, c’est toi, il commence dans tes veines et ses frontières sont les frontières de ton âme…”

Mon ami était poète. Je voulais faire ce film pour honorer sa mémoire. c’est un film très personnel. Je ne suis pas homosexuel, mais j’ai fait un petit film sur la liberté. Il ne faut pas voir en La Nuit de Badr, une oeuvre qui cherche la polémique. Vraiment cela ne m’intéresse pas. J’ai fait un film sur un homme qui aime un autre homme et entre eux une terre natale qui va bientôt les séparer… Mon film est un poème. Je veux qu’on le sente avant de chercher à le comprendre…

Nawaat : Badr est un « vieil homme », par contre Philippe est jeune . L’âge des protagonistes aurait-il une signification particulière ?

Mehdi Hmili : C’est la transmission ! Ce que Badr va laisser à Philippe. C’est son monde poétique, ses livres, son arbre, son jardin, ses papiers… Son langage finalement.

C’est un système de projection. J’ai même fait un casting pour avoir deux têtes semblables. Le visage, le nez, les cheveux, le regard…

Badr est vieux, il va mourir. Philippe est jeune, il a toute la vie devant lui pour écrire, aimer, partir…
Badr passe la dernière nuit de son exil avec ce jeune poète, beau, bourré de talent et d’énergie qui lui rappelle sa jeunesse… Il faut sentir ce film. Se laisser aller avec sa musicalité, avec sa mélancolie et sa tendresse.

Nawaat : Le noir et blanc, pour quelle raison ?

Mehdi Hmili : Comme je le dis toujours à mes proches, je suis un homme en noir et blanc. Quand j’étais enfant, je trouvais les films de Chaplin, Buster Keaton ou de Laurel et Hardy plus beaux que la vie, la réalité. D’ailleurs je ne cessais de poser la question à mes parents, pourquoi je vois les couleurs? Pourquoi le monde n’est pas comme dans les films de Charlot? Cela me révoltait, alors j’ai décidé de faire des films en noir et blanc. Une manière à revenir à l’enfance, à la pureté, à l’innocence. Aussi c’est une manière d’accentuer les contrastes dans mes films…

Je suis toujours en quête d’amour, d’inspiration et de liberté. Je me sens déchu en amour et en liberté, tout comme mes personnages. Ils sont perdus, torturés, mal aimés, errants…
C’est mon troisième film en noir et blanc. Le prochain aussi le sera. J’aime la fiction, le monde ne m’intéresse pas. Je réinvente tout.

Nawaat : Vos inspirations cinématographiques, notamment dans ce film ?

Mehdi Hmili : Ce qui est drôle c’est que certains critiques me reprochent le fait d’être très attaché à mes pères; Garrel, Mirnau, Godard ou Cassavetes. J’aime ma famille !
Mais quand je réalise un film, je ne pense plus au cinéma. C’est étrange, mais vraiment je pense à autre chose.
À la poésie.

J’ai beaucoup pensé à Éluard, Verlaine et Rimbaud. Badr Shaker Al Sayab aussi. Le personnage s’appelle Badr d’ailleurs… Avant de découper le film, je lisais Éluard en allant sur le plateau le matin. La poésie me donnait le rythme recherché. J’ai presque cadré tout le film moi même. J’ai donc tout contrôlé. Je jouais avec ma caméra tout comme les acteurs. je cherchais cette sincérité ambiguë…

Le cinéma m’inspire beaucoup mais je ne fais pas du cinéma copié. J’invente, d’ailleurs mes films ne se vendent pas, les gens éprouvent un sentiment de gêne quand ils les voient. J’aime ça. Mais je pense que les femmes sont plus touchées que les hommes par ce que je fais. Les femmes ont ce talent de voir au-delà, les hommes non.

Quand j’entends le commentaire d’une femme sur un de mes films ou de mes poèmes, j’ai l’impression d’avoir réalisé Pierrot le fou ou Alphaville ou d’avoir écrit Capitale de la douleur ou Le Bateau ivre…

J’espère pouvoir continuer à faire des films librement, par ce temps maussade que vit notre cher pays, rien n’est garanti…